La détresse des expulsés de Douar El Garaa

Les pelleteuses mobilisées depuis le 25 août 2019 à Douar El Garaa sonnent le glas des espoirs des habitants de ces baraques au coeur la capitale. Après une saisine du tribunal administratif par le wali de Rabat Mohamed Yacoubi, la démolition s'accompagne de l'expulsion de centaines de familles de leurs foyers.

Par

Aimane El Azaar

Il est onze heure ce mercredi 28 aout à Douar El Garaa. Deux femmes octogénaires entourées de sacs pleins à ras bords sont enlacées et pleurent à chaudes larmes. Elles font partie des plus vieilles habitantes du Douar. Elles étaient voisines, jusqu’à ce que les engins n’engloutissent les affaires qu’elles n’ont pas eu le temps d’emporter, les murs construits par leurs parents et ce qu’elles considéraient comme la pierre angulaire de leur histoire personnelle.

Mousamaha” (“pardon”, en arabe classique), se répètent-elles entre deux sanglots. Ces deux femmes ont vécu côte à côte pendant plus de 70 ans. Séparées par un simple mur, elles ont mené leur existence parallèlement l’une à l’autre. Ce qu’elles pleurent c’est une amitié liée à l’histoire même de leur quartier, qui n’est plus aujourd’hui.

Aperçu d’une des ruelles de Douar El Garaa après la démolitionCrédit: Aimane El Azaar

Après la publication de plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux mettant en scène des altercations entre les forces de police et les habitants de Douar El Garaa, TelQuel s’est rendu sur place. Là où se plantait un labyrinthe d’allées sinueuses en ciment et en zinc gisent désormais les ruines d’une démolition précipitée.

La plupart des habitants n’ont pas eu le temps de récupérer leurs affaires qui sont restées enfouies sous les débris.Crédit: Aimane El Azaar

Histoire d’un Douar

Le spectacle des deux femmes en pleurs n’est pas un cas isolé. Ce jour là, la dernière baraque a été réduite en débris, scellant ainsi le sort des familles qui se retrouvent à la rue. A notre arrivée, la rue fourmille de monde. Les pompiers, les forces auxiliaires, et les agents de la sureté nationale sont sur place et ordonnent l’évacuation du périmètre où opèrent les pelleteuses. Sur les trottoirs, sont rassemblées femmes et enfants en pleurs, assis sur quelques affaires rangées à la hâte dans des sacs plastiques de fortune.

Niché au cœur du quartier Yaacoub El Mansour, Douar El Garaa existe depuis plus de 100 ans. Selon Moustapha El Ouassti, militant au sein de “la commission de Douar El Garaa” et habitant du quartier depuis près de 50 ans, son histoire remonte à 1918.

Après la signature du traité de Fès en 1912, la force ouvrière manquait dans les villes. Les colons ont alors procédé à un recrutement massif d’ouvriers du monde rural dans le but de construire les nouvelles grandes villes. Ces ouvriers ont été relogés par la suite dans la zone qui fait aujourd’hui l’objet d’un litige administratif entre les habitants et la wilaya.

“Des documents prouvent l’existence du Douar depuis le protectorat. Les habitants ont été amenés ici par les colons de l’occupation française. Ces derniers ont alors numéroté les rues, ouverts des marchés, des bains publics, des cafés, et des mosquées,” raconte Moustapha El Ouassti.

Il ajoute que les habitants n’occupaient pas les lieux gratuitement, mais qu’ils s’acquittaient d’un montant mensuel depuis leur installation et ce jusqu’en 1986, date de l’avènement du premier projet de réhabilitation.

Cet infographiste 3D mène depuis près de deux ans, avec d’autres militants du Douar, un bras de fer avec le conseil de la ville afin d’empêcher le transfert des habitants vers Ain Aouda, un village à 30 km de Rabat.

Situé en dehors du périmètre urbain de la ville, ce transfert signifierait pour la population active du Douar déjà précaire, un arrêt de l’activité professionnelle et le décrochage scolaire pour les étudiants selon cet habitant. “Nous déporter dans un coin perdu est inadmissible. Les terrains qu’on nous a promis sont dépourvus d’écoles, d’hôpitaux, ou d’opportunités de travail. L’accès à la zone de Ain Aouda qui nous est destinée, est déjà très compliqué, vu qu’il n’y a pas de transport,” argumente Moustapha El Ouassti.

