Le calvaire des étudiants africains confinés en France

Nombreux sont les étudiants originaires du continent africain à être bloqués en France à cause de la crise sanitaire, qui voient leurs conditions de vie se détériorer. Récit de Papa Oumar Ndiaye, doctorant en sociologie à l’Université de Poitiers.

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Etudiants logeant au CROUS de Poitiers, début avril : Nelly (Burundaise), Khaled (Algérien), Chris (Togolais), Papa Oumar (Sénégalais), Michel (Guyane française), Oumar (Nigérien), Maurin (Gabonais). Crédit: P.O Ndiaye

Achille, 24 ans, erre dans les couloirs du CROUS de Poitiers. Depuis le début du confinement, cet étudiant sénégalais en Master 2 géographie, doit choisir entre payer son loyer ou dépenser ses épargnes pour vivre. Il a fait son choix : “Je préfère avoir de quoi manger. J’ai deux mois d’arriérés de loyers en ce moment, mais qu’est-ce que tu veux ? De toute façon, il ne me reste plus rien.”

Le parcours d’Achille n’est pas différent de celui de nombreux étudiants que j’ai observés dans le cadre de mes recherches doctorales sur la condition d’étudiant africain en France.

Le président de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France, Thierno Laye Fall, déclarait dans un article du Monde paru le 11 avril que de nombreux cas d’étudiants africains en détresse lui étaient régulièrement remontés. Ces derniers subissent en effet les conséquences des décisions politiques de leurs pays d’origine, mais aussi la précarité estudiantine qui règne dans leur pays d’accueil.

Des étudiants promis à un bel avenir

Achille, originaire de Dakar, est arrivé en France en 2017. Il n’est pas boursier, bien qu’il en ait fait plusieurs fois la demande. Il fait partie des quelque 343.000 étudiants étrangers accueillis en France en 2019, selon le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Ce nombre important représente 5 % des 5.100.000 étudiants internationaux en mobilité dans le monde qui ont choisi la France en 2019, le premier pays non anglophone accueillant des étudiants non européens.

Un étudiant sénégalais dans sa chambre au CROUS de Poitiers. © P.O. Ndiaye

À l’horizon 2030, le nombre des étudiants en mobilité dans le monde devrait dépasser les 10 millions d’individus. Aujourd’hui, 46 % des étudiants étrangers en France sont originaires du continent africain. Le Maroc est le premier pays d’origine des étudiants étrangers (12 %), suivi par l’Algérie (9 %), la Chine (9 %), l’Italie (4 %), Tunisie (4 %), le Sénégal (soit 3 %).

Ces étudiants internationaux indiquent souvent souhaiter rentrer dans leurs pays pour y poursuivre des carrières prestigieuses et constituer ainsi une future élite impliquée dans l’avenir politique de leurs nations respectives.

Leurs transferts de fonds, de technologies, de projets d’investissement sont également conséquents. Comme l’a rappelé le démographe Hervé Le Bras, “ils serviront souvent de trait d’union entre leur pays de naissance et le pays où ils auront été diplômés”. Pourtant, leur avenir semble aujourd’hui compromis par la crise sanitaire.

L’impossible retour au pays

Le 15 mars, lorsque le confinement est annoncé, tous les étudiants (y compris moi-même) locataires dans des résidences universitaires ont reçu une lettre expliquant : “Les consignes nationales nous imposent de vous demander de quitter votre logement d’ici le mercredi 18 mars 2020.

Ce calendrier très serré pour quitter son logement s’est encore accéléré avec l’annonce du président de la République indiquant que le mardi 17 mars à midi devenait désormais le dernier délai possible pour rejoindre son lieu de domicile régulier, c’est-à-dire le pays d’origine.

Que font les gouvernements sénégalais, marocain, togolais pour leurs ressortissants étudiants en France depuis le début de la pandémie ?

Cette période a été vécue comme particulièrement angoissante. Pour beaucoup d’entre nous, prendre un avion de façon précipitée est financièrement impossible. Rappelons que le montant de la bourse varie entre 300 et 600 € selon que l’étudiant fait ses études à Paris ou dans une autre région de France. Or le prix des billets d’avion pris la veille pour le lendemain peut monter jusqu’à plus de 1000 €. Peu à peu, cette mesure devient impossible à suivre : la plupart des vols sont annulés, et les trains ne circulent plus.

Nombreux sont donc les étudiants à Poitiers et partout en France qui se sont mobilisés à travers des associations ou conseils de résidence pour pouvoir garder leur logement en cité CROUS. J’ai personnellement participé à ces mouvements pour tenter de trouver des solutions.

À Poitiers, le CROUS propose une distribution de pain tous les deux jours aux étudiants, et ponctuellement d’autres denrées. Mais surtout, l’organisme a mis en place un système de consultations par téléphone que moi-même et deux autres étudiants encadrons.

Distribution de pain et denrées alimentaires au CROUS de Poitiers. © P.O. Ndiaye

Il s’agit d’appeler une fois toutes les semaines tous les étudiants confinés pour prendre de leurs nouvelles. C’est lors de ces appels que l’on apprend que certains restent plusieurs jours sans avoir de quoi manger, que d’autres ont perdu leur “petit boulot” mais ne peuvent bénéficier du chômage partiel puisqu’ils étaient intérimaires, que certains n’ont aucune aide tandis que d’autres ont entendu parler d’un soutien hypothétique venant de leur pays d’origine…

Nous nous sommes ainsi demandé, de façon assez légitime : que font les gouvernements sénégalais, marocain, togolais pour leurs ressortissants étudiants en France depuis le début de la pandémie ?

