Dix ans après, un audit révèle que le Plan Halieutis n'existait sur aucun document officiel

Le rapport annuel de la Cour des comptes a mis au jour les nombreux dysfonctionnements du Plan Halieutis. Le ministère de l'Agriculture et de la Pêche maritime n'a pas été capable de produire un seul document officiel y faisant référence.

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Le ministre de l’Agriculture et de la Pêche, Aziz Akhannouch, en visite au Salon Halieutis. Crédit: DR

Objectifs non-atteints, planning et suivi inexistants, décisions ministérielles arbitraires… Dans son rapport annuel la Cour des comptes de Driss Jettou a révélé les nombreux ratés du Plan Halieutis, une stratégie nationale initiée en 2009 pour développer et moderniser le secteur de la pêche au Maroc. Le projet, porté par le ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime Aziz Akhannouch et doté d’une enveloppe de 6,6 milliards de dirhams, séduisait pourtant sur le papier.

Production, infrastructures, respect de l’environnement, aquaculture… le programme échafaudé par le cabinet de conseil Valyans promettait de faire passer le secteur halieutique d’une activité artisanale et peu rentable à une industrie moderne et créatrice de richesse. Pourtant, dix ans après le lancement du plan, la Cour des comptes dresse un tableau accablant du secteur halieutique marocain. Des failles importantes se retrouvent à tous les niveaux.

Pas de budget ni de planning d’exécution

Côté ministère pour commencer. L’organe de contrôle révèle que le Département de la pêche maritime s’est montré incapable de lui fournir le moindre « document faisant foi du Plan Halieutis, qui soit chiffré avec l’enveloppe budgétaire globale, ainsi que les budgets alloués et les sources de financement des différents projets structurants programmés. » Aucun planning d’exécution n’avait d’ailleurs été prévu par le plan. Du point de vue ministériel, le Plan Halieutis n’a donc aucune existence officielle. Une incurie qui a conduit à des dysfonctionnements majeurs plus en aval.

Des quatre instances de pilotage qui étaient supposées le mettre en oeuvre, pas une seule n’a vu le jour, de même que le “Comité nationale de la pêche” pour la concrétisation des projets stratégiques n’a jamais été constitué. Une incurie qui a eu raison de nombreux projets. À la date juillet 2016, la Cour des comptes note que  “sur 70 projets prévus, 25 seulement ont été achevés” et que “seulement 39% des plans d’actions ont été achevés, 36% est partiellement réalisés, et 25% non encore mis en œuvre”.

La planification et la mise en oeuvre, ainsi que l’opération de bilan ont été confiés au bureau d’étude Valyans, également à l’origine du plan, ce qui au regard de l’instance de contrôle pose un problème d’ “incompatibilité et de subjectivité des analyses”. Le cabinet a touché environ 37 millions de dirhams pour ces services.

Dans le contexte mondial de surexploitation des océans, le Plan Halieutis avait fait une priorité de la préservation des ressources halieutiques, à travers l’instauration des principes de la pêche durable. Mais, là encore, la Cour des comptes a pointé de nombreux manquements. L’Institut national de la recherche halieutique (INRH), un organisme scientifique chargé de définir les quotas de pêche, a souffert d’un manque de moyens humains, financiers et matériels pour mener ses études scientifiques. Ses effectifs n’ont par exemple augmenté que de 40 personnes en l’espace de 7 ans.

Décisions ministérielles incompréhensibles

En dépit des plans d’aménagement, de nombreuses espèces continuent d’être exploitées au-delà du rendement maximal. C’est en particulier le cas du poulpe, une espèce pour laquelle “des rallonges de quotas sont prises par des décisions ministérielles adressées aux délégués régionaux modifiant les quotas initiaux, en augmentant les quantités, ce qui vide les plans d’aménagement de leur substance“, indique le rapport, qui ajoute que les mesures de gestion de certaines espèces ont été instaurées par des décision unilatérales d’Aziz Akhannouch, ce qui a engendré des contraintes au niveau de leur mise en application.

Si l’aquaculture est un moyen de lutter contre la surpêche, l’action du ministère n’a pas permis son éclosion au Maroc. La production d’élevage a même diminué au cours des dix dernières années, en dépit du plan qui ciblait une production de 400.000 tonnes par an. L’institution de Driss Jettou signale à ce propos le “retard dans l’adoption du code de l’aquaculture”, l’“absence de mesures fiscales incitatives” et les “difficultés d’accès au financement”, précisant par ailleurs que seulement trois fermes aquacoles ont été créées au cours des dix dernières années.

Le coeur du projet Halieutis visait à transformer le secteur halieutique en une économie performante et compétitive. Malgré le doublement du PIB de la pêche, qui a atteint 15 milliards de dirhams en 2015, la part du Maroc dans le marché mondial s’est maintenue sous la barre des 2%, loin des 5,4% visés pour 2020. La consommation annuelle de poisson par habitant ne progresse poussivement qu’à 13,6 kg, en dépit de l’investissement de 33 millions de dirhams dédié à la promotion des ressources halieutiques.

Halieutis 2 dans les tuyaux

L’industrie nationale de la pêche ne s’est pas hissée aux standards modernes. La faute, selon la Cour, à “l’insuffisance des équipements portuaires nécessaires à l’accostage des navires et au débarquement des produits de la pêche et des moyens de déchargement (grues, chariots élévateurs, remorqueurs, pompes, etc), ainsi que des fabriques de glace et des chambres froides”. De même, les objectifs fixés pour la construction de marchés de gros n’ont pas été remplis, avec seulement 5 nouvelles infrastructures sur les 20 annoncées. Quant au contrôles sanitaires, l’instance note que “deux techniciens seulement sont chargés d’effectuer le contrôle d’une quantité de 500 tonnes/jour”.

Si le royaume vend plus de poisson, il ne le vend pas mieux. L’instance de Driss Jettou fait en effet savoir que l’économie nationale du poisson, qui exporte aujourd’hui deux fois plus de produits de la mer qu’en 2008, est cependant restée cantonnée à “une transformation limitée et une faible valorisation des produits halieutiques”. De plus, elle a échoué à conquérir de nouveaux marchés et a renforcé sa dépendance vis-à-vis des importations de l’UE, en particulier de l’Espagne.

De nombreuses anomalies de gouvernance ont également été montrées du doigt. À l’exemple de l’exclusion non justifiée de la pêche hauturière du circuit de distribution géré par l’ONP: “Ce segment qui représente près de 40% en valeur des ressources halieutiques, n’est toujours pas intégré dans le circuit de commercialisation géré par l’ONP, et ne s’acquitte pas de la taxe de halle au poisson”. Une perte sèche pour les caisses de l’État.

Le taux d’emploi du secteur laisse également à désirer puisque le rapport affirme que les besoins en “marins et en ouvriers qualifiés ne sont toujours pas comblés, et que l’effectif des formateurs au niveau des établissements de formation maritime demeure insuffisant”. Les mesures d’Halieutis promettaient pourtant de générer plus de 70.000 nouveaux postes de travail.

Toutefois, l’inventaire critique dressé par la Cour des comptes n’a pas eu pour effet de déstabiliser le ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Mercredi, à la veille de la publication du rapport général, le département de la Pêche a laissé fuiter l’information qu’un Plan Halieutis 2 était en préparation pour la séquence 2020-2030. Un appel d’offres a déjà été lancé pour de nouvelles études sur le secteur halieutique. Elles seront examinées le 22 octobre prochain.

 

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