Que pensent les politiques du projet de loi polémique sur l’utilisation des réseaux sociaux ?

La colère autour d’une version du projet de loi sur l’utilisation des réseaux sociaux ne faiblit pas du côté des internautes, mais qu’en pensent les politiques ? De la majorité à l’opposition, tour d’horizon.

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Les extraits d’une version du projet de loi relatif à l’utilisation des réseaux sociaux n’en finissent pas de faire jaser. Et les tentatives du gouvernement pour contenir la colère de l’opinion publique ne semblent pas être efficientes. En 24 heures, une pétition lancée contre le très contesté projet de loi — adopté le 19 mars en conseil de gouvernement puis soumis à des commissions technique et ministérielle pour être revu à cause de dissensions au sein de l’Exécutif — a atteint plus de 19.000 signatures.

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Après les internautes, ce sont les hommes politiques qui se sont joints au débat. Qu’en pensent-ils ? Entre prudence et véhémence, les réponses contrastent selon où ils se situent sur l’échiquier politique.

Slimane El Omrani, secrétaire général adjoint du PJD

“Pour le moment, il n’y a pas de position officielle du PJD, car nous n’avons toujours pas tenu la réunion du secrétariat général, mais ce que je peux dire, c’est que la version qui circule est ancienne et dépassée.”

“J’estime que le débat autour de ce projet de loi, dans le contexte actuel, est imprudent”

“La commission technique a terminé son travail, elle a envoyé sa version du projet de loi à la commission ministérielle, présidée par le chef du gouvernement. Cette dernière table actuellement dessus. Et c’est cette nouvelle version qui sera envoyée au Parlement. À ce moment-là, on pourra discuter de la teneur du projet. De manière générale, je pense que tous les textes législatifs qui ne sont pas en phase avec les principes constitutionnels ne sont pas acceptables.”

“Personnellement, j’estime que le débat autour de ce projet de loi, dans le contexte actuel, est imprudent. A-t-on aujourd’hui besoin d’un nouveau projet de loi sur l’utilisation des réseaux sociaux ? Les autorités publiques peuvent user de dispositions juridiques existantes qui leur permettent d’appliquer la loi. Il est donc préférable d’ajourner les textes qui ne font pas l’unanimité, car ce n’est pas le moment ! Ce projet de loi a une grande portée, on ne peut pas le discuter maintenant.”

Rachid Talbi Alami, membre du bureau politique du RNI

“Nous ne pouvons pas nous prononcer sur un projet de loi qui est en cours d’étude par une commission technique, la version qui circule est un draft. Et bien que je trouve normal que les gens expriment leur inquiétude, il est primordial d’attendre la version finale du projet de loi, qui sera déposée au Parlement. À ce moment-là, je pourrai me prononcer dessus. Je pense qu’il est important de ne pas mettre de l’huile sur le feu. Et puis, au sein du gouvernement, il est normal qu’un texte qui fait l’objet de remarques ou oppositions soit revu par des commissions spéciales”.

Abdellatif Ouahbi, secrétaire général du PAM

“Cette affaire démonte que le gouvernement est émaillé par de profondes dissensions internes et c’est vraiment grave ! Je ne comprends pas les explications de l’Exécutif. Le conseil de gouvernement approuve un projet de loi et on nous dit aujourd’hui qu’en fait le texte va être revu par une commission, et que c’est cette nouvelle version qu’il faut prendre en compte. Pourquoi l’avoir adopté s’il a fait l’objet de divergence au sein même du gouvernement ? Cela prouve que l’Exécutif sert les intérêts des grandes puissances économiques au détriment des intérêts des citoyens. Ce gouvernement tente ainsi de faire exploser l’unité nationale en pleine pandémie.”

“Le ministre de la Justice devrait démissionner, car il piétine l’histoire de tout un parti”

“Ce qui est surprenant aussi, c’est qu’un projet pareil soit porté par un ministre USFP. Ce même parti a historiquement subi les affres des dépassements en matière de liberté. Comment se fait-il que le secrétaire général de son parti ne soit pas au courant ? Qu’est-ce qui se passe au juste lors des réunions de la majorité où sont discutés ce genre de sujets ? Je pense que le ministre de la Justice devrait démissionner, car il piétine l’histoire de tout un parti.”

