Supprimé en 2006, le service militaire obligatoire a été rétabli en vertu d’une loi adoptée en 2018. Parmi les jeunes, certains y voient une « opportunité », comme Rajae qui a quitté l’école pour devenir infirmière sans parvenir à trouver un emploi. Cette jeune femme de 23 ans souhaite faire partie des 15.000 premiers conscrits qui seront enrôlés sous les drapeaux dès septembre pour une durée d’un an. Elle attend sous une tente aux côtés d’autres candidates au service militaire de passer l’examen médical dans une salle dédiée sur la base de Kénitra.
Le ministère de l’Intérieur a fait état en juin d’une « forte adhésion à l’opération de recensement » en particulier chez les femmes, pour qui le service militaire reste pourtant facultatif ainsi que pour les binationaux. La base aérienne de Kénitra est l’un des 17 centres militaires qui accueillent depuis lundi et jusqu’à fin août 25.000 candidats au service militaire âgés de 19-25 ans. Rajae espère durant le service militaire bénéficier d’une formation en soins infirmiers pour « développer ses compétences » et pouvoir intégrer l’armée.
Yassine a le même âge. Il veut lui aussi effectuer le service militaire en vue de rejoindre l’armée, là où « l’avenir est assuré et les prestations médicales gratuites« , confie-t-il avec enthousiasme. Mais il ne cache pas sa crainte de ne pas être pris en raison d’un « léger trouble de la vue« . Après avoir quitté tôt l’école, ce jeune kénitrien a travaillé comme menuisier. Le service militaire serait pour lui l’occasion « d’améliorer sa situation et d’aider sa famille », lance-t-il. Les circonscrits toucheront une indemnité mensuelle de 96 à 185 euros.
Venue de la ville de Khemisset, Fatima Zahra raconte à l’AFP avoir quitté l’école avant le bac pour « travailler à l’usine« , mais son emploi ne lui « donne pas satisfaction« . Elle confie avoir « peur à cause de ce qui se dit sur les difficultés de la formation militaire pour les filles » et dit craindre que sa candidature soit rejetée. « Mais nous ne sommes pas moins capables que les garçons« , affirme-t-elle suscitant rires et applaudissements parmi les candidats dans la tente dressée sous des arbres qui font de l’ombre et protègent de la chaleur. Ils attendent leur tour pour se soumettre à des examens médicaux et avoir un entretien avec un comité de militaires.
De nombreux jeunes ambitionnent d’intégrer la fonction publique, gage de sécurité de l’emploi. C’est le cas de Mohamed, 23 ans, qui a quitté l’école au collège pour un emploi précaire dans le secteur privé, « sans couverture médicale ni retraite, contrairement à l’armée« . « La priorité dans le recrutement dans l’armée sera à l’avenir donnée à ceux ayant effectué le service militaire« , assure à l’AFP le colonel Abdennasser Mezouri, commandant délégué à la place d’armes de Kénitra.
En 2018, le Conseil économique, social et environnemental (CESE), s’était alarmé du fossé « vertigineux » qui sépare les 11 millions de jeunes Marocains du reste de la population et du « défi majeur » que pose leur insertion sociale, qui doit passer par l’emploi. Décrochage scolaire, chômage, emplois peu qualifiés, bas salaires, absence de couverture sociale… les jeunes de 15-34 ans, qui représentent un tiers de la population, sont les grands oubliés de la croissance, soulignait ce rapport, alors que le chômage frappe un jeune urbain sur quatre.
Le rétablissement du service militaire obligatoire avait suscité des réactions mitigées dans le royaume: certains y voyant une mesure pour « dompter » les jeunes et contrecarrer les mouvements de protestation qui agitent des régions marginalisées, d’autres une façon d’encadrer une jeunesse oubliée du développement. Dans un discours prononcé devant le parlement en octobre 2018, le roi Mohammed VI avait déclaré que le but du service militaire est d’améliorer « l’intégration dans la vie professionnelle et sociale » des jeunes et de « renforcer » leur « sens de la citoyenneté« .