Disparition : Lalla Amina Slaoui, une tisseuse de liens au service de son pays

Lalla Amina Slaoui, née Benchekroun, s’est éteinte samedi 24 août, à l’âge de 83 ans. Sa générosité, sa curiosité et sa passion pour la politique n’ont pris aucune ride. En ouvrant sa maison aussi bien aux hauts commis de l'État qu’aux jeunes acteurs de la société civile, la défunte réussit une prouesse : faire l'unanimité au sein du gotha politique et culturel.

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Famille Slaoui

Le Maroc a perdu l’une de ses plus belles courroies de transmission. À 83 ans, Lalla Amina Slaoui s’est éteinte, victime d’un malaise respiratoire. Épouse de l’industriel et collectionneur d’art Abderrahmane Slaoui, elle était connue et appréciée de tous. Politiques, capitaines d’industrie, acteurs de la société civile ou encore artistes, ils sont nombreux à avoir franchi les portes de la maison de celle qui a toujours prôné le dialogue et l’échange.

Amina Slaoui se plaisait à faire le relais entre les milieux et les générations tant sa maison était, à l’image d’une agora, un lieu d’échange et de débats. Loin des lumières. Elle qui refusait de revêtir une des renommées factices, se bâtissant à coups de bonnes fortunes médiatiques. Sans doute parce qu’elle était une femme d’une simplicité raffinée, intelligente, animée par l’amour sincère de son pays. Sans doute, aussi, parce qu’elle était de ces femmes qui voulaient tisser, dans l’ombre, le lien entre le Maroc d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Une “institution” qui fait l’unanimité  

“Plus qu’une grande dame, une institution ”. C’est ainsi que Fathallah Oualaâlou, décrit Amina Slaoui. L’ancien ministre des Finances du gouvernement Youssoufi se souvient également d’une “dame sûre d’elle, très optimiste et très ouverte”, ayant marqué “toutes les personnes qui l’ont connue de près”. Proche de la famille Slaoui, la présidente de la Fédération des industries culturelles de la CGEM, Neila Tazi évoque, elle,  une “icône”, qui a contribué à “la modernité de la femme marocaine, de ses opinions et de son art de vivre”.

En côtoyant les milieux bourgeois, politiques, artistiques et populaires, Lalla Amina faisait partie de ces rares femmes de cette génération qui avaient cette ouverture sur tous les milieux ” poursuit la fondatrice du Festival Gnaoua d’Essaouira. “Vous le voyez au travers de ses enfants qui sont impliqués dans l’associatif, les milieux artistiques, le monde économique, international… On voit bien que cela découle d’une éducation ”, complète-t-elle.

Ses enfants, feu Omar Slaoui, membre du G14 de Hassan II, l’éditrice Malika Slaoui (Malika Editions), Nadia Slaoui, la PDG de l’entreprise France Neon (spécialisée dans la communication visuelle) et Brahim Slaoui, le président du groupe Mafoder (spécialisé dans la fonderie). Ce dernier évoque une mère “exceptionnelle qui aimait ses enfants de manière inconditionnelle, une grand-mère qui rassemblait sa famille, ainsi qu’une militante active et engagée dans le politique, le social et le culturel”.

Derrière cette “dame de cœur”, se cachait aussi une femme curieuse, passionnée de politique et attentive à la chose publique. “Elle restait toujours aussi attentive à ce qui se passait sur la scène politique, à discuter avec tous les acteurs et partager son point de vue sur l’évolution politique du pays.  Elle voulait voir de plus en plus de femmes engagées en politique, convaincue que c’était cette dynamique-là qui ferait bouger le Maroc ”, se souvient Neila Tazi.

Il était une fois un vieux couple heureux

Les racines de ses valeurs, on les retrouve dans son histoire personnelle. Née au milieu des années 1930, Amina Benchekroun, à l’état civil, est biberonnée très tôt aux valeurs nationalistes. Son père Haj Abdessalam Benchekroun, l’un des plus grands joailliers de Fès, est emprisonné à Missour pendant deux ans par les autorités du protectorat français. Le même endroit où sera exilé, au début des années 1980, le tout premier secrétaire général de l’USFP, Abderrahim Bouabid. Un leader, parmi tant d’autres, comme Mehdi Ben Barka et Karim Lamrani, très proches également de son mari, qui l’ont initié à la réflexion et à l’engagement politique. “Elle a noué des relations très fortes avec Abderrahim Bouabid, puis ensuite avec Abderrahman El Youssoufi ”, témoigne Fathallah Oualaalou. Un proche de la famille nous confie qu’elle a organisé récemment chez elle l’anniversaire d’Hélène, l’épouse de la figure de l’alternance.

