Nous sommes condamnés à vivre ensemble.” C’est avec une formule qui peut laisser place à de nombreuses interprétations que le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, s’est une nouvelle fois exprimé sur les relations qu’entretient son pays avec le Maroc.
Dans un entretien exclusif accordé au quotidien français L’Opinion, l’homme parvenu à la présidence en décembre 2019 est revenu sur la séquence actuelle entre les deux pays, en proie à certains signes de tension. “Il y a toujours eu une surenchère verbale et politique entre nos pays”, a-t-il expliqué ce lundi 13 juillet. “En ce qui nous concerne, nous n’avons aucun problème avec le Maroc et sommes concentrés sur le développement de notre pays. Nos frères marocains ne semblent pas être dans le même état d’esprit.”
Interrogé sur la construction de structures militaires de part et d’autre de la frontière, et qui ont mis de l’eau dans le gaz dernièrement dans la relation diplomatique entre les deux pays, Abdelmadjid Tebboune appelle à un arrêt de la surenchère. “La construction de bases militaires à nos frontières est une forme d’escalade qui doit s’arrêter.”
“Approche dogmatique”
Une réponse à la séquence pleine de crispation qui anime les deux pays. Depuis le 21 mai et l’annonce, dans le Bulletin officiel marocain, d’un décret d’expropriation sur un lot de 23 hectares pour construire un établissement militaire à 40 kilomètres de la frontière, pouvoirs publics et médias algériens ont perçu comme une agression les visées d’un tel établissement.
Ces derniers y voient une base militaire “servant à l’espionnage”, quand les Forces armées royales marocaines arguent qu’il s’agit seulement d’une “petite caserne à vocation d’hébergement de troupes”. Quoi qu’il en soit, l’État major algérien n’a pas tardé à répliquer en annonçant également la construction d’une base militaire dans l’Ouest algérien.
Le président algérien y voit, lui, un lien direct avec le Sahara. “Pour eux, la République arabe sahraouie est de trop sur l’échiquier international, a-t-il expliqué, mettant en lien le Sahara et la construction de la caserne. C’est à eux d’engager le dialogue avec le Polisario. Si les Sahraouis acceptent leurs propositions, nous applaudirons”, a-t-il déclaré, qualifiant l’approche algérienne “sur les mouvements indépendantistes” de “presque dogmatique”.
Ce n’est pas la première fois qu’au cours d’un entretien accordé à la presse, le président algérien évoque la question du Sahara comme éternelle pomme de discorde entre les deux pays. Alors fraîchement élu président algérien, au terme d’un scrutin décrié par la rue et le mouvement du Hirak, Abdelmadjid Tebboune avait évoqué le Sahara comme “la principale cause du conflit” entre les deux voisins, se disant “extrêmement sensible lorsqu’il s’agit de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de notre pays”.
Une ligne de conduite qu’il avait maintenue lors de la campagne présidentielle, à la mi-novembre, où il expliquait que c’était au Maroc de régler la situation et préconisait déjà “l’autodétermination” des populations sahraouies. “C’est à eux de savoir s’ils veulent être Marocains — dans ce cas, que Dieu leur facilite — ou s’ils souhaitent être libres.”
“Je ne compte pas m’éterniser au pouvoir”
Autre aspect relevé dans l’interview, la question libyenne. Le président algérien est revenu sur la situation en Libye, dans laquelle la diplomatie algérienne s’est imposée comme l’interlocuteur maghrébin en charge de cette question discutée internationalement. “Le rétablissement de la stabilité de notre voisin est un enjeu de sécurité nationale. Nous sommes preneurs de toutes les actions qui peuvent permettre d’obtenir un cessez-le-feu, a-t-il expliqué, insistant sur le fait que l’Algérie entretient “une relation étroite avec les Américains et tous les pays impliqués dans la crise libyenne”.
Des pays dont, à l’échelle régionale, le Maroc ne semble pas faire partie : “Le cessez-le-feu n’est que le début de la solution. Les voisins algériens, tunisiens et égyptiens sont le plus à même d’aider le pays à retrouver le chemin de la paix.”
Au cours de l’entretien accordé à L’Opinion, le président algérien est revenu sur sa position de président. En n’indiquant clairement ne pas vouloir imiter son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika, resté près de 20 ans au pouvoir avant que n’explose le mouvement du Hirak dès février 2019. “Je ne compte pas m’éterniser au pouvoir”, a-t-il affirmé, précisant qu’il “faudrait d’autres conditions” pour pouvoir songer à réaliser un second mandat. “Je me suis porté candidat à la présidentielle au nom de la société civile et des jeunes, détaille-t-il à la presse française. Je suis en train de construire des institutions, si le peuple les accepte, où ces deux composantes seront majoritaires.”
L’occasion, enfin, de revenir sur la relation franco-algérienne. Des partenaires qu’il qualifie “d’incontournables” l’un pour l’autre et pour lesquels, deux historiens, un pour chaque pays, mèneront “un travail mémoriel de vérité”, sous la tutelle des deux présidents, Emmanuel Macron côté français et lui-même. L’historien, Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire contemporaine du Maghreb et plus particulièrement de l’Algérie, a déjà été nommé côté français. Son homologue algérien devrait l’être dans “les 72 heures”.
Un travail afin de parvenir à une “reconnaissance de l’État français de ses actes”, en Algérie. Début juillet, Abdelmadjid Tebboune avait déclaré, à la chaîne de télévision France 24, attendre des excuses de la France pour la colonisation de l’Algérie afin “d’apaiser le climat et le rendre plus serein”.