Comment la CIA a espionné le Maroc et d’autres pays pendant des décennies

Pendant des années, la CIA américaine et les renseignements extérieurs allemands ont espionné leurs ennemis et leurs alliés grâce à un matériel de cryptage développé par une société suisse dont ils étaient secrètement les propriétaires.

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Le siège de la CIA, à Langley, aux Etats-Unis. Crédit: Saul Loeb/AFP

L’Allemagne et la CIA ont, pendant des décennies, espionné 120 pays de par le monde, dont le Maroc. Comment ? En leur vendant des équipements de cryptage de communications à travers une société privée, Crypto AG.

Une enquête explosive réalisée par le Washington Post et la chaîne de télévision publique allemande ZDF révèle comment la Central Intelligence Agency (CIA) et les services secrets de l’ex-Allemagne de l’Ouest, la Bundesnachrichtendienst (BND), ont vendu du matériel truqué à 120 pays de manière à briser facilement le cryptage de communications censées rester secrètes.

Parmi les clients, l’Iran, l’Arabie Saoudite, plusieurs juntes militaires en Amérique latine, mais aussi le Vatican et… le Maroc. Le royaume ainsi que tous les autres pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie) font partie des 18 clients africains de la firme basée à Zoug, en Suisse.

“Le coup du siècle”

C’était le coup d’État du renseignement du siècle”, s’enthousiasme un rapport classifié de la CIA auquel le Washington Post a eu accès en intégralité, et dont il publie quelques extraits. En interne, l’opération était dénommée “Thesaurus” puis “Rubicon” et ne prit fin qu’en 2018, année où la CIA a cédé l’entreprise à deux sociétés, CyOne et Crypto International.

Nous n’avons aucune relation avec la CIA ni la BND, et nous n’en avons jamais eu”, peut-on lire dans un communiqué publié sur le site de Crypto International. “Si ce que vous dites est vrai, alors je me sens absolument trahi, et ma famille se sent trahie, et je pense que beaucoup d’employés et de clients se sentiraient trahis également”, a commenté le propriétaire et fondateur suédois de Crypto International, Andreas Linde.

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D’après les documents obtenus par le Washington Post et ZDF, les services secrets américains ont, grâce à Crypto AG, pu surveiller les mollahs iraniens durant la crise des otages à l’ambassade américaine de Téhéran de 1979, fournir des renseignements à propos de l’armée argentine aux Britanniques lors de la guerre des Malouines en 1982, suivre les assassinats de dictateurs sud-américains et surprendre des officiels libyens se congratuler mutuellement après un attentat contre une discothèque à Berlin, en 1986.

L’enquête indique que la BND s’est désengagée progressivement de l’accord à partir de la fin des années 1970, et s’en est totalement retirée au moment de la réunification des deux Allemagnes, cédant ses parts à la CIA.

“Clarifications” nécessaires

Ni la CIA ni la BND n’ont souhaité commenter cette enquête, sans pour autant nier l’authenticité des documents, selon le Washington Post. L’ancien coordinateur du renseignement allemand, Bernd Schmidbauer, a pour sa part confirmé à la chaîne allemande ZDF l’existence de cette opération, estimant que “Rubicon” avait permis “de rendre le monde un peu plus sûr”.

Le gouvernement suisse a indiqué mardi à l’AFP avoir nommé le 15 janvier un juriste pour mener une “recherche” sur le sujet et “clarifier les choses”. Il doit rendre son rapport au ministère suisse de la Défense en juin. La Suisse a également suspendu en décembre la licence générale d’exportation accordée aux sociétés ayant succédé à Crypto AG “jusqu’à ce que les clarifications qui s’imposent aient été effectuées”.

(avec AFP)