Fraîchement mariés, Abderrahmane et Amina forment dès lors un couple “très avant-gardiste, féru de modernité et profondément attaché aux valeurs patriotiques marocaines de l’époque ”, rapporte leur fils Brahim Slaoui. “Elle a beaucoup appris à côté de [son] grand-père, qui lui a donné beaucoup d’autonomie, concède son petit-fils, Hamza Slaoui. Pour l’anecdote, dès qu’ils se sont mariés, il lui a offert une voiture en disant : ‘‘ maintenant, il faut que tu te débrouilles et que tu apprennes à conduire’’ ”. Son mari fut également un soutien. “ Elle était d’une génération de femmes qui ont eu la chance d’avoir des compagnons qui les ont portées et encouragées, explique Neila Tazi. Rares étaient les femmes à l’époque qui avaient accès à la connaissance et à la modernité. Lalla Amina était de celles-là, existant côte à côte avec un homme ”.

Parfois acteurs, souvent témoins, le couple militant Slaoui connaît de nombreuses épreuves. À la veille de l’indépendance, leur domicile sert alors de refuge aux activistes nationalistes recherchés par les autorités du protectorat. Ce qui leur vaut un “ attentat à la bombe chez eux, orchestré par une organisation colonialiste secrète ”, raconte le fils Brahim.

Cogito ergo sum

Si elle a su cultiver des attaches auprès des deux partis nationalistes, Amina Slaoui s’est ouverte à d’autres bords politiques. Zakaria Garti raconte que, lors d’un débat organisé par la fondation Tarik Ibn Ziad Initiative (TIZI) dont il était le président, Abdelilah Benkirane, leader du PJD et alors Chef du gouvernement, “est rapidement descendu de l’estrade pour saluer Lalla Amina Slaoui dès qu’il l’a aperçue”.

Un moment que le leader du PJD n’est pas encore près d’oublier. “ C’était une personne vive et objective qui était presque toujours présente aux événements auxquels j’ai participé, nous apprend Abdelilah Benkirane au bout du fil. Notre relation était particulière, voire familiale, bien qu’il ne m’ait été donné de la connaître que récemment ”. D’autant qu’Amina Slaoui se comportait “ normalement” avec l’ex-chef de l’Exécutif, le considérant nous dit-il “comme un simple citoyen marocain qui a une quelconque responsabilité, contrairement à certains qui se plaisent à étiqueter les gens ”. Et de regretter “ ne pas avoir pu répondre aux invitations que cette dame de valeurs n’a jamais cessé de [lui] faire pour venir déjeuner chez elle ”.

Cet engagement, Amina Slaoui souhaitait également le transmettre aux jeunes. Fathallah Oualaalou évoque ainsi “ ses rapports noués avec toutes les générations, notamment les jeunes qu’elle encourageait fortement ”. “Lalla Amina jouait le rôle de passerelle dans la société. Ses initiatives permettaient qu’ils aient des échanges, de la confiance, de l’écoute, que l’on s’écoute mutuellement et que l’on apprécie les contributions des uns et des autres ”, complète Neila Tazi.

Le petit fils de la défunte, Hamza Slaoui, témoigne :  Elle m’appelait souvent pour me demander d’inviter mes amis à un déjeuner. À table, elle lançait le débat, écoutait attentivement, intervenait et racontait certaines anecdotes de ce passé que nous n’avons pas connu”.  D’autant qu’elle avait un message particulier destiné à ses jeunes invités : “Elle leur disait toujours qu’il fallait s’engager, ne pas être attentistes, se retrousser les manches et mettre la main dans le cambouis ”, rapporte Hamza Slaoui.

Un musée en héritage

Cette volonté de transmission se ressent jusque dans les couloirs du musée Abderrahman Slaoui. Ouvert en 2012, il abrite une somptueuse collection d’art que le couple Slaoui a su construire au fil du temps. On y retrouve des bijoux de maître-joailliers marocains, des affiches orientalistes, des enluminures et coffrets en cristal de Bohême que la défunte a confiés à la fondation Abderrahmane Slaoui, après le décès de son époux survenu en 2001.

Elle a œuvré avec ses enfants pour que cet espace voit le jour et devienne un lieu de vie extraordinaire, se souvient le collectionneur d’art et patron de la maison de vente aux enchères CMOOA, Hicham Daoudi. Ses yeux brillaient lorsqu’elle voyait les expositions (organisées au musée Abderrahman Slaoui, ndlr) accueillir les jeunes de tout bord. Elle se battait inlassablement pour ‘‘son’’ musée .

 ‘‘Son’’ musée est ouvert au public autant que sa demeure casablancaise l’était jusqu’à ses derniers jours aux acteurs politiques, culturels et de la société civile.  Un lieu d’échange qui a réuni, le week-end dernier, le gotha politique, culturel et économique du Royaume dans un ultime hommage.