Le Hajj pour la religion... et pour la consommation

La presse saoudienne annonce que pour la saison du Hajj 2019, quelque 2,5 millions de fidèles sont attendus. Entre grandes enseignes de la restauration rapide et échoppes proposant jour et nuit des babioles fabriquées en Chine, et au-delà de l'aspect religieux, la Mecque prend des allures de grand bazar durant cette période qui débute ce 9 août.

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Des pèlerins faisant du shopping à la Mecque Crédit: AFP

Les affaires vont très bien, louange à Dieu », déclare à l’AFP, Fayçal Addais qui tient une échoppe sur une avenue commerçante à quelques encablures de la Kaaba, le sanctuaire le plus saint de l’islam situé dans la Grande Mosquée. « Les clients sont étrangers et parlent toutes les langues », ajoute ce commerçant yéménite de 41 ans qui vend des souvenirs religieux.

Sur cette avenue bruyante, les lignes d’étals et de vitrines s’enchevêtrent, débordent sur la chaussée, rivalisent de pancartes panachées pour attirer les clients. Des flots ininterrompus de chalands déambulent au milieu des nuées de pigeons qui roucoulent inlassablement sur le bitume.

Le commerçant Ali, lui, « multiplie par cinq » son chiffre d’affaires durant le hajj qui doit attirer du 9 au 14 août quelque 2,5 millions de fidèles venus du monde entier. Ce pèlerinage est l’un des cinq piliers de l’islam que tout musulman est censé accomplir au moins une fois dans sa vie s’il en a les moyens.

Une histoire de souvenirs

Partout à La Mecque pullulent petites échoppes et galeries marchandes : « Où que vous soyez dans la ville, il y a, tout près, quelqu’un pour vous vendre quelque chose », résume l’intellectuel britannique d’origine pakistanaise Ziauddin Sardar, dans son ouvrage Histoire de La Mecque publié en 2014. Le commerce y est « omniprésent et omnipotent », les pèlerins étant « incités sans discontinuer à dépenser leur argent », souligne l’auteur en pointant un « culte de l’argent et du consumérisme ».

Il y a d’abord les souvenirs pieux que le pèlerin ramène par brassées : tapis de prière, encens, exemplaire du Coran, chapelets en bois ou en perles de plastique clinquant, foulards, eau de zamzam censée receler des vertus miraculeuses, horloges chantant les appels à la prière, figurines de la Kaaba fabriquées en Chine… Mais on trouve aussi de l’or saoudien (très prisé), des montres, du prêt-à-porter, des produits high-tech…

Bien que la communication soit souvent laborieuse entre marchands et pèlerins en raison de la diversité des langues, le marchandage est toujours possible : une petite calculatrice permet généralement aux deux parties de s’entendre.

Près de l’esplanade de la Grande Mosquée, des centres commerciaux climatisés accueillent sans interruption des milliers de fidèles férus de n’importe quel souvenir du Hajj. Les boutiques, parmi lesquelles les majors du luxe, ne désemplissent jamais, ou presque : leurs rideaux sont seulement baissés le temps de la prière. À cela s’ajoutent les innombrables gargotes et grandes enseignes de la restauration rapide, massées dans les petites ruelles comme dans les artères vrombissantes de cette cité de l’Ouest saoudien.

La mosquée, ensuite le commerce 

Cette tendance à la consommation effrénée n’est pas nouvelle : « Tout au long des siècles, les pèlerins avaient partagé leur temps entre la mosquée et le commerce », résume Abdellah Hammoudi, anthropologue à l’université de Princeton aux États-Unis dans son livre Une saison à La Mecque. « Les dimensions marchande et religieuse ont toujours été liées à La Mecque (…) elles étaient déjà présentes dans le pèlerinage préislamique », abonde l’universitaire Luc Chantre, maître de conférences à l’Université de Rennes 2, auteurs de plusieurs ouvrages sur le pèlerinage à La Mecque à l’époque contemporaine. « Quand ils venaient de très loin, les pèlerins avaient besoin de commercer pour financer leur séjour, et certains revenaient même avec un certain bénéfice. Ce qui est nouveau, ce sont ces immenses galeries marchandes sur plusieurs étages qui ont remplacé les vieux souks autour de la Grande Mosquée », explique-t-il à l’AFP.

Dans les grands lieux de pèlerinage, comme à San Giovanni Rotondo en Italie, à Lourdes en France ou à Notre-Dame de Guadalupe au Mexique, commerce et foi font souvent bon ménage.

En dehors du hajj, les musulmans peuvent accomplir tout au long de l’année le petit pèlerinage (omra). Ce tourisme religieux draine des milliards d’euros chaque année. Le royaume riche en pétrole cherche à diversifier son économie en misant notamment sur le tourisme religieux.