Le combat pour l’égalité des femmes remariées privées de la garde de leurs enfants

L’article 175 de la Moudawana de 2004 prive les mères remariées de la garde de leurs enfants si l’ex-mari en fait la demande. Le remariage du père n’a quant à lui aucune incidence. Regroupées au sein d’une association, des femmes veulent aujourd’hui abroger ce texte jugé sexiste, pour arriver à une pleine égalité des droits. 

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On m’a enlevé mon sang et ma chair.” Khadija El Amrani a été condamnée à la déchéance de la garde de ses deux enfants en 2018. Une garde pourtant acquise à la suite de son divorce avec le père. Le motif ? Cette avocate a décidé de refaire sa vie il y a quatre ans avec un autre homme. Aujourd’hui, elle n’est autorisée à voir ses enfants, âgés de 11 et 13 ans, qu’un seul jour par semaine, le dimanche.

Une situation due à l’article 173 de la Moudawana (Code de la famille) qui dispose que “le non-mariage de la candidate à la dévolution de la garde” est l’une des conditions nécessaires à l’obtention de la garde d’un enfant. Une inégalité des droits que Khadija El Amrani compte bien combattre aujourd’hui sur le plan juridique.

En juillet dernier, elle a officialisé le lancement de son association “W-Lady”, contraction de ouladi (mes enfants en darija) et lady (“dame” en anglais). L’objectif : abroger le texte que l’avocate juge aujourd’hui inconstitutionnel. “Cet article témoigne d’un dysfonctionnement grave des droits égalitaires tels qu’ils sont garantis par l’article 19 de la nouvelle Constitution de 2011, qui énonce que les hommes et les femmes sont égaux devant la loi.

Rédaction d’une proposition de loi 

À ce titre, Khadija El Amrani a sollicité le Conseil constitutionnel, “qui ne pourra statuer sur la question qu’à partir de 2021, faute d’avoir à ce jour l’aptitude juridique à soulever l’inconstitutionnalité”, regrette-t-elle. Accompagnée de confrères, de juristes, mais également des “400 femmes et hommes de l’association”, l’avocate rédigera également une proposition de loi qui sera envoyée au Parlement.

La problématique de la déchéance de la garde à la suite d’un remariage concerne aujourd’hui “toutes les Marocaines”, selon Khadija El Amrani. “Ce combat n’est plus simplement le mien. Il y a des centaines de femmes dans cette situation dans l’association”, affirme-t-elle. Et le phénomène prend de l’ampleur à mesure que le nombre de divorces augmente.

Selon les chiffres du réseau “Chaml” pour la médiation familiale, organisme composé d’une trentaine d’associations, les tribunaux ont traité près de 100.000 divorces en 2017, contre 40.000 en 2013, soit plus du double en cinq ans. “On le voit autour de nous, le divorce n’est plus quelque chose de rare”, explique Khadija El Amrani. “Il y a donc automatiquement une recrudescence des conflits autour de la garde des enfants devant les tribunaux, car à un moment donné, il y a ce désir de la femme de refaire sa vie.

Face aux juges, les femmes divorcées puis remariées semblent devoir mener un “combat perdu d’avance”, selon Khadija El Amrani. “J’ai déjà défendu ce type de cas, mais toutes les femmes qui se sont remariées perdent la garde. C’est un machisme légalisé en quelque sorte. Personnellement, en tant que femme arabe et musulmane, je ne me sens pas l’égal de l’homme dans ce pays”, déplore l’avocate.

Le beau-père, un danger potentiel 

Même si la Moudawana n’explique pas explicitement les problèmes que peut poser le remariage de la mère par rapport à celui du père, il s’agirait ici de préserver les enfants du “danger que représente le futur beau-père”, explique l’avocate. “Apparemment, nous les femmes, nous nous marions avec des détraqués. Ils oublient que les belles-mères peuvent aussi être maltraitantes par exemple. C’est incohérent, et sexiste”, poursuit-elle.

Les femmes ainsi remariées luttent parfois pendant plusieurs mois devant les tribunaux pour obtenir un simple droit de visite. “En première instance, on ne m’a même pas accordé un seul jour. J’ai dû faire appel et avoir recours à un nouveau procès pour pouvoir voir mes enfants le dimanche”, confie Khadija El Amrani.

“J’ai l’impression d’avoir eu à choisir entre ma fille et le fait de refaire ma vie”

Leïla

Se voir déchue de la garde de ses enfants du jour au lendemain est bien souvent source de grande souffrance. “Je pleure tous les jours”, témoigne Leïla, une des membres de W-Lady, qui a perdu la garde de sa fille il y a deux ans. Cette mère a obtenu un droit de visite le week-end, mais la frustration est quotidienne. “J’habite à 300 mètres de chez ma fille, témoigne-t-elle. Je suis juste à côté d’elle, mais je n’ai pas le droit de la voir. Alors parfois je lui dis de descendre sans que personne ne la remarque, juste pour pouvoir l’embrasser.

Leïla a longtemps hésité avant de refaire sa vie avec un autre homme, sachant que son ex-mari lancerait la procédure de déchéance de la garde devant les tribunaux. “Hormis le fait de vouloir reprendre sa fille, je pense que c’est aussi une façon de me punir pour avoir demandé le divorce. Aujourd’hui je culpabilise. J’ai peur qu’elle me dise un jour ‘maman, tu as choisi de te remarier et donc de perdre ma garde’. J’ai l’impression d’avoir eu à choisir entre ma fille et le fait de refaire ma vie.

Un dilemme

À toutes ces femmes remariées, l’article 175 de la Moudawana laisse l’impression d’avoir sacrifié ses enfants au profit de sa vie de femme. “En plus d’être injuste, cette loi est avant tout hypocrite. Le Maroc est un pays islamique où il est interdit de vivre en concubinage. Implicitement, c’est soit tu restes mariée mais malheureuse, soit tu divorces, mais tu ne refais pas ta vie et restes donc seule…”, résume Leïla.

Face à ce dilemme, certaines femmes se résignent. C’est le cas de Zayneb, mère de deux enfants, elle aussi membre de W-Lady. “Je ne pourrais pas me remarier avec la loi actuelle, pourtant je n’ai que 33 ans. Je ne dis pas que celles qui veulent se remarier font mal, mais c’est tout simplement impossible pour moi”, regrette-t-elle.

La route qui mène à la pleine égalité des droits semble encore quelque peu sinueuse, et l’association compte bien imposer ce problème de société dans l’espace public pour ainsi susciter un débat à l’échelle nationale.