Khansa Batma: “Ce n’est qu’en prêchant l’inclusivité qu’on pourra élargir l’imaginaire dans le cinéma”

DR

Smyet bak?

Si Mohamed.

Smyet mok ?

Saïda.

Nimirou d’la carte ?

BJ288952.

Vous avez été sacrée meilleure actrice dans la catégorie Orrizonti à la 77e édition de la Mostra de Venise, pour votre rôle dans ‘Zanka Contact’. C’est tout frais, mais cette distinction ouvre pour vous une perspective nouvelle dans le monde du 7e art, non ?

Je ne sais pas encore. A la base, je ne m’attendais pas à jouer dans ce film, je ne m’attendais pas à recevoir ce prix, non plus. C’est assez nouveau pour moi, mais je garde en tête que des fois, il y a des comédiens et comédiennes qui sont sacrés dans de grands festivals, mais qui finissent par tomber dans l’oubli.

On ne l’espère pas…

Moi non plus, j’espère pouvoir continuer à faire des films, car l’expérience de tourner avec Ismaël El Iraki a été formatrice. Mon personnage a un background psychologique très lourd. Quand on a terminé le tournage, je n’avais qu’une seule envie, faire autre chose, avoir de la distance avec le projet.

“Et quand j’ai appris que j’ai gagné le prix à la Mostra, je n’ai rien compris, j’étais abasourdie!”

Khansa Batma

En plus, je n’ai pas pu aller à Venise à cause de la situation sanitaire. D’ailleurs, je n’ai toujours pas vu le film, et je n’ai pas envie de le voir dans de mauvaises conditions, sur un ordinateur ou à la télévision. Et quand j’ai appris que j’ai gagné le prix à la Mostra, je n’ai rien compris, j’étais abasourdie!

Lors du speech de réception du prix, Ismaël El Iraki, qui était sur place, a appelé à plus d’inclusivité dans le choix des acteurs, car, dit-il, “prendre des risques, ça paie!”. Qu’en dites-vous ?

Il a entièrement raison, c’est sur la base de ce principe-là que j’ai pu avoir le rôle de Rajae. Ce n’est qu’en prêchant l’inclusivité qu’on pourra élargir l’imaginaire dans le cinéma. L’industrie occidentale est assez puissante et omniprésente dans le milieu du 7e art, c’est tout à fait mérité, mais en même temps, nous sommes dépendants de cette industrie.

C’est pour cette raison qu’il est important d’avoir des représentations éclectiques dans cette industrie. Qu’il y ait des Africains ou des Asiatiques qui proposent de nouveaux regards dans le cinéma…

Il y a plus d’une décennie, Ismaël El Iraki a jeté son dévolu sur vous pour incarner le personnage de Rajae, et malgré les difficultés auxquelles il a fait face pour produire le film, il a tenu bon. Vous y croyiez aussi ou pensiez-vous que c’était peine perdue dans une industrie de plus en plus conformiste?

“Dans Zanka Contact, on parle de prostitution, mais ce n’est pas le cœur du film. Ce n’est pas un film réaliste”

Khansa Batma

Évidemment que j’y croyais! À l’époque, Ismaël n’arrivait pas à trouver des producteurs, car beaucoup d’entre eux perçoivent le Maroc via le prisme de ses stéréotypes. Par exemple, dans Zanka Contact, on parle de prostitution, mais ce n’est pas le cœur du film. Ce n’est pas un film réaliste. Donc oui, j’étais convaincue qu’il allait réussir à monter le projet, mais par contre je n’étais pas sûre qu’il allait refaire appel à moi. Dix ans ont passé entre le casting et la réalisation du film.

Bon, on est devenus amis, on a gardé le contact, mais pour moi, je ne convenais plus au personnage de Rajae. Je me rappelle quand il m’a recontactée en 2018 pour me dire qu’il a réussi à réunir les fonds nécessaires, j’étais super contente, mais je lui parlais tout en m’excluant du projet. Il était contre, je lui ai expliqué que je n’avais plus le même âge, que je ne correspondais plus au personnage qui devait initialement avoir la vingtaine. Il fallait revoir certaines choses et il m’a dit on reverra ce qu’il faut revoir, mais l’essentiel, c’est qu’on le fasse ensemble. Et on l’a fait.

Le réalisateur a fait le choix de tourner en 35 mm, vous deviez donc jouer dans les conditions du live, comme au théâtre, avec une seule prise. Qu’est-ce que vous retenez de cette expérience?

