Entre le coronavirus et la chute des cours pétroliers, l’Algérie face au cauchemar

L’Algérie, hyper dépendante de la rente pétrolière et confrontée à un ébranlement politique doublé d’une urgence sanitaire, voit s’approcher une grave crise économique.

Par

AFP

Les pays du G20 ont échoué, vendredi 10 avril, à se mettre d’accord sur une baisse de la production pétrolière après de longues tractations. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), présidée par Alger, avait auparavant annoncé une entente préalable sur une diminution de l’offre mondiale de 10 millions de barils de brut par jour (mbj), en mai et juin, afin de freiner la dégringolade des cours.

Mais même en cas d’accord, l’Algérie est loin d’être tirée d’affaire car cette mesure n’aurait qu’“un impact de courte durée sur les prix de l’or noir” à cause de la pandémie de Covid-19, prédit Nazim Zouioueche, un expert pétrolier, dans une interview à l’agence locale APS.

Vulnérabilité

Le pays “est au bord du gouffre financier”, assure Luis Martinez, spécialiste du Maghreb au CERI-Sciences Po de Paris. De fait, la loi de finances 2020 tablait sur un baril à 50 dollars pour une croissance d’environ 1,8 %. On en est loin.

Le président Abdelmadjid Tebboune a reconnu “la vulnérabilité” de l’économie algérienne “en raison de notre négligence pendant des décennies à la libérer de la rente pétrolière”. Tebboune juge “impératif de mettre un terme aux mauvaises pratiques inculquées pendant la période de l’aisance financière, à l’exemple du gaspillage et de l’esprit de fainéantise et de surconsommation”.

L’économiste Ahmed Dahmani énumère les dangers : assèchement rapide des réserves de change ; aggravation du déficit budgétaire et de la balance des paiements ; forte dévaluation du dinar et poussée inflationniste. Au bout du compte, la récession économique et son corollaire : le chômage de masse. Les réserves de change sont tombées sous les 60 milliards de dollars (55 mds EUR) fin mars, contre 79,88 mds USD (73 mds EUR) fin 2018 et 97,22 mds USD (88,8 mds EUR) fin 2017. Selon certains économistes, ces réserves pourraient s’épuiser à très court terme.

Vers un nouveau modèle économique ?

Le gouvernement n’a d’autre choix que d’élargir l’assiette fiscale, de recourir à l’endettement public et de négocier des prêts. Avec le reste des réserves de change, cela devrait lui permettre de tenir jusqu’en 2021. Mais après ?”, s’interroge Martinez.

Pour faire face à cette situation alarmante, le gouvernement a annoncé une baisse de 30 % du budget de fonctionnement de l’État (sans toucher aux salaires des fonctionnaires) ainsi qu’une réduction de l’énorme facture des importations de 41 à 31 milliards de dollars (38 à 28 milliards d’euros). L’Algérie n’aura plus recours aux cabinets d’expertise étrangers pour ses grands projets afin d’économiser 7 milliards de dollars par an. Et le géant public des hydrocarbures Sonatrach va réduire son budget 2020 de 50 %, soit l’équivalent de 7 mds USD (6,5 mds EUR).

La suspension des importations de services “ne concerne surtout que les études de faisabilité de projets non entamés ou de projets non essentiels pouvant être reportés sans frais supplémentaires”, nuance Abdelmadjid Attar, ex-PDG de Sonatrach. “Quant à la réduction des dépenses d’exploitation et d’investissement de la Sonatrach, elle ne devrait pas en principe réduire la production d’hydrocarbures”, ajoute-t-il.

Changement de paradigme

Les solutions sont connues : diversifier l’économie, réduire la part du pétrole dans le PIB et développer l’attractivité de l’Algérie. Mais nombreux sont les sceptiques qui, comme le professeur d’économie Aderrahmane Mebtoul, doutent de la capacité de l’Algérie à attirer les investissements directs étrangers (IDE) en raison de “la bureaucratie, d’un système financier sclérosé et de la corruption”. Aderrahmane Mebtoul ne croit pas davantage à la possibilité de récupérer les capitaux qui ont fui le pays.

De toute façon, la pandémie est en train de paralyser l’ensemble des activités productives à l’échelle de la planète”, rappelle l’analyste Ahmed Damani. “Les autorités algériennes pourront arguer du fait que la situation économique et financière n’est pas meilleure dans les autres pays”, observe de son côté Luis Martinez.

Sans doute. Mais au coronavirus s’ajoute la crise politique inédite que traverse l’Algérie depuis le déclenchement du mouvement (“Hirak”) de protestation populaire le 22 février 2019. “Il est illusoire, dans le contexte actuel de défiance populaire (à l’égard du régime), de croire parvenir à enrayer la crise dont les effets socio-économiques sont déjà là”, estime Dahmani. “Le plus difficile sera de maintenir les dépenses publiques et reconstruire un nouveau système politique”, abonde Luis Martinez. “Ce n’est pas l’année 2020 qui est en procès mais les 20 années de clientélisme, népotisme et corruption du règne de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika”, tranche-t-il.