Les demandes d’autorisation de mariage de mineurs sont en progression. Cette tendance devient inquiétante.” C’est en ces termes que le président du Ministère public, Mohamed Abdennabaoui, a fait part du constat alarmant qui touche l’union des mineurs, dans son discours d’ouverture lors d’un colloque organisé sur cette problématique, à Marrakech. Initié par la présidence du Ministère public en coopération avec l’Unicef, ces 29 et 30 octobre, l’événement veut poser réflexion sur les moyens de lutte pour endiguer ce phénomène, notamment au niveau de l’action judiciaire.
33 686 demandes en 2018
Théoriquement interdite au Maroc depuis 2004, avec le code de la Moudawana et le passage de l’âge minimum légal du mariage de 15 à 18 ans, l’union d’hommes avec des filles mineures peut avoir lieu par l’octroi de dérogations des juges. Une réelle carence pour Mohammed Abdennabaoui, qui ne s’est pas privé de le signifier par une pique ne souffrant d’aucune ambiguïté : “Nous questionnons le traitement judiciaire réservé à ces demandes. Les différents intervenants du système judiciaire, dont le parquet général, ont-ils traité ces demandes comme si elles concernaient leurs filles ou comme simples dossiers judiciaires ?”
Un appel à davantage de responsabilité fait aux magistrats, face à des requêtes d’union qui s’élèvent à 33 686 demandes, d’après le président du Ministère public. Des exceptions devenues “la norme”, avait déjà alerté Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), en mars dernier. Par fatiha ou par dérogation, elle avait estimé le nombre d’adolescentes mariées à 40 000, en 2018. Soit près d’un mariage sur dix, du jamais vu depuis l’introduction de la Moudawana.
“La problématique est que, de 2004 à aujourd’hui, le nombre des mariages de mineurs n’a fait qu’augmenter et le nombre des drames humains et des violations de l’intégrité physique à l’égard des filles avec. […] Il est temps d’ouvrir le débat sur une question qui est urgente et essentielle”, expliquait-elle à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars.
Problème multifactoriel
Ces pratiques visant à légaliser des unions précoces ont été pointées du doigt par Mohammed Abdennabaoui, qui n’a pas manqué de rappeler les dérives d’une telle réalité. Parmi ces dérives, les faits de violences, la négligence familiale et les cas d’expulsion du domicile conjugal.
Ce n’est pas la première fois que le procureur général du roi près la Cour de cassation aborde cette question épineuse. Dans une circulaire diffusée en mars 2018, ce dernier appelait déjà les magistrats du parquet à “s’opposer aux demandes de mariage qui ne tiennent pas compte de l’intérêt supérieur du mineur”.
La circulaire visait à “soumettre aux juges des requêtes en harmonie avec la volonté du législateur, qui a subordonné le mariage avant la majorité à l’approbation de la justice”, par le biais d’audiences “propices à sensibiliser le mineur sur les méfaits que pourrait impliquer le mariage précoce, en faisant appel — le cas échéant — à des assistantes sociales”.
Un point sur lequel revient également l’article 20 de la Moudawana qui fait part de décisions devant “être motivées” en “précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage, après avoir entendu les parents du mineur ou son représentant légal, et après avoir eu recours à une expertise médicale ou procédé à une enquête sociale”.
Des décisions qui, malgré tout, restent “conditionnées par la culture et les convictions idéologiques du juge lui-même”, estimait Nouzha Guessous à TelQuel. Pour la chercheuse et consultante en bioéthique et droits humains, ex-membre de la commission de réforme de la Moudawana, les lois et recours juridiques ne suffisent pas face à un “problème multifactoriel”. “La pauvreté, la non-scolarisation ou la déscolarisation des filles, les traditions avec leurs tabous, et leur peur d’être stigmatisées par une relation sexuelle hors mariage alimentent l’idée selon laquelle le mariage serait la meilleure solution pour la jeune fille.”
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