La prise de Syrte, un sérieux avantage pour les pro-Haftar

Les troupes du maréchal Khalifa Haftar ont marqué un point dans leur offensive contre Tripoli en s’emparant le 6 janvier de Syrte, verrou stratégique entre l’est et l’ouest de la Libye, anticipant l’intervention promise par Ankara en soutien aux forces rivales.

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Ahmad al-Mesmari, porte parole des force de Haftar, annonce la prise de Syrte lors d'une conférence de presse à Benghazi, le 6 janvier. Crédit: Abdullah Doma/AFP

Cet appui annoncé par Ankara a suscité un chassé-croisé diplomatique intensif dans le but de mettre fin à un conflit qui s’internationalise de plus en plus. Dans ce contexte, la Russie et la Turquie ont appelé mercredi 8 janvier à un cessez-le-feu en Libye à partir du 12 janvier.

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Les deux camps rivaux, à savoir les forces du maréchal Haftar, homme fort de l’est du pays, et celles loyales au Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU et basé à Tripoli, n’ont pas encore donné de réponse claire à cet appel qui intervient au surlendemain de la perte de Syrte par les pro-GNA. Les troupes de Haftar y sont entrées lundi 6 janvier quasiment sans combats, en s’achetant notamment l’allégeance d’un groupe armé salafiste local.

Haftar vs GNA

Ville natale de l’ex-dirigeant Mouammar Kadhafi, renversé et tué lors de la rébellion de 2011, Syrte qui a payé un lourd tribut à la chute de l’ancien régime, a accueilli à bras ouverts l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar, qui vient d’être rebaptisée “Forces armées arabes libyennes”. La cité n’était de toute façon pas acquise à la cause du GNA, dont les forces étaient composées essentiellement d’anciens rebelles anti-Kadhafi venus de la ville de Misrata, située à mi-distance entre Syrte et Tripoli.

Depuis le début de l’offensive de Haftar sur Tripoli en avril, ce dernier a notamment mobilisé des troupes pour contrer une éventuelle attaque contre le Croissant pétrolier, poumon de l’économie situé dans le nord-est du pays, qu’il contrôle depuis 2016. Il craignait aussi l’utilisation par le GNA de la base aérienne de Syrte pour mener des frappes contre son fief de l’est, selon Jalel Harchaoui, chercheur à l’Institut Clingendael de La Haye. “Ces menaces à partir de Syrte contre l’ANL constituaient une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de Haftar”, a-t-il dit.

Après la perte de Syrte, Misrata, dont les forces sont aux premiers rangs aux fronts dans la banlieue sud de la capitale, fait “désormais l’objet de pressions sur son flanc oriental”, selon lui. Les forces de Haftar ont désormais la possibilité d’ouvrir un nouveau front contre cette ville à 250 km à l’ouest de Syrte, selon Hamish Kinnear, analyste chez Verisk Maplecroft. Les Misratis donneront alors “la priorité à la protection de leur ville (…) ce qui exercera une grosse pression sur l’effort de guerre du GNA à Tripoli même”, dit-il. Emad Badi du Middle East Institute estime aussi que Haftar va chercher à détourner l’attention des Misratis de Tripoli pour se concentrer sur une éventuelle attaque contre leur ville.

Le GNA en difficulté

Stratégiquement, la perte de Syrte rend plus difficile pour les forces du GNA de perturber les lignes d’approvisionnement de Haftar depuis l’est et le sud”, explique de son côté Wolfram Lacher, chercheur à l’Institut allemand de politique internationale et de sécurité (SWP). Ce développement sur le terrain intervient au moment où la Turquie multiplie les annonces d’envoi de troupes en Libye pour contrer l’offensive de Haftar, soutenu notamment par les Émirats arabes unis et l’Égypte, deux rivaux régionaux d’Ankara.

La Russie a démenti de son côté avoir envoyé des mercenaires combattre aux côtés des pro-Haftar. Si le président turc Recep Tayyip Erdogan “prétend déployer une grande mission rapidement, le maréchal Haftar et ses soutiens étrangers savent que la Turquie est contrainte, par prudence (…) et par difficulté technique, de procéder lentement”, a estimé Jalel Harchaoui.

Selon l’analyste, les Turcs envisageraient dans un premier temps de défendre certains secteurs, comme le centre-ville de Tripoli, comme ils l’ont fait par exemple en Syrie. “La perte de Syrte rend encore plus urgent l’appui turc au GNA”, indique de son côté Wolfram Lacher. Même si des drones turcs ont repris ces derniers jours leurs frappes contre les forces pro-Haftar, le GNA a besoin de plus de capacités aériennes, dit-il à l’AFP.

Mercredi 8 janvier, Erdogan a annoncé l’envoi de 35 soldats en Libye en soutien au GNA, mais ces militaires ne sont pas appelés à participer aux combats, selon lui. Selon des analystes, des “experts” seraient déjà sur place pour aider les troupes du GNA à commander les drones et brouiller les signaux des appareils des forces rivales.