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Quand on considère le déficit pluviométrique qui s’est fait fortement remarquer dans certaines régions du pays, et qu’on y ajoute la crise pandémique du coronavirus et ses impacts sur la marche normale de l’activité, la saison agricole peut sembler, à l’évidence, quelque peu compromise.
Rachid Benali, 1er vice-président de la Comader (Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural) n’est, cependant, pas totalement de cet avis. Ce professionnel du secteur agricole nous explique qu’avec du recul, c’est principalement la culture céréalière qui a été impactée par les aléas climatiques. “Nous avons assisté à une période de sécheresse sur près de 3 mois selon les régions, ce qui a causé des pertes sur la céréaliculture. De là, on peut dire que nous assistons à une mauvaise saison pour les céréales. Mais pour les autres filières, l’année agricole s’annonce plutôt bien. C’est ce qui me fait dire que, pour l’instant, il n’y a aucune raison de penser le contraire pour l’agriculture de manière générale”, assure-t-il.
Et de nuancer davantage son propos : “Avant, pour nous Marocains, agriculture signifiait céréaliculture, puisque cette dernière représentait 60 % du secteur. Aujourd’hui, cette culture ne représente qu’environ 13 % du secteur agricole. C’est un des aspects du Plan Maroc Vert (PMV) que l’on ne voit pas souvent”. Rachid Benali recourt à une comparaison chiffrée pour étayer son affirmation : “L’agriculture pèse 125 milliards de dirhams, alors que la production agricole céréalière dans une excellente année équivaut à 25 milliards de dirhams, cette dernière ne représente donc plus que 20 %.”
Au rang des filières qui s’en sortent “très bien” aujourd’hui, contrairement à la céréaliculture, notre professionnel du secteur de l’agriculture cite le maraîchage et l’arboriculture. “Pour l’huile d’olive par exemple, nous disposons d’un stock d’une année, sans compter la production qui va arriver en octobre prochain”, souligne le 1er vice-président de la Comader qui porte également la casquette d’Interprolive.
Indemnisation des agriculteurs victimes de sécheresse
Pour indemniser les agriculteurs dans les zones défavorables et moyennement favorables, suite au déficit pluviométrique qui a notamment impacté les cultures céréalières, le ministère de l’Agriculture et la Mamda (Mutuelle agricole marocaine d’assurance) ont démarré, dès le début du mois de mars, des opérations d’expertise pour la déclaration de sinistre. “Les rapports techniques physiques, complétés par des images satellites et/ou drones, sont en cours de finalisation et toutes les dispositions ont été prises pour que les agriculteurs de ces zones soient indemnisés dans les meilleurs délais”, annonçait fin mars le département de tutelle dans un communiqué de presse, conjointement avec la Mamda. Pour ce qui est des zones favorables, les expertises techniques de terrain se poursuivent suivant une planification qui tient compte de l’état végétatif des cultures au niveau des différentes régions, notamment suite aux dernières pluies.
Il est à noter que l’assurance multirisques climatique est le fruit d’un partenariat entre le groupe Mamda-Mcma et le ministère de l’Agriculture. Elle couvre pour l’actuelle campagne une superficie de 1 million d’hectares, avec un capital assuré de 1,1 milliard de dirhams.
Une enveloppe supplémentaire de crédits
Pour contenir l’impact du déficit pluviométrique, le Groupe Crédit Agricole du Maroc (GCAM) a également mis en place un ensemble de mesures pour soutenir la campagne agricole en déployant une enveloppe supplémentaire de crédits de 1,5 milliard de dirhams. Ce montant sera réparti sur trois principaux produits : “Laksiba”, “Filaha Rabiiya” et “Al Ghars”.
Dans le cadre du produit “Laksiba”, une somme de 500 millions de dirhams sera destinée aux agriculteurs qui pratiquent l’élevage d’embouche et l’élevage laitier pour l’achat d’aliments de bétail, les soins vétérinaires, etc. Un montant de 600 millions de dirhams de financement rentre dans le cadre du produit “Filaha Rabiiya”, dont l’objectif est de soutenir les agriculteurs souhaitant mettre en place les cultures printanières programmées ou en remplacement des cultures affectées.
Enfin, 400 millions de dirhams seront destinés au financement et l’entretien de l’arboriculture dans le cadre du produit “Al Ghars”. Ce produit permettra aux agriculteurs d’assurer l’entretien nécessaire à leurs vergers et à la sauvegarde des productions (travaux de taille, d’irrigation, etc.).
