Que peuvent les organisations internationales face au coronavirus ?

L’épidémie de coronavirus (Covid-19) est désormais d’ampleur mondiale. Plus de 100.000 cas ont été rapportés dans plus de 100 pays, et ce nombre ne cesse d’augmenter. Pour espérer endiguer ce que l’OMS vient de reconnaître comme pandémie, la coopération internationale se révèle indispensable.

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Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Crédit: Fabrice Coffrini / AFP

Les actions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a déclaré une situation d’urgence sanitaire internationale le 30 janvier 2020, et confirmé le 11 mars que le Covid-19 était une pandémie, sont souvent mentionnées. Mais d’autres organisations interviennent, le champ de la gouvernance mondiale de la santé étant particulièrement fragmenté.

Dans ce contexte, quel est exactement le rôle de l’OMS ? Comment se positionnent les autres organisations internationales intergouvernementales comme la Banque mondiale, ou encore l’Union européenne ? Qu’en est-il d’organisations internationales d’un type différent, comme le CEPI (Coalition Epidemic Preparedness Innovations), une alliance public-privé dont la finalité est de développer des vaccins ?

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Cet article se propose de revenir sur quelques politiques mises en œuvre par ces quatre organisations, en amont des épidémies et pendant les crises.

L’OMS : l’autorité coordinatrice en matière d’épidémie

Depuis 1948, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est l’autorité directrice et coordinatrice dans le domaine de la santé mondiale. Elle réunit aujourd’hui 192 États membres, qu’elle soutient dans leur développement sanitaire et le renforcement de leurs services de santé. Elle établit également des normes et standards internationaux, mène des actions de formation de personnel, de promotion de la recherche, et de surveillance des épidémies.

Dans ce dernier domaine, les États membres de l’OMS ont adopté en 1951 un règlement sanitaire international (RSI), révisé en 2005 à la suite de l’épidémie de SRAS, par lequel ils s’engagent à “prévenir la propagation internationale des maladies (…) et à y réagir par une action de santé publique proportionnée (…), en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux”.

En conséquence, les États doivent mettre en place des mécanismes de surveillance au niveau national et rapporter auprès de l’OMS les “événements de santé publique” (par exemple la détection de cas de maladies infectieuses comme le Covid-19). L’épidémie d’Ebola de 2014 en Afrique de l’Ouest avait souligné que cela nécessitait des systèmes de santé bien organisés et bien financés. L’OMS se charge ensuite de disséminer l’information auprès des autres États membres et de coordonner la réponse internationale.

L’OMS envoie plusieurs tonnes de matériel médical et de kits de dépistage du coronavirus en Iran. Photo prise à l’aéroport international al-Maktum de Dubaï le 2 mars, peu avant que cette livraison soit acheminée en Iran par un avion de transport militaire des Émirats arabes unis.Crédit: Karim Sahib/AFP

Dans le cas de l’épidémie de Covid-19, l’OMS a ainsi publié un plan de réponse et de préparation stratégique et envoyé des missions en Chine pour analyser (et saluer) la réponse des autorités ou en Iran pour aider le pays à faire face à l’épidémie.

Pour tout cela, l’OMS a besoin d’argent : 675 millions de dollars au total, dont 61,5 millions pour la période de février à avril 2020. Malgré l’urgence, l’OMS n’a pour l’instant reçu que 29,5 millions de US dollars, dont 9,5 millions de la fondation Bill et Melinda Gates, le plus grand donateur devant les États-Unis.

Le financement de l’organisation est toujours difficile, les États membres se montrant réticents à investir massivement dans l’organisation. Cette “dépendance envers les donateurs” contraint la marge de manœuvre de l’OMS, et souligne à quel point son rôle de coordination dépend de la coopération des États.

La Banque mondiale : un bailleur de fonds orienté vers le secteur privé

Le 4 mars 2020, la Banque mondiale a annoncé un plan d’urgence de 12 milliards de dollars pour financer la réponse au coronavirus. Depuis les années 1980, la Banque mondiale est le plus important contributeur financier aux programmes sanitaires grâce aux prêts qu’elle octroie.

C’est en effet une institution financière, c’est-à-dire qu’elle emprunte sur les marchés financiers et prête aux États à des taux qui peuvent être inférieurs à ceux du marché, et une banque de développement, ce qui signifie que ses prêts doivent contribuer au développement des pays.

Elle peut également prêter aux entreprises par l’intermédiaire de sa structure chargée des investissements privés, la Société financière internationale. Les actions de la Banque mondiale encouragent l’engagement des entreprises privées dans les systèmes de soins nationaux, directement en proposant des aides à l’investissement, et indirectement en promouvant le recours au marché pour réduire la part du budget de l’État allouée à la santé.

Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, et David Malpass, président de la Banque mondiale, se saluent du coude à la fin d’un point presse conjoint sur le Covid-19 à Washington DC, le 4 mars.Crédit: Nicholas Kamm/AFP

En 2017, la Banque mondiale a initié un nouveau mécanisme financier visant à trouver des financements en cas d’épidémie, sous la forme de “pandemic catastrophe bonds” (des “obligations catastrophes pandémiques”) : des investisseurs prennent le risque de ne plus percevoir d’intérêts ou de perdre une partie de leur capital en cas de déclenchement d’une épidémie, mais touchent un rendement très élevé tant qu’aucune épidémie ne se déclenche.

Ces outils se sont révélés inefficaces. Par exemple, en 2018, ils n’ont pas permis le déblocage de financements pour l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo car ils étaient définis de manière trop restrictive, et l’organisme arbitre ne les a pas déclenchés.

Concernant l’épidémie actuelle de coronavirus, même si des fonds sont débloqués, ils ne le seront, au mieux, qu’en avril — bien trop tard, alors qu’il est crucial d’agir rapidement en cas d’épidémie.

L’UE : des financements pour la recherche à renforcer

Les pays de l’Union européenne (UE) ont chacun adopté des mesures différentes pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, et il n’y a pour l’instant pas de mécanisme de partage de ressources médicales — par exemple des masques de protection — entre pays.

La Commission européenne essaye toutefois de coordonner la réponse des États membres de l’UE à travers la mise en place d’une équipe dédiée, tandis que le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies leur fournit des données de surveillance et des avis scientifiques.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pendant une conférence de presse sur la réponse de l’UE au Covid-19, au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (Bruxelles), le 2 mars.Crédit: John Thys/AFP

Mais c’est surtout dans le domaine de la recherche que l’UE se distingue : la Commission européenne a octroyé 47,5 millions d’euros au financement des projets de développement de traitements, de vaccins, etc. Néanmoins, ces efforts apparaissent tardifs, quand on sait que la recherche scientifique nécessite du temps (il faut plusieurs années pour qu’un vaccin soit mis sur le marché).

En outre, le fonctionnement de ces financements par appel à projets ne permet pas un investissement de long terme. Ainsi, quelques années après l’épidémie de SARS de 2003, également causée par un coronavirus, les financements se sont taris, retardant des avancées scientifiques qui auraient pu être utiles aujourd’hui.

Le CEPI : une alliance public-privé déjà controversée

À côté des organisations intergouvernementales comme celles mentionnées ci-dessus, de nouvelles alliances internationales se sont multipliées depuis les années 2000 dans le domaine de la santé mondiale, dont les membres sont à la fois des acteurs publics (États et organisations intergouvernementales) et privés (entreprises, fondations philanthropiques, organisations de la société civile).

En 2017 a ainsi été créée la Coalition pour l’innovation en matière de préparation aux épidémies (CEPI), à l’initiative du Forum économique mondial de Davos, de la Norvège, de l’Inde, de la fondation Gates et du Wellcome Trust (également une fondation philanthropique).

Ce partenariat public-privé a pour but de financer la recherche et le développement de vaccins contre des maladies infectieuses émergentes et de les rendre accessibles en cas d’épidémies, dont désormais le Covid-19. Mais la question de l’accès aux vaccins développés, et donc des droits de propriété intellectuelle, fait débat.

Si au départ il était envisagé que le CEPI garde accès à la propriété intellectuelle sur les vaccins développés grâce à ses financements, il est désormais possible que ce soient les entreprises pharmaceutiques ayant participé au développement du vaccin qui puissent la détenir — et donc restreindre l’accès au vaccin en fixant un prix permettant d’en tirer profit.

Une employée d’un laboratoire médical teste un échantillon du nouveau coronavirus Covid-19 à Roosendaal, aux Pays-Bas, le 4 mars.Crédit: Rob Engelaar/AFP

L’ONG Médecins sans frontières a notamment dénoncé cette situation, qui n’est pas propre au CEPI et se retrouve dans d’autres partenariats public-privé cherchant à développer des médicaments. En effet, pour lutter contre une épidémie, il ne faut pas seulement se focaliser sur le développement d’un traitement, mais aussi s’assurer que les populations, même les plus pauvres, puissent en bénéficier.

Toutes les précédentes épidémies (grippe, SRAS, H1N1, Ebola, Zika, etc.) ont mis en évidence l’importance de la coopération internationale pour les endiguer. Les organisations internationales jouent un rôle crucial dans le développement de cette coopération, que ce soit en coordonnant les réponses des États et des différents acteurs publics et privés, ou en fournissant des financements aux systèmes de santé et de recherche. Mais pour être efficaces, ces efforts nécessitent un investissement et un engagement publics bien en amont.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé Auriane Guilbaud, maîtresse de conférences en science politique, chercheuse au CRESPPA (Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris), UMR 7217, CNRS/Université Paris 8/Université Paris 10 Nanterre, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières