C’était un homme à une rigueur morale inattaquable. Très sévère envers lui-même, il demande la même chose des autres, d’être à la hauteur de sa rectitude et de son engagement. Sur le plan professionnel, il surprenait toujours les collègues et confrères avec sa connaissance très large de l’actualité. Pour moi, l’une des premières preuves de mon engagement était justement une épreuve. Quelque temps après sa nomination par Hassan II, nous avons publié les mémoires de Mohamed Raiss, l’ancien détenu de Tazmamart dans les colonnes d’Attihad Al Ichtiraki.
Ce livre avait levé le voile sur beaucoup de mystères sur les deux tentatives de coup d’État ainsi que les conditions inhumaines du mouroir. Mais cette œuvre a également fait l’objet de critiques virulentes de la part des caciques du Makhzen. Abderrahmane Youssoufi faisait alors l’objet de pression médiatique et je suppose qu’il devait subir d’autres types de pression. Il m’avait demandé de justifier la publication des mémoires d’un ancien militaire ayant passé 18 ans dans un mouroir. Je lui ai répondu qu’une vérité cachée pouvait devenir dangereuse. C’était un exercice de catharsis collective et un moyen de réconciliation. Il m’a donné raison et m’a encouragé à continuer malgré les pressions et la cabale orchestrée à son encontre. Le Premier ministre ne faisait pas la joie de nombreuses personnalités de l’ancien régime et était en train de déballer la vérité sur Tazmamart via le journal du parti.
J’étais également présent le jour où il a présenté sa démission (du premier secrétariat de l’USFP) à travers les colonnes du journal. Ce jour-là, nous avons effectué un bouclage tardif, car la date coïncidait avec l’anniversaire de la disparition de feu Mehdi Ben Barka, son mentor et camarade. Ssi Abderrahmane nous a priés de rester jusqu’à nouvel ordre. La démission nous a été envoyée par fax. J’avais ensuite écrit un éditorial qui a créé des remous et qui a suscité de nombreuses réactions dans le microcosme politique.