Sélection culturelle de confinement: Zakya Daoud

Littérature, séries et musique. La journaliste, historienne et écrivaine Zakia Daoud livre à Telquel sa sélection culturelle pour adoucir le confinement.

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Zakya Daoud. Crédit: Yassine Toumi/TelQuel

Ibn Battûta, vie et voyages, éditions Maspéro (1990)

Il a 21 ans, en 1304, lorsqu’il quitte sa ville natale de Tanger pour effectuer son premier pèlerinage à La Mecque. Membre d’une caravane, sa route est tracée. Ibn Battûta s’attarde surtout en Égypte, visitant scrupuleusement le delta et les villes de la vallée du Nil. Mais tout au long de ses pérégrinations nombreuses et variées, il évolue surtout de zaouïas en tombeaux, de mosquées en paysages urbains, s’intéressant très moyennement aux paysages et pas du tout au monde rural.

“En cette période de confinement, Ibn Batoutta m’a fait voyager au-delà de toute limite”

Zakya Daoud

En fait, il a un objectif clair: se construire une réputation d’homme pieux et érudit, qui, le poursuivant d’étape en étape, le fait partout accueillir avec chaleur et considération. C’est ainsi qu’il est nourri, qu’il est logé et couvert de cadeaux partout ou il passe, ce qu’il note à chaque fois en détail. Au début de son périple, il est un endroit où n’étant pas connu, il n’est pas accueilli, il en est très mortifié…

L’Égypte est décisive dans cette construction d’identité qui va le servir durant ses périples — il va parcourir 120.000 kilomètres durant 29 ans. Partout il salue et glorifie sa religion, sa civilisation, négligeant autant qu’il le peut dans cette période de troubles et d’épidémies, les nombreuses déviations religieuses qu’il rencontre et qu’il fustige.

Ibn Battouta en Égypte, lithographie de HL Benett. © DR

Partout il fréquente érudits, puissants, sultans, émirs et cadis, s’intéresse aux mœurs et aux productions. Il était parfaitement adapté à son époque et ira jusqu’à acheter des esclaves ou se marier et répudier des femmes… Partout il est chez lui, puisqu’il évolue dans sa civilisation et dans sa religion. Il est d’ailleurs tellement chez lui qu’il ne se plaint presque jamais des difficultés du voyage et des aléas de ses périples.

Mais son intérêt est néanmoins aiguisé lorsqu’il se trouve dans les steppes russes, détaillant en Crimée les atours et les richesses des quatre épouses du sultan du lieu, en Inde où il reste huit années au service du sultan, aux Maldives où il est cadi, en Chine où il est ébloui par la richesse et étonné par les mœurs du pays.

Lorsqu’il rentre au Maroc en 1349, il visite encore l’Andalousie et une partie de l’Afrique (Mali et Soudan). Et à la demande du sultan mérinide de l’époque, il dicte ses souvenirs en 1356 à Ibn Juzzay, un jeune érudit andalou qui va truffer son récit, déjà entrecoupé d’anecdotes sur les personnages qu’il rencontre, de poèmes et de notations personnelles. En cette période de confinement, Ibn Batoutta m’a fait voyager au-delà de toute limite.

Marco Polo, John Fusco, 2014

Marco Polo est quasi contemporain à Ibn Batoutta. Dans cette série, le jeune vénitien, abandonné par son marchand de père chez le grand khan mongol Kubilay, descendant de Gengis Khan, vit à la cour de ce chef puissant. Il passe son temps à le servir et à le défendre contre toutes les nombreuses tentatives de destitution et de complot.

“J’en perdrais presque la notion du temps, ce qui est, on l’avouera, bienvenu”

Zakya Daoud

Contrairement à Ibn Batoutta, Marco Polo est, en Chine, un étranger, quasiment assumé, ce qui parfois le sert et parfois le dessert. On sait qu’il ne trouvera pas sa place et qu’il rentrera finalement, au bout de nombreuses années, dans sa ville natale, pour lui aussi, dicter ses mémoires à un intermédiaire. La comparaison entre ces deux voyageurs est tout à fait instructive au niveau des réactions, des intentions et des comportements.

Extrait de la série Marco Polo. © DR

D’une manière générale, les séries télévisées, bienvenues en cette période de confinement, sont de puissants dérivatifs conçus pour conditionner le téléspectateur. Il y a d’ailleurs une autre série, Outlander, dans laquelle je me complais actuellement et qui me fait, non pas assister, mais participer à la révolte des jacobites écossais contre leurs occupants anglais au XVIIIe siècle. J’en perdrais presque la notion du temps, ce qui est, on l’avouera, bienvenu.

Eric Satie, Beethoven et Chopin

J’ai redécouvert le compositeur normand Eric Satie, dont le piano nostalgique accompagne la lettre écrite par l’écrivaine Annie Ernaux à Emmanuel Macron, et lue par Augustin Trapenard (Lettres intérieures, France Inter).

Dans cette lettre, elle l’interpelle sur sa gestion de la crise sanitaire. Mais cette découverte ne me fait pas oublier la mélancolie de Frédéric Chopin ni les envolées lyriques de Beethoven qui tous les deux me bercent, confinement ou pas.