“Profonde préoccupation” après l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni pour “avortement illégal”

Hajar Raissouni, une jeune femme de 28 ans, journaliste au quotidien arabophone Akhbar Al Yaoum, a été arrêtée le 31 août à proximité d’une clinique de Rabat où la police la suspecte d’avoir subi un avortement interdit par la loi.

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Hajar Raissouni, journaliste. Crédit: Hajar Raissouni / Facebook

Après sa mise en garde à vue samedi, Hajar Raissouni est maintenue en détention provisoire après avoir été présentée devant le procureur du roi le 2 septembre. Une détention qui sera effective au moins jusqu’à une prochaine audience le 9 septembre. Les faits retenus contre la jeune femme sont : “relations sexuelles illégales ayant entraîné une grossesse” et “avortement illégal”.

Sont également détenus, le médecin suspecté d’avoir pratiqué l’acte, son infirmier, sa secrétaire, ainsi que le fiancé de Hajar Raissouni, un universitaire de nationalité soudanaise avec qui son mariage est programmé pour le 14 septembre.

Selon une source policière consultée par TelQuel, le service préfectoral de la police judiciaire (SPPJ) de Rabat a reçu le 30 août “des renseignements sur la pratique d’avortement dans une clinique du quartier de l’Agdal”. Selon la même source, c’est à cette date que Hajar Raissouni s’est rendue une première fois à la clinique, où on lui aurait demandé de revenir le lendemain. Selon la police, Hajar Raissouni, en se présentant sous une autre identité, aurait subi un avortement le 31 août, des mains du Docteur B. assisté d’un infirmier et en présence de sa secrétaire. Selon la police, ces derniers auraient signé des aveux attestant de cette version, allant jusqu’à détailler le montant des honoraires versés par la patiente — 3.500 dirhams, dont 150 pour l’infirmier.

Not guilty

Joint par TelQuel, l’avocat de Hajar Raissouni, maître Saad Sahli, affirme au contraire que le médecin a déclaré au procureur qu’il n’avait pas pratiqué d’avortement, mais qu’il avait reçu la patiente en urgence pour une hémorragie interne. Selon AlYaoum24, Hajar Raissouni défend la même version des faits et aurait déclaré à la police : “Je n’ai effectué aucun avortement et je n’avais aucune raison de le faire”.

Un avortement est un acte médical et il ne peut être prouvé que par une expertise médicale”, plaide Saad Sahli à TelQuel. Il poursuit : “Or, il n’y a pas d’expertise médicale à ce jour. Il y a en revanche un bulletin de consultation qui dit qu’il n’y a pas eu d’avortement”.

L’avocat fait référence à un document qui a été rempli par un médecin du CHU Ibnou Sina de Rabat où Hajar Raissouni a été auscultée samedi avant d’être placée en détention. Son contenu relevant purement de la vie privée, TelQuel prend la responsabilité de ne pas le reproduire. Il a été publié par Akhbar Al Yaoum, “avec le consentement de l’intéressée”, pour appuyer les propos de l’avocat. Il a également été publié par le site Barlamane.com, dans une version plus lisible, pour au contraire tendre à prouver la thèse de la police.

Arrestation “excessive”

Contacté par TelQuel, le professeur Chafik Chraibi, gynécologue et président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin, déclare : “Cette arrestation est excessive aussi bien pour la journaliste que pour le médecin. Nous avons pris l’habitude, ces dernières années, de voir beaucoup d’arrestations pour des cas d’avortement. Il y a eu beaucoup d’arrestations de médecins et d’équipes de médecins. Ce qui est exceptionnel, en revanche, c’est l’arrestation de la femme avortée.

Il poursuit : “Généralement, la femme avortée est interrogée et le plus souvent relâchée. Dans les rares cas où ça arrive jusqu’au jugement, elle s’en sort par acquittement ou par un petit sursis.

Est-ce donc pour sa qualité de journaliste que Hajar Raissouni fait les frais de l’application stricte d’un article de loi utilisé comme une épée de Damoclès ? Le syndicat national de la presse marocaine (SNPM) a affirmé le 4 septembre qu’il suivait “avec un vif intérêt l’affaire” et a exprimé “sa profonde préoccupation”, à l’instar d’autres organismes de la société civile.

Le bureau exécutif du SNPM a également décidé de charger un avocat d’examiner le contenu du dossier et de l’étudier pour préparer un rapport sur le sujet, et pour suivre tous les développements qui s’y rapportent afin de traiter ce cas avec la responsabilité et le souci de fournir toutes les garanties et conditions d’un procès équitable,” annonce un communiqué.

Réactions

L’affaire a également suscité la réaction d’Ahmed Raissouni, oncle de Hajar Raissouni, président de l’Union internationale des oulémas musulmans et ancien président du Mouvement unicité et réforme (MUR), fervent opposant à la légalisation de l’avortement. “Pour réconforter ma fille Hajar, je lui rappelle que moi aussi, j’ai été arrêté deux semaines avant mon mariage à l’été 1976, puis je suis sorti sans suivi ni accusation,” a-t-il déclaré à Al Yaoum24.

Lorsque les courants islamiques et conservateurs comprendront que cette liberté individuelle les protège contre l’exploitation de leur propre vie par leurs adversaires idéologiques… alors chacun contribuera à la construction d’une société mature où les autres ne seront pas emprisonnés pour l’amour et le plaisir,” écrit quant à elle la sociologue Sanaa El Aji dans une tribune qu’elle débute par “peu importe que Hajar Raissouni ait avorté ou non”.