Scènes de chaos à la gare routière Ouled Ziane après l’interdiction de déplacement

TelQuel Arabi a passé quatre heures de la nuit de dimanche à lundi à la gare routière Ouled Ziane, où des milliers de personnes ont afflué avec l’espoir de fuir Casablanca, à quelques jours d’Aid Al Adha. Reportage.

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La gare routière Ouled Ziane prise d'assaut par les voyageurs, dans la soirée du dimanche 26 juillet 2020. Crédit: Ahmed Mediany/TelQuel

Ce dimanche 26 juillet au soir, à la gare routière Ouled Ziane, le destin de milliers de Marocains était entre les mains de “courtiers” et autres intermédiaires de la vente de billets de bus. Carnets en mains, ils étaient suivis par des hordes de voyageurs alarmés par la décision du gouvernement, quelques heures plus tôt, d’interdire les déplacements depuis et vers huit villes du royaume, à moins d’une semaine d’Aid Al Adha. Plongée en dystopie.

Courage, fuyons

Dans le ciel de la gare, hurlements, pleurs et bêlements de moutons se mêlent, créant une atmosphère post-apocalyptique où la police tente tant bien que mal de mettre des contraventions, avec tout de même une certaine indulgence lorsqu’il s’agit de faire respecter les précautions sanitaires.

Pas de contrôle d’identité aux portails de la gare, pas de surveillance du respect de la distanciation physique. Le Covid-19 n’est plus qu’un lointain souvenir

Il est dix heures, trois heures après le communiqué conjoint des ministères de l’Intérieur et de la Santé annonçant l’interdiction de déplacement depuis et vers Casablanca, Fès, Meknès, Marrakech, Tanger, Tétouan, Berrechid et Settat. Si l’intérêt de cette décision était de limiter les flux entre les centres urbains enregistrant des hausses significatives de cas de Covid-19, ses conséquences sont désastreuses.

Sur la rocade, plusieurs barrages de police ont été installés pour dissuader les citoyens d’accéder à la gare. Rejoindre Ouled Ziane depuis les quartiers centraux de Casablanca, ce qui est habituellement possible en 30 minutes, même en heure de pointe, s’est transformé cette nuit-là en un cauchemar trois fois plus long, entre accidents de la circulation et klaxons assourdissants.

Pas de contrôle d’identité aux portails de la gare, pas de surveillance du respect de la distanciation physique. Le Covid-19 n’est plus qu’un lointain souvenir. Ce dimanche soir, la vie de milliers de voyageurs s’est transformée en course contre la montre, aux allures de grande évasion avant que minuit ne sonne.

Sous la banderole de tissu invitant en lettres rouges les usagers à “respecter la distanciation sociale d’un mètre”, des dizaines de corps sont amassés, gesticulant dans tous les sens, sans masques mais pleins d’espoir. “Après 20 heures, nous avons été surpris par l’afflux de concitoyens en grand nombre”, raconte un agent de sécurité se démenant pour résister à une horde de voyageurs déchaînés par les hurlements d’un courtier sans scrupules.

J’ai arrêté de prendre la température des usagers”, avoue non sans peine l’agent, en pointant du doigt le thermomètre électronique calé entre son bassin et son pantalon. “J’ai eu peur qu’on me le vole et que je doive le payer de ma poche.

Pris en otage

Maçon, Farid avait prévu de se rendre auprès de sa famille à Errachidia ce mardi 28 juillet, mais lorsque le communiqué du gouvernement est tombé, il s’est empressé de rejoindre la gare Ouled Ziane, espérant y décrocher un ticket qui lui permettra de passer la fête avec les siens. “Pour l’instant, je n’ai pas pu trouver de billet, j’ai quelques promesses de certains courtiers, mais les prix sont exorbitants. 500 dirhams pour un aller simple avec départ à l’aube, les khettafas (transporteurs clandestins, ndlr) en demandent 700 !”, témoigne-t-il.

Sur place, la folie spéculatrice des courtiers a atteint des sommets. Un billet pour Agadir coûte 500 dirhams, contre 350 avant le fameux communiqué

Sur place, la folie spéculatrice des courtiers a atteint des sommets. Un billet pour Agadir coûte 500 dirhams, contre 350 avant le fameux communiqué. Le trajet d’une heure pour Rabat, dont le prix ne dépasse habituellement jamais les 30 dirhams, se vend à 50 dirhams, alors qu’il faut dépenser 260 dirhams pour espérer monter dans un bus à destination de Fès. “Nous n’avons pas les moyens humains de contrôler tout cela”, reconnaît un responsable de la gare.

Adossé aux barres d’une grille en fer, non loin du portail de sortie des bus, un homme d’un certain âge, appuyé sur sa canne noire. Il s’est retrouvé coincé avec son mouton, à moins de deux heures de sa destination. Son unique souci est de faire parvenir la bête à Kénitra. “Emmenez-le et je vous donnerai tout ce que vous voudrez”, lance-t-il à qui veut bien l’aider.

L’esplanade de la gare routière est désormais le théâtre d’une dystopie nocturne pour des dizaines d’âmes errant avec leurs bêtes à la recherche d’un bout de papier synonyme de délivrance, telle cette quadragénaire en djellaba noire aux manches mouillées par la sueur et les larmes, qui accoste les passants avec de grands mouvements de la main qui semblent décrire un homme, faux courtier ayant empoché l’argent d’un hypothétique billet, qui s’est évaporé dans la nuit.

Par Ahmed Mediany pour TelQuel Arabi