L’escalade des tensions cette semaine entre les ex-alliés autour de la volonté du Royaume-Uni de revenir en partie sur l’accord déjà signé encadrant sa sortie de l’UE risque de compliquer les discussions prévues la semaine prochaine à Bruxelles pour arriver à un accord commercial et éviter un “no deal” à haut risque le 1er janvier. Samedi, Boris Johnson avait imputé à Bruxelles l’origine de leur dispute, affirmant qu’il était contraint de revenir en partie sur ses engagements face à la “menace” que l’UE instaure un “blocus alimentaire” en Irlande du Nord.
“Ce n’est tout simplement pas le cas”, a réagi dimanche sur Sky News la ministre irlandaise de la Justice, Helen McEntee, “toute insinuation selon laquelle cela va créer une nouvelle frontière est tout simplement fausse”. Le ministre irlandais des Affaires étrangères Simon Coveney a lui aussi réfuté les mises en garde britanniques, soulignant sur la BBC que l’attitude du gouvernement “portait atteinte à la réputation du Royaume-Uni en tant que partenaire de confiance”.
À l’origine de la dispute se trouve un projet de loi que le gouvernement britannique a présenté mercredi au Parlement et qui contredit en partie l’accord déjà signé encadrant la sortie du Royaume-Uni de l’UE — une manœuvre violant le droit international, du propre aveu de Boris Johnson. Ce texte controversé donnera à Londres le pouvoir de prendre unilatéralement des décisions commerciales dans sa province d’Irlande du Nord, pouvoirs censés être partagés avec les Européens selon l’accord de Brexit.
Il enfreint ainsi des dispositions clés du traité conclu l’an dernier, qui vise à assurer une concurrence loyale après le Brexit et à éviter le retour d’une frontière, conformément à l’accord de paix de 1998 qui a mis fin à trois décennies de troubles dans la province.
“Il est temps pour le gouvernement britannique de prendre ses responsabilités”, a réagi dimanche sur Twitter le président du Conseil européen Charles Michel, l’exhortant à mettre complètement en œuvre l’accord déjà signé, car “la crédibilité internationale de la signature du Royaume-Uni est en jeu”. Dans une interview publiée dans le Parisien, le secrétaire d’État français aux Affaires européennes Clément Beaune a lui jugé “inconcevable” qu’une “grande démocratie” comme le Royaume-Uni “revienne sur un texte qu’ils ont eux-mêmes négocié et voté, reniant la parole donnée”.
Malgré les mises en garde européennes, Boris Johnson souhaite adopter au plus vite cette législation, entamant dès lundi l’examen du texte à la Chambre des communes, où il dispose d’une majorité de 80 sièges. Il est cependant critiqué au sein de son propre camp, certains députés conservateurs rebelles menaçant de ne pas voter le texte et demandant au ministre de la Justice Robert Buckland de démissionner pour marquer son désaccord. “Si je constate une violation de l’État de droit que je considère inacceptable, alors bien sûr je partirai”, a déclaré M. Buckland sur la BBC. Mais “je ne crois pas que nous allons arriver à ce stade”.
Le chef de l’opposition, le travailliste Keir Starmer, a demandé dans le Sunday Telegraph au Premier ministre de revenir sur son projet de loi, le jugeant “mauvais” et “contre-productif”, afin “d’avancer sur le Brexit” pour mieux s’occuper de la crise sanitaire. Pour autant, le gouvernement britannique ne semble pas enclin à céder, ayant déjà rejeté jeudi l’ultimatum de Bruxelles lui intimant de retirer son projet de loi avant fin septembre, sous peine de poursuites judiciaires.
Les dirigeants du Parlement européen avaient menacé vendredi d’opposer leur veto à tout pacte commercial si Londres ne tenait pas ses promesses. Un “no deal” avec le Royaume-Uni serait “une mauvaise nouvelle”, “mais on se prépare”, a prévenu Clément Beaune, ajoutant que le gouvernement français se “réunira sous peu pour accélérer et intensifier les préparatifs, avec tous les scénarios. Y compris le no deal”.