Volte-face du Sénégal

L’exemple du Sénégal est assez intéressant. Tout au début de la pandémie en Chine, de nombreux gouvernements (occidentaux surtout) avaient commencé à rapatrier leurs citoyens. Interrogé sur le sort de la douzaine d’étudiants sénégalais à Wuhan, le président du Sénégal Macky Sall déclarait ceci le 3 février 2020 : “Le Sénégal n’a pas les moyens de rapatrier ses compatriotes.

Ce discours a choqué beaucoup d’étudiants et autres observateurs, mais paradoxalement, il a été salué par de nombreux Sénégalais pour qui les rapatrier pourrait exposer le pays au virus. Le Sénégal compte pourtant aujourd’hui plus d’un millier de personnes infectées. Face aux nombreuses critiques, le gouvernement Sall a enfin “envisagé” de mieux intégrer “sa” diaspora dans sa politique de lutte contre la pandémie.

Vraisemblablement, si “les Sénégalais de l’extérieur” — en France ici — remplissent le formulaire qui leur est destiné, ils pourront bénéficier d’une aide, “un forfait minimal de 200 € qui pourra être revalorisé en fonction de la situation de certains étudiants (en particulier ceux directement atteints par la pandémie du Covid-19).”

La formulation laisse toutefois perplexe lorsque l’on sait que tous les étudiants, comme l’ensemble de la population en France, peuvent être directement touchés par l’épidémie.

Une précarité financière accentuée

Le fait aussi que cette aide concerne prioritairement les étudiants non boursiers est aussi assez révélateur. En temps normal, le taux d’étudiants boursiers (bourses obtenues du Sénégal) tourne autour de 35 à 40 % environ. Il est difficile d’avoir les chiffres exacts, mais lorsqu’on qu’on fait le prorata entre les 3900 allocataires annoncés en 2015 par le service de gestion des étudiants à l’étranger et le nombre d’étudiants actuellement en France (10.974), on pourrait estimer le nombre de non-boursiers à près de 7000.

Si le projet du gouvernement sénégalais semble insuffisant, il a cependant le mérite d’exister et compte comme le seul en Afrique de l’Ouest actuellement

En dehors d’un soutien de leur famille, la majorité de ces étudiants dépendent d’un “petit boulot” pour vivre, comme je l’ai constaté dans le cadre de mes recherches doctorales. Enfin, le montant du loyer de la chambre de 9m2 où sont confinés la plupart de ses étudiants est de 236 €/mois. Le montant de cette aide paraît alors bien peu.

Si le projet du gouvernement sénégalais semble insuffisant, il a cependant le mérite d’exister et compte comme le seul en Afrique de l’Ouest actuellement. Ainsi, un étudiant togolais me confiait récemment : “Les Sénégalais ont la chance de remplir des formulaires, nous on meurt ici, ils (l’État et ses composants) s’en fichent.” Mes discussions avec des étudiants marocains, nigériens, algériens vont dans le même sens. Un jeune nigérien me déclarait avec indignation : “Nous, on nous demande même de contribuer à l’effort national, de faire des dons.”

Dans l’ensemble, aucun des États d’origine des étudiants n’a mis en place une politique de prise en charge réelle pour ses ressortissants. Vers qui ces étudiants peuvent-ils alors se tourner ?

En France, options limitées

En France, le ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur reste discret à leur sujet. On lit ainsi sur le site officiel du Ministère que la précarité étudiante et la situation des étudiants français à l’étranger sont au cœur des préoccupations ministérielles.

Mais les cas d’étudiants étrangers et leur situation sur le sol français ne sont soulevés qu’à travers le prisme du titre de séjour : “Les étudiants internationaux engagés dans une formation en France et dont le titre de séjour arriverait prochainement à expiration feront l’objet d’une attention spécifique du gouvernement. Une disposition spécifique du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 permettra au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles afin de prolonger leurs titres de séjour.

#BienvenueEnFrance

Il y a seulement quelques mois, on acclamait les étudiants étrangers, “une chance pour la France”, accueillis sous la bannière #BienvenueEnFrance. L’argument politique majeur était de permettre un meilleur accueil à tous ces étudiants non européens. Ces mêmes étudiants invités à rentrer chez eux et leur sort demeurent peu médiatisés.

La crise sanitaire est une épreuve de plus pour cette migration étudiante originaire du continent africain

Aujourd’hui, nous essayons tant bien que mal de poursuivre normalement nos études, comme nos collègues français. Les difficultés restent malgré tout très préoccupantes. La crise sanitaire est une épreuve de plus pour cette migration étudiante originaire du continent africain. Les premières crises économiques des années 1970 se sont ainsi accompagnées d’une baisse des nombres de bourses.

Cette crise sanitaire, parce qu’elle a des conséquences économiques, accentuera sans aucun doute les inégalités sociales, notamment l’accès au numérique pour les étudiants. J’ai bien peur aussi que le déconfinement ne présente pas une réelle solution puisque certains étudiants ne pourront pas retrouver rapidement un travail d’appoint pour préparer la rentrée. L’été semble ainsi compromis et s’annonce bien morose.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original, signé Papa Oumar Ndiaye, doctorant en sociologie, Université de Poitiers, laboratoire GRESCO. Spécialité : Migration internationale des étudiants, Université de Poitiers