Jeudi 26 novembre. Michel Zecler, producteur de musique français d’origine martiniquaise, fait l’objet d’une brutale agression par quatre policiers au sein de son studio, situé dans le 17e arrondissement à Paris. Des images chocs, qui font le tour des réseaux sociaux et des chaînes françaises. Un énième exemple de bavure policière.
Pourtant, deux cinéastes français, de deux générations différentes et de presque 25 ans d’écart, avaient tenté, dans leurs films, d’instaurer le dialogue entre les forces de l’ordre et les Français d’origines maghrébine et subsaharienne. Deux points de vue différents mais qui utilisent le même procédé cinématographique : décortiquer les violences policières pour aller vers la compréhension.
Ainsi, Mathieu Kassovitz et Ladj Ly sont arrivés au même constat : les violences policières ne font qu’attiser les flammes.
La Haine : un cri de révolte
En 1995, Mathieu Kassovitz a choisi, dans La Haine, le ton de la chronique pour filmer de près le quotidien de trois jeunes issus d’une cité. Saïd, Hubert et Vinz sont trois adolescents sans histoires. Assistant à une bavure policière dans leur quartier, ils tentent, tour à tour, de redéfinir leur rôle dans la société.
Ils ne sont attirés ni par le succès ni par l’argent “sale”. Seulement par un désir de reconnaissance, la volonté d’être considérés simplement comme des individus “normaux” dans une France encore animée par le désir de les voir comme des “racailles”. Comme des papillons de nuit, le trio est attiré par la lumière parisienne mais préfère finalement rester dans l’obscurité de sa cité.
Leurs rêves ne résident pas dans le fait de devenir célèbres ou reconnus par la bourgeoisie parisienne. Ils veulent juste vivre dignement et être respectés pour ce qu’ils sont.
Une carte d’invitation
Saïd, avec son regard enfantin et niais, fait office de guide. Il invite ainsi le spectateur à s’offrir un voyage dans sa cité afin de mieux la connaître. Il nous fait visiter les familles banlieusardes, nous fait rencontrer son grand frère (une sorte de parrain dans la cité) ou nous fait goûter des merguez préparées avec soin sur un toit.
De son côté, Hubert est la voix de la raison. Il croit au mérite et est convaincu que si l’on travaille durement, on peut s’offrir une place de rêve. Quant à Vinz, il refuse de se voir comme une victime de l’échec de l’ascenseur social.
Kassovitz a utilisé toutes les ficelles pour essayer de “normaliser” le regard du public vis-à-vis des jeunes issus de la banlieue
En d’autres termes, il cherche à se faire remarquer. Tout le long du film, il se balade avec un pistolet dans le but de venger un ami tué par un flic lors d’une émeute. Ce Vinz, qui semble le plus tonitruant des trois, va aussitôt abandonner son objectif une fois face à un vrai policier.
Dans ce film, la caméra est placée à hauteur d’homme, un point de vue inédit à l’époque sur ce type de personnages. S’inspirant des films noirs des années 1970, qui inscrivent les codes du cinéma de genre dans des décors réels, le cinéaste a utilisé toutes les ficelles pour essayer de “normaliser” le regard du public vis-à-vis des jeunes issus de la banlieue.
Et de finir sur un troisième acte qui fait sortir nos trois personnages de leur cité pour les déposer dans un Paris nocturne où ils ne sont pas les bienvenus. Les trois héros doivent contempler, de loin, un rêve irréalisable. 25 ans plus tard, Kassovitz regrette que son film reste une référence d’actualité, estimant que les violences policières qu’il montre devraient appartenir au passé, hélas !
Les Misérables : un regard empathique
Les choses sont à peu près similaires dans Les Misérables. 2019. Une banlieue parisienne. Montfermeil Les Bosquets. Une autre époque où l’on n’est plus dans une optique de découverte des cités. Le réalisateur Ladj Ly nous donne à voir une perception de ce monde où les enjeux sont plus complexes.
Il choisit de raconter son histoire du point de vue des policiers. Chris, Gwada et Stéphane (une nouvelle recrue) sont trois membres de la Brigade anti-criminalité (BAC) de Montfermeil. Ils vivent également dans cette cité.
Suite à une altercation entre des Roms et des dealers de quartier à propos d’un vol de lionceau, les trois policiers partent à la recherche du responsable. Le voleur n’est autre qu’Issa, un enfant espiègle de 12 ans. Il n’en est pas à son premier coup d’essai.
Commence alors une course-poursuite à pied, magnifiquement filmée. La brigade finit par l’interpeller. Mais tout ne rentre pas dans l’ordre pour autant. L’un des trois membres commet une bavure policière : tir de flashball sur Issa.
Pire encore, cette violence a été filmée par un drone que détient un jeune du quartier. Pour effacer cette trace, ils doivent négocier avec les forces vives de ce territoire : Salah, ancien voyou reconverti dans la restauration, encore craint par les autres gangs. Le Maire, grand dealer mais également indic’ de la police. Omar Soumare, chef de gang, qui couvre parfois les méfaits de Chris de la brigade anti-criminalité.
S’ouvre alors un récit où tous les protagonistes sont dépeints dans leur complexité et obligés de s’accepter, comme des alliés-ennemis, avec leurs qualités et leurs vices. Une situation qui va durer jusqu’au dénouement, où chacun devra finalement retourner dans son camp d’origine.
Une approche documentaire
Dans Les Misérables, Ladj Ly porte un regard réaliste sur ces policiers. Ils peuvent être dans le respect de la loi, n’osant pas procéder à une fouille car ils n’ont pas de mandat. Mais peuvent aussi bien être dans l’excès de zèle en harcelant des adolescentes dans la rue, sous prétexte qu’ils les ont prises en flagrant délit de consommation de haschich.
Dans un autre contexte, ils sont filmés en compagnie de leurs familles. C’est ainsi que Chris, le méchant flic, devient plus sympathique que jamais avec son épouse et sa fille, qu’il aide à faire ses devoirs. Gwada, le responsable du tir de flashball, se trouve être un fils docile face à sa mère.
Ladj Ly montre les raisons qui mènent des représentants de la loi à être violents
Stéphane, le novice, ne cesse de porter un mauvais jugement sur ses compères et les accuse même de trahir leur profession de foi. Dans une scène, il se retrouve, dans un bar, face à face avec Gwada. Filmés à la manière de Michael Mann dans Heat (qui opposait Robert de Niro à Al Pacino), les deux protagonistes s’envoient mutuellement des accusations quant à leurs faits iconoclastes.
Si Ladj Ly a décidé d’adopter cette approche réaliste, c’est sans nul doute pour inscrire son film dans une démarche de compréhension des raisons qui mènent ces représentants de la loi à être violents. Une belle tentative d’humaniser les forces de l’ordre, qui reste malheureusement vaine puisque son récit s’achève dans une atmosphère chaotique où toute envie de dialoguer devient, dès lors, impossible.