Tourisme, artisanat et coronavirus : very bad trip

La fermeture des frontières marocaines, en réponse à la pandémie de coronavirus, a été néfaste à un pilier de l’économie marocaine : le tourisme. Les professionnels crient à la faillite inéluctable et réclament un plan d’urgence pour sauver leur peau.

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Les voyageurs, non vaccinés, en provenance des pays de la liste B doivent réaliser une quarantaine de 10 jours sur le territoire marocain. Crédit: AFP

Après le départ des derniers touristes, on a été obligés de payer les employés et de fermer nos portes.” Propriétaire d’un riad dans la médina de Marrakech, Abdou Zaki a vu les clients quitter un à un son établissement, depuis que les autorités ont décidé la fermeture des frontières pour freiner l’épidémie de coronavirus au Maroc. Foudroyés par les événements, les opérateurs ont déprogrammé ou reporté les réservations de voyage, à l’aveugle, la suspension des liaisons ayant effet jusqu’à nouvel ordre.

No man’s land

“Les hôtels vont fermer, les agences de voyages aussi, les cars touristiques vont être arrêtés. Le phénomène touche le monde entier, mais le Maroc n’est pas assez fort pour affronter ce déluge”

Rachid Dahmaz, président du centre de tourisme d’Agadir

Si quelques milliers de touristes errent encore dans un Maroc confiné, tous ou presque attendent un moyen de rentrer chez eux. “Les hôtels vont fermer, les agences de voyages aussi, les cars touristiques vont être arrêtés. Le phénomène touche le monde entier, mais le Maroc n’est pas assez fort pour affronter ce déluge”, énumère Rachid Dahmaz, voyagiste et président du centre de tourisme d’Agadir.

Sans visibilité sur l’avenir, l’industrie touristique marocaine, qui génère 10% des revenus du royaume (70 milliards de dirhams en 2018), s’apprête à vivre sa plus grande crise depuis celle qui a suivi la guerre du Golfe en 1990. Et elle impactera toute l’économie nationale vu le poids du secteur dans le PIB du Maroc.

Lundi 16 mars, à la sortie d’une réunion du Conseil de veille économique mis sur pied par le ministère des Finances, le président de la Confédération nationale du tourisme (CNT), Abdellatif Kabbaj, a tiré la sonnette d’alarme. Sans une intervention massive des pouvoirs publics, “le secteur touristique va perdre 34 milliards de chiffre d’affaires d’ici la fin de l’année”, mettant ainsi en péril les “500.000 emplois” et “8500 entreprises” du domaine, ajoutant que “si l’Etat n’est pas mobilisé pour nous aider, une grosse partie de ces personnes peuvent se retrouver au chômage”, prévient-il.

En interne, les réunions se multiplient pour organiser le sauvetage du secteur. Destiné à l’origine à la prise en charge des malades du coronavirus, le fonds spécial de 10 milliards de dirhams créé par Mohammed VI pourrait également bénéficier au tourisme grâce au lobbying de la ministre du secteur, Nadia Fettah.

Pour l’heure, les entreprises touristiques jugent trop maigres la proposition des autorités d’accorder un délai de paiement sur les charges sociales et les crédits bancaires. Dans le cadre d’un dispositif de chômage partiel, “nous attendons que l’Etat fasse ce qui a été fait en France, c’est-à-dire qu’il prenne en charge 80% de la masse salariale des établissements touristiques”, explique Abdellatif Kabbaj.

On paye les poteries cassées

Car la menace de voir plusieurs milliers de personnes perdre leur emploi est réelle si la crise se prolonge. Hamza Fakhari, le directeur d’Art Naji, une fabrique de poterie qui emploie une centaine d’artisans, observe avec impuissance la disparition des visiteurs étrangers dans la médina de Fès: “Il y a quelques semaines, on recevait quinze à vingt cars de touristes par jour, car c’est la haute saison. Aujourd’hui, on n’en voit plus que deux ou trois.

