Les polices du Maghreb mobilisées contre les escrocs de la pandémie

Spéculation, marché noir, ersatz, rumeurs. Des malfrats en tout genre cherchent à profiter des crises pour s’enrichir. Au Maghreb, l’épidémie de Covid-19 n’échappe pas à la règle, déclenchant une répression tous azimuts.

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Image d'illustration. Crédit: Fadel Senna/AFP

Depuis plus de deux semaines, les 44 millions d’Algériens font face à une sévère pénurie de semoule à la suite d’achats massifs de cette denrée de base. Des achats provoqués par une rumeur massivement relayée sur Facebook faisant état d’une rupture des stocks.

Jamais de ma vie je n’ai acheté un sac de semoule de 25 kilos, mais là j’ai peur que la situation n’empire et que les boulangers baissent rideaux par peur de la maladie”, s’alarme Fawzi, un jeune entrepreneur algérien. “Qu’allons-nous manger ? J’ai dû payer le sac de semoule 1.700 dinars (environ 137 dirhams) au lieu de 1.200 dinars (97 dirhams) mais je n’avais pas le choix”, témoigne ce père d’une fillette de 4 ans.

Il s’agit d’un réflexe humain. La population surstocke, mais certains tentent (aussi) d’en profiter”, déclare à l’AFP Karim Khelouiati, un expert en cybersécurité qui surveille le web.

Spéculations en Algérie

Le président Abdelmadjid Tebboune a eu beau tenter de rassurer — évoquant des stocks de semoule suffisants “pour quatre ou cinq mois” —, des foules s’agglutinaient devant les minoteries pour s’approvisionner directement. À tel point que le ministère du Commerce a décidé, mardi 7 avril, d’interdire cette vente directe à la population. La distribution de semoule repasse désormais par les grossistes, les grandes surfaces et les épiceries de quartier.

Le chef de l’État a lui exhorté les citoyens “patriotes” à dénoncer publiquement les accapareurs, tandis que les gendarmes encouragent la population à leur signaler “tout acte de spéculation, de monopole et de fraude”, tout en multipliant les opérations de contrôle.

Du 22 mars au 1er avril, plus de 2.500 personnes ont été arrêtées pour avoir stocké des aliments de base et des produits parapharmaceutiques à des fins spéculatives, selon la gendarmerie. Durant cette période, plus de 5.000 tonnes de vivres et quelque 219.000 articles de pharmacie ont par ailleurs été saisis.

En Tunisie, la chasse aux “criminels de guerre”

En Tunisie aussi, les autorités ont durci le ton. Fin mars, la douane a saisi un lot de gants, blouses, masques et bavettes périmés d’une valeur de 500.000 dinars (plus de 1,7 million de dirhams) au port de Radès, près de Tunis, dans les entrepôts d’un homme d’affaires qui a été arrêté.

Le président tunisien Kais Saied participant à une distribution d’aide en pleine crise du coronavirus, le 5 avril à Gammarth, banlieue nord de Tunis. TUNISIAN PRESIDENCY/AFP

Comme son homologue algérien, le président Kais Saied a appelé à punir les spéculateurs qualifiés de “criminels de guerre”, après des ruptures de stock de farine et de semoule dans certaines zones. Un représentant de l’État dans le Kef (nord) a été arrêté mardi 7 avril après une alerte de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), qui a accusé plusieurs élus et fonctionnaires d’être impliqués dans le marché noir.

Fraudeurs démasqués au Maroc

Au Maroc, la spéculation sur les produits convoités en période de confinement a commencé bien avant l’apparition du premier cas de Covid-19 le 2 mars. Des profiteurs se sont rués sur les masques, jusque dans les magasins de bricolage, et les prix des gels désinfectants ont flambé. Depuis, la situation est revenue à la normale, le gouvernement ayant fixé les tarifs du gel hydroalcoolique et des masques, désormais produits au Maroc.

Des policiers marocains patrouillant le 27 mars dans le quartier de Takadoum à Rabat. Fadel Senna/AFP

Plus grave, la police de Fès a appréhendé quatre personnes soupçonnées d’avoir un “atelier clandestin” dans un garage pour fabriquer et commercialiser des produits désinfectants contrefaits. Autre cas de filouterie : deux “repris de justice” se faisant passer pour des agents de l’État participaient aux campagnes de sensibilisation sanitaire à Salé, près de Rabat, et en profitaient pour “commettre des vols”, selon des médias marocains.

À ce sujet, le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) à Rabat a mis en garde le 30 mars contre “les agissements de certains individus qui se font passer pour des membres du personnel du Pnud et mènent des opérations frauduleuses”.

Dans un autre registre, les autorités marocaines ont interpellé des dizaines de personnes accusées de propager sur les réseaux sociaux des “rumeurs mensongères” liées au coronavirus.

Cyber-enquêteurs

En Algérie, la nation du Maghreb la plus affectée par la pandémie (205 morts et 1.572 cas déclarés), Internet est devenu un vecteur de fausses informations qui “contribuent à semer la confusion”, dénonçait récemment à la télévision le colonel de gendarmerie Abdelkader Zighed.

La semaine dernière, une rumeur évoquant la fermeture imminente des stations-service a enflammé la Toile, provoquant des bouchons dans la plupart des villes. En fait, seule était concernée Blida, près d’Alger, premier foyer de la pandémie. La gendarmerie algérienne a d’ailleurs formé des équipes de “cyber-enquêteurs” qui traquent les colporteurs de fausses nouvelles. Cette cyber-répression a permis de “neutraliser de nombreux opportunistes” publiant de fausses informations, s’est félicité le colonel Zighed.

Une jeune Oranaise a quant à elle été poursuivie pour avoir posté sur Facebook une vidéo alarmiste où elle accusait des compatriotes confinés dans un complexe touristique de la région, après leur retour de l’étranger, d’en être sortis prématurément en “usant de leur influence”. Elle s’est rétractée mais devra répondre devant la justice d’“exposition au regard du public, dans un but de propagande, de tracts de nature à nuire à l’intérêt national”, selon la gendarmerie.

Le 1er avril, ce sont deux responsables et une journaliste du quotidien Sawt Al Akher qui ont été interpellés pour avoir fait état d’erreurs supposées dans les tests de dépistage. Inculpés, ils ont été remis en liberté, mais sous contrôle judiciaire. Certains médias algériens ont toutefois mis en garde contre le risque d’entrave à la liberté de la presse et d’expression.