C’est une annonce qui jette le trouble, et pourrait semer une division regrettable en ces temps de crise sanitaire mondiale. Le 14 avril dernier, Donald Trump a décidé de suspendre la contribution financière américaine à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une institution à qui il reproche une “grave incompétence” face au Covid-19.
“Si l’OMS avait fait son travail et envoyé des experts médicaux en Chine pour étudier objectivement la situation sur le terrain, l’épidémie aurait pu être contenue à sa source, avec très peu de morts”, a estimé Donald Trump, semblant pointer un doigt accusateur à l’encontre de l’OMS, lors d’un briefing quotidien dédié à la situation américaine face au coronavirus. En tapant directement au portefeuille de l’institution, Donald Trump désavoue publiquement la gestion de la crise faite par l’OMS, déjà sous le feu des critiques ces dernières semaines. Une mise au pilori de l’institution avec pour but de faire d’elle le seul bouc émissaire de la crise sanitaire ?
Rediriger l’aide dédiée à l’OMS ?
À son point presse, le sulfureux président américain n’a pas encore annoncé le modus operandi d’une telle manœuvre, il a seulement fait part de son intention : “Aujourd’hui, j’ordonne la suspension du financement de l’Organisation mondiale de la santé pendant qu’une étude est menée pour examiner le rôle de l’OMS dans la mauvaise gestion et la dissimulation de la propagation du coronavirus.”
Dans la foulée, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a affirmé le même jour que les États-Unis “voulaient changer radicalement” le fonctionnement de l’organisation. D’après différentes sources médiatiques américaines, dont le Wall Street Journal, Donald Trump serait tenté d’ordonner aux agences américaines de rediriger des budgets alloués initialement à l’aide, pour financer d’autres programmes.
“Le monde a besoin de l’OMS plus que jamais”
Une aide conséquente : Donald Trump a rappelé que les États-Unis contribuaient à hauteur de “400 à 500 millions de dollars par an” à l’organisation. Autrement plus que l’aide financière apportée par la Chine, estimée à environ 40 millions de dollars. Une affaire loin de constituer une bagatelle et qu’il légitime par “le devoir de réclamer des comptes” à l’OMS.
La décision n’a pas fait l’unanimité. L’ancien patron de Microsoft, Bill Gates — dont la fondation est le deuxième contributeur de l’OMS — voit dans cet acte une décision “particulièrement dangereuse”. “Le monde a besoin de l’OMS plus que jamais”, a-t-il tweeté, au sujet d’une institution dont les efforts “sont en train de ralentir la progression du Covid-19 ; si ce travail est arrêté, aucune autre organisation n’est là pour prendre le relais”.
Halting funding for the World Health Organization during a world health crisis is as dangerous as it sounds. Their work is slowing the spread of COVID-19 and if that work is stopped no other organization can replace them. The world needs @WHO now more than ever.
— Bill Gates (@BillGates) April 15, 2020
Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a également jugé, dans un tweet publié le 15 avril, “profondément regrettable” la décision des États-Unis de suspendre leur contribution.
The USgovt decision to suspend funding to @WHO is deeply regrettable. Today more than ever,the world depends on WHO’s leadership to steer the global #Covid_19 pandemic response.Our collective responsibility to ensure WHO can fully carry out its mandate, has never been more urgent
— Moussa Faki Mahamat (@AUC_MoussaFaki) April 15, 2020
Le chef de la diplomatie allemande Heika Maas considère que “blâmer n’aide pas”, dans ce contexte de crise sanitaire. Et de poursuivre : “Nous devons travailler en étroite collaboration contre le Covid-19. Un des meilleurs investissements est de renforcer les Nations unies, en particulier l’OMS, qui est sous-financée, par exemple pour le développement et la distribution de tests et de vaccins”.
Même son de cloche chez son homologue russe qui a jugé la décision américaine “alarmante” et “égoïste” : “Un tel coup porté à cette organisation au moment où elle est, à bien des égards, observée par la communauté internationale, est une démarche qui mérite d’être dénoncée et condamnée.”
La gestion de crise par l’OMS n’est cependant pas exempte de tout reproche. La ministre australienne des Affaires étrangères, Marise Payne, a fait savoir que son pays “réclamerait” une enquête “indépendante” sur la gestion de la Chine, précisant que l’OMS, “qui a pris largement part à une intervention précoce (…) ne peut procéder à cet examen”. Des soupçons de collusion qui se sont, depuis, généralisés.
L’OMS au cœur de la rivalité Chine/États-Unis
C’est que le raisonnement du président américain ne va pas chercher plus loin que sa rivalité avec le géant asiatique. Pour lui, la pandémie de Covid-19 est liée à la Chine, chose que l’OMS n’a selon lui pas assez mise en exergue. Plus encore, Donald Trump insinue que l’institution mondiale serait inféodée à Pékin, lui reprochant d’avoir fait acte de complaisance avec les autorités chinoises. “L’OMS m’avait vivement critiqué lorsque j’ai dit que nous allions fermer les vols en provenance de Chine et en particulier de certaines parties de Chine, a-t-il mis en avant lors de son point-presse à la Maison Blanche. Et d’ajouter : En Chine, nous avons également été très critiqués. L’OMS s’est pourtant trompée et a, à bien des égards, également minimisé la menace.”