Les artisans travaillent sur les commandes déjà payées, toutes les autres ont été annulées. Avec quel argent payer nos employés?”

Hamza Fakhari, directeur d’Art Naji,

Comme les touristes représentent “plus de 80%” de sa clientèle, l’entrepreneur anticipe une baisse drastique de son activité commerciale durant les prochaines semaines: “Les artisans travaillent sur les commandes déjà payées, toutes les autres ont été annulées et nous n’en recevons plus de nouvelles. Avec quel argent payer nos employés ?” Dans les ruelles de la médina, les bazaristes restent ouverts mais ne vendent déjà presque plus rien.

Quand il y a moins de ventes, la production tourne automatiquement au ralenti. Chez les artisans qui gagnent leur vie au jour le jour, je ne vous cache pas qu’il monte un sentiment de panique”, poursuit-il. En 2017, le secteur de l’artisanat employait plus d’un million de personnes pour un chiffre d’affaires de 74 milliards de dirhams. Si la situation s’aggrave, Hamza Fakhari demandera une aide financière à son ministère de tutelle.

“C’est une situation totalement inédite. On se soumet aux choix des autorités, on s’adapte à cette nouvelle réalité où la priorité est de préserver l’emploi”

Comme le virus infecte sans distinction petits et grands, les troubles n’épargnent pas les mastodontes du secteur. Habitué à jouer la carte des offres promotionnelles quand l’activité est en berne, ce directeur d’une grande chaîne hôtelière avoue son impuissance devant le désastre économique en cours: “Aujourd’hui, nous n’avons aucun levier d’ajustement sur le marché. C’est une situation totalement inédite. On se soumet aux choix des autorités, on s’adapte à cette nouvelle réalité où la priorité est de préserver l’emploi.

Selon lui, une inactivité prolongée des établissements hôteliers est susceptible d’en conduire certains à être définitivement rayés de la carte. “L’épisode coronavirus peut laisser des traces profondes. Les groupes les plus solides y laisseront des plumes, c’est certain, et les plus fragiles pourraient y laisser leur peau.” D’après les prévisions de la CNT, il manquera 15 milliards de dirhams à l’industrie hôtelière d’ici la fin de l’année.

Crise sociale interdite

“Les grands structures hôtelières ne peuvent pas se permettre une vague de licenciements sauvages, car des milliers de gens sortiraient alors dans la rue pour protester”

A l’instar des gouvernements occidentaux qui, après la crise des subprimes en 2008, se sont précipités au chevet des banques dont la faillite annoncée menaçait le système financier mondial, le secteur touristique marocain, deuxième employeur après l’agriculture, a de bonnes chances d’être secouru par l’Etat. “Les grands structures hôtelières ne peuvent pas se permettre une vague de licenciements sauvages, car des milliers de gens sortiraient alors dans la rue pour protester”, estime un expert du tourisme national. Dans une ville comme Marrakech où le secteur fournit du travail à 300.000 personnes, selon la même source, la crise sanitaire se doublerait alors d’une crise sociale.

De leur côté, les professionnels du voyage se penchent dès maintenant sur les moyens de résorber leur déficit quand les choses rentreront dans l’ordre. “Les grandes entreprises de tourisme travaillent d’ores et déjà sur l’après-crise. Un paquet d’offres promotionnelles est en train de voir le jour sur Internet, avec des garanties d’annulation en cas de persistance du virus”, observe l’avocate d’affaires Malika Lahnait.

Quid des structures plus modestes, comme le riad marrakchi d’Abdou Zaki ou la fabrique de poterie de Hamza Fakhari? Sans une trésorerie replète, surmonteront-elles le choc du coronavirus ? “Il faut que les banques accordent des crédits à un taux bas pour aider les petites entreprises à passer une période de plusieurs mois d’inactivité. Sinon, beaucoup d’entre elles risquent de disparaître”, préconise le patron de la CNT, Abdellatif Kabbaj.

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