C’était très difficile, il fallait énormément bosser chaque scène, avant qu’elle ne soit filmée. On devait à chaque fois être prêts pour ne pas avoir à refaire la prise. C’est hyper stressant, ça fait peur, mais j’ai eu la chance d’être entourée par des comédiens professionnels qui ont beaucoup d’expérience et ça m’a rassurée et mise en confiance. Donc, cette expérience a été marquée par beaucoup de bienveillance, et c’est très important pour une comédienne débutante comme moi.

Et si vous deviez choisir une scène marquante, ce serait laquelle ?

Il m’est difficile d’en choisir une. Pour vous situer, Rajae est un personnage assez fort qui est tout le temps en colère. Elle a été violée à 16 ans, s’est retrouvée à un âge précoce dans le milieu de la prostitution. Elle a aussi un rapport très complexe avec son maquereau, qui la protège de la rue, mais qui monnaie son corps… C’est donc des situations très difficiles psychologiquement, du coup, toutes les scènes sont fortes et intenses…

Après la Mostra, le film est sélectionné dans deux autres festivals, Londres et Busan. Le succès critique de ‘Zanka Contact’ prouve-t-il que nos réalisateurs peuvent faire des films de qualité sans tomber dans les clichés nauséabonds sur le Maroc?

“Le message de Ismaël avec Zanka Contact est de dire qu’on a le droit de faire un cinéma différent. On gagnerait à mettre en valeur différents genres de cinéma”

Khansa Batma

Au Maroc, il y a une tendance à faire du cinéma de revendication, et ce n’est pas mauvais en soi. Ça le devient quand on utilise la revendication pour attirer les investisseurs étrangers, qui préfèrent ce cinéma revendicatif. Le message de Ismaël avec Zanka Contact est de dire qu’on a le droit de faire un cinéma différent. On gagnerait à mettre en valeur différents genres de cinéma.

Et votre confinement, vous l’avez vécu comment?

Je suis de nature assez casanière, donc le confinement n’a pas vraiment changé mon mode de vie. C’était beaucoup de lecture, de visionnage de films, de travaux manuels… Par contre, ce qui est contraignant, c’est de ne pas pouvoir me déplacer quand ça me chante.

Juste avant l’éclatement de la crise sanitaire, vous avez annoncé l’intention de porter plainte pour diffamation contre certains internautes qui insultaient votre famille. Que s’est-il passé? Où en est cette affaire?

À l’époque, j’étais en plein tournage du prochain film de Driss Roukh et j’apprends sur les réseaux sociaux que mon frère et moi aurions créé un faux compte pour nuire à notre cousine Dounia. J’ai vu avec mon avocat, on a établi des constats, mais j’ai décidé de ne pas aller jusqu’au bout de la démarche.

Avec le temps, ça ne vous pèse pas d’être toujours ramenée à votre famille?

C’est plutôt assez difficile, les gens ont tendance à projeter sur vous l’héritage de votre famille. Or, mon père ou mon oncle représentaient une certaine époque, on vit aujourd’hui dans une autre… Après, on n’y peut rien, car la relation entre un artiste et son public est émotionnelle et non rationnelle.

Et la musique alors, depuis “The dark album” en 2009, vous avez déposé le mic. Pourquoi?

Pendant plusieurs années, je me suis concentrée sur la scène. Avec mon groupe, on a composé plusieurs morceaux qu’on ne jouait qu’en concert, qu’on n’a pas enregistrés, mais je m’en foutais. Enregistrer, faire un album, le présenter aux radios, faire des clips, ça ne me dit plus rien. Je suis une personne qui n’aime pas être stressée et le monde de la musique est bourré de stress.

 

LE PV

Zanka Contact d’Ismaël El Iraki, c’est l’histoire passionnelle de Rajae et Larsen, deux warriors qui défient le monde au nom de leur amour et de la musique. Elle est prostituée, lui est un rockeur en déclin, ils s’entichent l’un de l’autre et devront, à un moment donné, prendre le large pour sauver leurs peaux.

C’est un film très cinématographique qui repose sur la mise en scène, tourné en pellicule 35 mm, avec un style très hollywoodien… On a des concerts de métal, des fusillades, des serpents venimeux, une esthétique très forte ”, nous résumait le réalisateur quelques semaines avant l’avant-première du film à la 77e édition de la Mostra de Venise.

Khansa Batma, qui incarne Rajae et fait des premiers pas flamboyants au cinéma, y a remporté le prix de la meilleure actrice dans la section Orizzonti. Ce prix, la chanteuse ne s’attendait pas du tout à le recevoir. Raison de plus de savourer pleinement cette consécration.