“L’OMS s’est trompée et a, à bien des égards, également minimisé la menace”
En toile de fond, une vérité qui n’a pas encore dit son nom. Voilà plusieurs semaines que Pékin brouille les pistes, multiplie les actions d’aide à l’étranger pour éviter que l’origine du virus lui soit accolée. Sous le feu des critiques depuis, le Parti chinois se voit reprocher avec persistance d’avoir caché la vérité sur le risque sanitaire de l’épidémie, mais aussi sur le nombre de morts sur son territoire.
Révélées au monde le 7 janvier par les autorités chinoises, les hypothèses sur l’origine du nouveau coronavirus restent encore nombreuses. “Nous menons une enquête exhaustive sur tout ce que nous pouvons apprendre sur la façon dont ce virus s’est propagé, a contaminé le monde”, a déclaré le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo. Un sujet qui a pris un tour plus global, loin des phrases provocatrices usitées par Donald Trump qui, fin mars, avait provoqué l’indignation en dénonçant un “virus chinois”.
“Il y a manifestement des choses qui se sont passées et qu’on ne sait pas”
Au Royaume-Uni, d’après le Daily Mail, une quinzaine d’élus conservateurs ont écrit à Boris Johnson pour “reprendre les relations avec Pékin”. Motif invoqué ? Une crise qui aurait pu être évitée si la Chine s’était montrée “plus transparente”. Même le président français Emmanuel Macron, plus tiède en matière de politique étrangère, a fait part de ses doutes, dans un entretien accordé au Financial Times : “Il y a manifestement des choses qui se sont passées et qu’on ne sait pas.”
Donald Trump continue de saper le multilatéralisme
En janvier dernier, le directeur général de l’OMS, alors en déplacement en Chine, saluait la réponse de Pékin à la crise : “Vous avez lancé une série de mesures de santé publique. C’est très très important et nous en sommes vraiment fiers, exprimait le président de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, au président chinois Xi Jinping. L’autre élément important, c’est l’engagement politique, votre leadership et celui de votre gouvernement. Ce leadership contribuera à stopper ce virus.”
Il a mis en garde la Chine “contre d’éventuelles conséquences” si elle était “sciemment responsable” de l’épidémie
L’OMS, responsable d’avoir couvert la Chine ? L’affaire est plus complexe. Le 20 janvier, la Chine reconnaissait seulement publiquement la transmission du virus par contact humain, chose qu’elle avait jusque-là niée. Le 22 janvier, réunis en téléconférence pour débattre de l’épidémie due au nouveau coronavirus 2019-nCoV, les membres du comité d’urgence de l’OMS avaient eu des divergences de vues au moment de déclarer l’urgence de santé publique à portée internationale, pointant qu’elle était concentrée en Chine. “Je tiens à réitérer que le fait que je ne déclare pas une urgence de santé publique de portée internationale aujourd’hui ne doit pas être pris comme un signe que l’OMS ne pense pas que la situation soit grave ou que nous ne la prenons pas au sérieux”, avait déclaré, le 23 janvier, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
À ce moment, la décision avait fait jaser et ce n’est qu’une semaine plus tard, le 30 janvier, que l’OMS déclarait l’épidémie de Covid-19 “urgence de santé publique mondiale”. À ce moment-là, et alors que Donald Trump avait mis fin aux vols en provenance de Chine la veille, le directeur général éthiopien de l’instance, Tedros Adhanom Ghebreyesus appelait à un “moment de solidarité, pas de stigmatisation”, plaçant sa “pleine confiance en la Chine”. C’est que les conséquences auraient pu placer la Chine au ban des nations à ce moment-là, notamment au niveau économique avec des restrictions dans le transport de marchandises voire d’hommes.
Pour Trump, le mal était déjà fait. Suspendre le financement américain à l’OMS permet de la pointer comme unique responsable du laisser-faire chinois. D’après un article de The Conversation, la mesure pourrait “entraîner la faillite de l’OMS au moment où une pandémie mondiale bat son plein” : “Cela pourrait signifier que l’agence devra licencier du personnel, alors même qu’elle essaie d’aider des pays à faibles et moyens revenus à sauver des vies.”
“C’est le moment de se montrer solidaire, pas de saper la coopération multilatérale”, a dénoncé la Commission européenne. Fidèle à ses principes de critiquer tout organe œuvrant au multilatéralisme, comme lors de la tenue du Pacte de Marrakech fin 2018, Donald Trump pourrait chercher à se dédouaner sur sa propre gestion, critiquée outre-Atlantique. Ce 20 avril, le nombre de décès atteint les 38.664 depuis le début de l’épidémie, soit le plus de malades et de décès au monde.
Et alors que de nombreuses manifestations ont éclaté ce week-end, sous l’impulsion de l’alt-right américaine (extrême droite) pour demander la fin du confinement, Donald Trump poursuit son couplet à l’encontre de la Chine. Il a mis en garde le géant asiatique “contre d’éventuelles conséquences” s’il était “sciemment responsable” de l’épidémie. Une nouvelle crise, dans une autre bien plus grande et dont le monde se serait bien passé.