Nourredine Moudian, membre du bureau politique du parti de l’Istiqlal

“Quand j’ai vu les extraits circulant sur les réseaux sociaux, j’ai cru que c’était un poisson d’avril. Je n’arrivais pas y croire. Les citoyens marocains ne peuvent accepter qu’un texte pareil passe, surtout dans le contexte actuel. Ils ne peuvent pas faire fi de leurs acquis constitutionnels et historiques pour lesquels leurs grands-parents, parents, et eux-mêmes se sont battus.”

“J’ai cru que c’était un poisson d’avril”

“Ce gouvernement misérable n’a pas le droit de faire passer ce projet de loi. Et s’il passe, nous allons y faire face au Parlement. Et puis quand Mustapha Ramid explique qu’il n’y a pas eu de consensus autour du texte, cela prouve simplement qu’au sein du gouvernement, il n’y a pas de cohésion ni de coordination. Cela prouve aussi qu’il y a des gouvernements au sein du gouvernement !”

“La question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelle est la partie qui a intérêt à provoquer les Marocains en plein confinement. J’estime que cette affaire est un complot visant à faire vaciller notre unité nationale. Le gouvernement doit faire face à ses responsabilités et ouvrir une enquête à ce sujet pour savoir.”

Hanane Rihab, députée USFP

“Au sein du parti, nous n’avons jamais eu connaissance de ce projet de loi ou de la version qui circule sur les réseaux sociaux. Évidemment, si le texte est déposé tel quel au Parlement, nous n’allons pas l’accepter. Nos limites sont celles du respect des droits et donc de la liberté d’expression.”

“Créer la polémique à des fins électorales démontre une grande immaturité et un manque d’éthique”

“Cependant, je trouve que les agissements de certains ministres sont assez irresponsables. Juste après la fuite des extraits, le mémorandum de Mustapha Ramid a été envoyé à la presse. Créer la polémique à des fins électorales démontre une grande immaturité et un manque d’éthique. Le débat autour de ce projet de loi n’a pas sa place aujourd’hui, nous sommes tous mobilisés pour maintenir l’unité nationale en ces temps difficiles.”

Omar Balafrej, député de la Fédération de gauche démocratique

“Je trouve qu’il est sain que les citoyens se saisissent d’une information quelle qu’elle soit et se mobilisent contre son caractère potentiellement liberticide. Cela montre qu’on a une société civile dynamique, il faudrait qu’elle grossisse et qu’elle s’implique dans la vie politique.”

“Il va sans dire que si un texte liberticide arrive au Parlement, nous allons réagir !”

“En tant que politique, je m’interdis de porter un jugement sur un texte qui n’est pas officiel, qui n’existe pas, qui est fantomatique. Il va sans dire que si un texte liberticide arrive au Parlement, nous allons réagir ! Chennaoui et moi l’avons démontré à maintes reprises en défendant les libertés, très souvent contre l’avis des autres partis politiques.”

“Dans l’absolu, je ne suis pas contre le fait de mettre un cadre juridique pour lutter contre les débordements sur les réseaux sociaux comme les appels au meurtre. Au Maroc, les juges ne reconnaissent pas les preuves puisées sur les réseaux sociaux, donc qu’il y ait un projet de loi dans ce sens, c’est bien, mais nous n’accepterons pas d’éventuels textes liberticides.”

Nabil Benabdallah, secrétaire général du PPS

“Il paraît que les extraits fuités proviennent d’un des cercles du gouvernement, au moment même où le chef du gouvernement m’a assuré que le texte en question n’avait pas été adopté définitivement. Il a été adopté par principe, mais une commission ministérielle travaille encore dessus.”

“Si le gouvernement a des problèmes de cohésion en son sein, il faudrait y remédier autrement, plus tard et pas maintenant”

“Je trouve que les fuites qui ont été opérées dans cette période où il y a une unité nationale, sont irresponsables. Si le gouvernement a des problèmes de cohésion en son sein, il faudrait y remédier autrement, plus tard et pas maintenant. Ce n’est pas le moment de publier ce texte pour régler des comptes et mettre de l’huile sur le feu sur les réseaux sociaux. Et si jamais demain, il s’avère que ce projet de loi est bien le même que le texte qui a fuité, le PPS ne peut que s’y opposer et faire son possible pour revoir les textes qui ne sont pas en phase avec les droits et libertés.”*

*citation tirée d’une vidéo officielle de Nabil Benabdallah publiée le 28 avril au soir.