Succession des projets

Ce relogement à Ain Aouda, qui intervient selon Yabiladi dans le cadre du projet “Rabat Ville Lumière”, n’est pas le premier chantier visant la suppression des bidonvilles de Yaacoub El Mansour. Selon Mustapha El Ouassti les projets se succèdent depuis 1986 sans jamais aboutir. “Plus de quatre projets se sont succédés, ils proposaient tous le relogement sur place”. Il en cite un ayant visé les habitants de Douar El Koura inauguré par le roi Mohammed VI en 2005. “Les habitants avaient tous bénéficié d’un relogement sur place,” argue Moustapha qui, lui aussi, du jour au lendemain, se retrouve sans logement.

Ayant participé à plusieurs séances de concertation au sein du conseil de la ville, il dénonce le manque d’intérêt des élus locaux et de la société civile à l’exception du député de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) Omar Balafrej et de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH). Après avoir investi son temps et son énergie pour défendre le quartier qui l’a vu naître, il vit ces expulsions comme une “défaite personnelle”.

Habitant de Douar El Garaa au milieu des ruinesCrédit: Aimane El Azaar

Dura Lex Sed Lex

Plusieurs habitants se retrouvent ainsi du jour au lendemain sans toit. Après une plainte déposée par le Wali de Rabat auprès du tribunal administratif pour occupation illégale de terrain, les expulsions ont démarré. Plusieurs habitants, qui pris de court n’ont pas eu le temps de récupérer leurs affaires ni d’organiser leur départ, campent dans les ruines et aux alentours. Certains déplorent une “violence cruelle” de la part des autorités qui auraient refusé de leur montrer le jugement du tribunal administratif. “On ne m’a jamais convoquée à une audience, on ne m’a jamais demandé d’apporter des papiers, ni donner l’opportunité d’être représentée par un avocat. On a toqué un jour à ma porte et on m’a jetée dehors comme une criminelle,” raconte une des habitantes en pleurs.

Moustapha El Ouassti rajoute avoir été au travail le jour où l’on a saisit sa baraque : “Quand je suis arrivé, j’ai immédiatement demandé au policier de me montrer le jugement du tribunal administratif, il m’a déclaré qu’il était dans sa voiture. Et m’a fait comprendre que si j’insistais, j’allais le regretter”.

Contacté à plusieurs reprises par Telquel.ma, ni la wilaya ni le conseil de la ville de Rabat n’ont pu être joints.

Détresse d’une population à présent sans toit

Plusieurs familles, qui n’ont manifestement pas eu le temps de récupérer leurs affaires avant l’arrivée des engins mobilisés par la wilaya creusent au milieu des débris du mieux qu’elles peuvent afin de récupérer le peu qui leur reste.

Ceux qui n’ont pas de famille pour les accueillir, ou trop de fierté pour demander de l’aide, ont érigé des campements sur place avec le mobilier qu’ils ont pu extirper des décombres.

Le sommeil se fait alors en alternance entre les femmes et les hommes. A tour de rôle, ils font les guets par peur des délinquants ou des chiens qui rodent la nuit.

Plusieurs, à cours d’options dorment dans la rue.Crédit: Aimane El Azaar

 

Habitant du Douar qui cherche dans décombres

Les enfants jouent au milieu des pierres, essaient de récupérer des jouets ou aident leurs parents à rassembler des semelles d’acier afin de fortifier leur campement de fortune. Oumaima, quinze ans, raconte que ses parents ont décidé de reporter sa rentrée de troisième année de collège à une date indéfinie. “On ne sait pas quand est-ce qu’on va trouver une maison, je ne peux pas aller à l’école alors que je vis à présent dans la rue,” dit-elle.

Enfants qui collectent des objets pour fortifier leurs campements.Crédit: Aimane El Azaar

 

Une enfant en route pour aller jouer.Crédit: Aimane El Azaar

 

La seule source d’eau des campeurs de Douar El Garaa.Crédit: Aimane El Azaar

Les 150.000 dirhams d’indemnités perçus par famille sont insuffisantes pour se re loger dans la capitale de manière durable. Pour l’instant, ils projettent de camper en signe de protestation.