Les petits agriculteurs bénéficieront d’un traitement automatique de leurs dossiers qui consiste en un report de leurs lignes de crédit à court terme et un report avec décalage d’une année des échéances de leurs crédits à moyen et long termes. Et pour les autres agriculteurs, la situation de leur endettement sera examinée au cas par cas et des facilités de paiement leur seront accordées selon leur capacité de remboursement. En ce qui concerne le financement des importations de blé et des aliments de bétail par les sociétés importatrices clientes, la banque facilitera les opérations destinées aux compléments d’approvisionnement du marché national.
Un plan d’urgence pour la sauvegarde du cheptel
Hormis la culture céréalière, le déficit pluviométrique a eu également un effet défavorable sur le cheptel, dont la couverture en besoins alimentaires faisait défaut. Pour parer à cette situation, le ministère de l’Agriculture a annoncé, fin mars dernier, la mise en place d’un programme de sauvegarde du cheptel. Ce programme ciblé prévoit la distribution de 2,5 millions de quintaux d’orge subventionnée sur 3 mois à partir de ce mois d’avril au profit des éleveurs des zones affectées par le déficit en pluies. “Avant le lancement de ce programme, l’orge se vendait très cher, plus de 350 dirhams le quintal. Suite à la mise en place de ce plan, l’orge est fixée à un prix subventionné de 200 dirhams le quintal”, souligne Rachid Benali.
Si la question de l’alimentation du bétail a été résolue, un autre problème s’est posé à la suite de la crise pandémique du coronavirus. Il s’agit de la vente du cheptel. “Les souks où se vendait le bétail sont aujourd’hui fermés. Dans le contexte actuel, il est difficile pour les éleveurs de vendre leur cheptel. Ils sont aujourd’hui en difficulté, non pas à cause de la sécheresse, mais plutôt en raison du confinement. Ce qui oblige les éleveurs à vendre à des prix bradés et cela pose un réel problème”, alerte le vice-président de la Comader. Il précise d’ailleurs qu’“en temps normal, dans les souks, et avec le ministère, on pouvait suivre les transactions qui se faisaient au grand jour. Maintenant, ça se passe directement chez l’éleveur qui se retrouve seul face à l’acheteur. Nous avons des remontées de témoignages d’éleveurs qui souffrent de ce problème”.
Les inconvénients de la pandémie
La pandémie a aussi un effet négatif sur la disponibilité de la main-d’œuvre. Déplacer les travailleurs agricoles devient, en ce moment, très difficile à gérer. “Au niveau de la Comader, nous avons donné des instructions claires pour prioriser la sécurité sanitaire. Les grands agriculteurs sont capables de gérer cette situation. Mais c’est très difficile dans des zones où les petits agriculteurs maraîchers, par exemple, ont des habitudes, comme prendre une dizaine d’ouvriers pour faire des récoltes. Ils ne disposent pas de véhicules adaptés à cette crise pandémique”, relève Rachid Benali. Outre le problème du transport de la main-d’œuvre, il y a également celui du blocage des marchandises. “Parfois, ce n’est plus aussi facile qu’avant d’acheminer les marchandises, parce qu’il faut des autorisations pour quitter la province et entrer ou sortir d’une ville.” Hormis ces tracas liés à la main-d’œuvre et à la distribution, Rachid Benali nous assure qu’au niveau des cultures maraîchères et arboricoles, tout se passe bien en matière d’approvisionnement.
Pour rappel, le ministère de l’Agriculture avait déjà rassuré quant à l’approvisionnement en matière de produits agricoles. Le département avait annoncé que pour les fruits et légumes, en plus des disponibilités actuelles confortables, le calendrier de production agricole qui se poursuit normalement permettra d’assurer un approvisionnement continu et suffisant du marché.
Approvisionnement normal du marché
“On a aujourd’hui suffisamment de stocks pour les six prochains mois. Il y a tout sur le marché et les prix ont même baissé dernièrement vu qu’il y a beaucoup d’offre”, rassure ce vieux routier du secteur agricole. Et d’ajouter : “Les exploitations tournent, les petits agriculteurs arrivent à s’en sortir, et des mesures de soutien ont été prises et sont bénéfiques pour notre secteur.”
La pandémie n’a pas eu que des effets néfastes, selon Rachid Benali. “Ce qui est intéressant, affirme-t-il, c’est qu’avec cette pandémie et les impératifs de distanciation sociale, les petits agriculteurs ont contourné le marché de gros. En soi, ce dernier ne pose pas problème, mais la multiplication des intermédiaires et des mandataires en est certainement un.” Jusqu’au 18 avril, les agriculteurs sont, en effet, autorisés à contourner le marché de gros et à vendre directement leur production chez le détaillant, sans passer par le circuit des mandataires et des intermédiaires qui interviennent habituellement sur le marché de gros. “Dans l’intérêt de l’agriculteur, il faut réformer tout le système du marché de gros”, préconise le professionnel.