Le président ivoirien Alassane Ouattara va passer la main

Le président ivoirien Alassane Ouattara, qui entretenait depuis des mois le mystère sur son éventuelle candidature à un troisième mandat, a créé la surprise le 5 mars en annonçant qu’il ne se présenterait pas à l’élection présidentielle en octobre 2020.

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Ludovic MARIN / AFP

Je vous annonce solennellement que j’ai décidé de ne pas être candidat à la présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération”, a-t-il lancé devant les parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale réunis en Congrès extraordinaire.

Élus et observateurs attendaient une annonce sur la révision constitutionnelle promise depuis des mois et qui générait rumeurs et fantasmes. Finalement, cette révision ne comporte que des points mineurs (nomination du vice-président après l’élection et non un ticket pour le scrutin, aménagements juridiques…).

Annonce surprise

Mais le président a profité du cadre symbolique de Yamoussoukro et de la réunion de deux chambres pour une annonce qui a pris tout le monde de court, dans un continent où de nombreux présidents s’accrochent au pouvoir le plus longtemps possible. La Guinée, pays voisin, est ainsi secouée par des violences, autour de la volonté prêtée au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat à la fin de l’année.

La Constitution ivoirienne n’autorise que deux mandats, mais M. Ouattara, 78 ans, élu en 2010, puis réélu en 2015, estimait avoir le droit de se représenter en raison du changement de Constitution en 2016, ce que contestait l’opposition. Le débat est désormais clos. L’annonce faite au terme d’un discours d’une trentaine de minutes a été accueillie par un tonnerre d’applaudissements de la part des élus mais aussi de centaines d’élèves et étudiants invités au Congrès.”Prési ! Prési ! Merci ! Merci !”, ont scandé des jeunes.

On est content qu’il laisse la place à la jeune génération. C’est un homme de parole. Je suis fier de mon président même si je ne suis pas un de ses partisans”, a affirmé Daouda Bakayoko, élève-maître au Cafop (équivalent de l’École Normale) de Yamoussoukro.

Place à la nouvelle génération

L’annonce d’Alassane Ouattara a été saluée dans les rangs de l’opposition. “C’est une bonne décision qui permet au président Ouattara de sortir la tête haute de sa carrière politique. C’est un acte important qui permet d’apaiser l’environnement, de clarifier le jeu politique et d’offrir l’opportunité à la nouvelle génération de faire ses preuves”, a ainsi affirmé l’opposant Pascal Affi Nguessan, ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo.

Le message est aussi adressé à tous les hommes politiques de sa génération. Il appartient à chaque leader politique et surtout ceux de sa génération de se déterminer. C’est un défi qu’il leur a lancé et j’espère qu’ils seront à la hauteur”, a poursuivi M. Nguessan, ne cachant pas “espérer être celui qui va prendre la relève”.

Depuis la mort du “père fondateur” de la Côte d’Ivoire Felix Houphouet Boigny en 1993, la vie politique était dominée par le trio de rivaux : Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié (président 1993-1999) et Laurent Gbagbo (2000-2010). Henri Konan Bédié, qui aura 86 ans lors du scrutin n’a pas écarté l’idée de se présenter. Et le destin de Laurent Gbagbo, qui en aura 75, est lié à la décision de la Cour pénale internationale qui doit statuer sur son sort.

Au Parti démocratique de Côte d’Ivoire(PDCI) de Konan Bédié, on se dit aussi satisfait : “Le président a libéré tout le monde. Il faut savoir faire la passe”, a affirmé la députée Véronique Aka. Le climat politique est tendu en Côte d’Ivoire avant la présidentielle d’octobre. Elle se tiendra dix ans après la crise postélectorale de 2010-2011, née du refus du président en place, Laurent Gbagbo, de reconnaître sa défaite électorale face à Alassane Ouattara, qui avait fait 3.000 morts.

Pour le moment, l’ancien Premier ministre Guillaume Soro, 47 ans, ex-chef de la rébellion pro-Ouattara, mais devenu un de ses adversaires, est le seul à s’être déclaré candidat à la présidentielle. Accusé de complot, sous le coup d’un mandat d’arrêt en Côte d’Ivoire, il vit actuellement en France. Dans le camp du président, certains qui espéraient voir Alassane Ouattara briguer un troisième mandat pleuraient ouvertement dans l’immense hall de la Fondation Houphouët-Boigny.

Le ministre Mamadou Touré, porte-parole adjoint du gouvernement, s’est dit “partagé entre tristesse et respect”. “Alassane Ouattara, c’est 25 années de notre histoire, un combat difficile avec des militants tués, des moments forts, la victoire en 2010. Ouattara, c’est des performances économiques et sociales, et beaucoup avaient le sentiment qu’il devait parachever le travail”, a-t-il estimé. “C’est une décision personnelle que nous respectons”, a-t-il toutefois ajouté. “C’est aussi une leçon pour l’ensemble de la classe politique ivoirienne : il faut savoir céder la place. Et c’est un message qui fera écho sur le continent africain”.