Six décès en un mois, pénurie de médicaments, malnutrition... Le mouroir de Tit Mellil à l'agonie

Le Centre social Dar El Kheir de Tit Mellil a enregistré six nouveaux cas de décès au cours du mois de juillet. L’Instance nationale des droits de l’Homme ainsi que les bénéficiaires dénoncent l’absence de médicaments, de produits alimentaires, et surtout de responsables.

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Des bénéficiaires malades se mettent à l’abri du soleil en attendant l’arrivée de la seule ambulance du centre pour les transporter à l’hôpital. Crédit: YASSINE TOUMI/TELQUEL

Au cours du mois de juillet, le Centre social Dar El Kheir de Tit Mellil a enregistré six nouveaux décès, portant à 28 le nombre de morts à déplorer dans ce centre depuis le début de l’année.

Selon Hasna Hajib El Idrissi, membre de l’Instance nationale des droits de l’homme (INDH), qui suit le dossier, “le dernier cas de décès date du 27 juillet. Le défunt était diabétique et n’avait pas reçu son insuline pendant deux jours. Après sa mort, on a découvert des ecchymoses au niveau de son avant-bras, la preuve qu’il avait subi une agression dans le centre. Deux jours après sa mort, des agents de la gendarmerie royale sont venus s’interroger sur ce cas auprès des responsables, mais le cadavre avait déjà été enterré”.

Selon elle, cela fait plusieurs jours que l’insuline est en rupture de stock dans le centre. Cette rupture de stock concerne des médicaments à la fois “vitaux et indispensables pour la prise en charge des bénéficiaires malades, particulièrement les traitements destinés aux bénéficiaires atteints de psychopathie”, précise notre interlocutrice.

Pas de médicaments !

Dans un communiqué diffusé le 13 juillet, l’INDH avait déjà évoqué l’administration de plusieurs médicaments périmés aux bénéficiaires du Centre social. Après la découverte de ces lots, l’administration du centre “a hâtivement ordonné leur destruction en transgressant les procédures et règlements applicables dans ce genre de situation”, précise l’INDH. Cette destruction de médicaments explique en partie la rupture de stock de l’insuline.

Mais il y a d’autres facteurs. Les responsables du centre n’auraient pas agi pour combler ce manque, nous affirme Hasnaa Hajib El Idrissi. Cette dernière précise en ce sens que “l’administration a refusé d’acheter de nouveaux médicaments, alors qu’elle est impliquée dans la mauvaise gestion de la pharmacie menant à la péremption de plusieurs lots”. Elle poursuit : “Le centre regorge de centaines de patients atteints de psychopathie. Il s’agit de personnes difficilement maitrisables même lorsqu’elles prennent leur traitement, imaginez la situation actuelle alors que cela fait plusieurs jours qu’elles n’ont pas reçu leur traitement. C’est un vrai tumulte !”.

Peu de nourriture

En plus des médicaments, les bénéficiaires du Centre social Dar El Kheir souffrent également de la pénurie de produits alimentaires. Selon Younes Eddaria, l’un des bénéficiaires du Centre, “la situation devient de plus en plus critique. Les pensionnaires n’ont quasiment rien à manger et la plupart souffrent de malnutrition. En plus, on nous signale qu’il n’y a plus de bonbonnes de gaz de butane dans le centre et du coup on ne pourrait pas nous préparer de quoi manger”.

En outre, l’état de santé d’au moins cinq bénéficiaires serait critique, signale le bénéficiaire. “Ces pensionnaires, tous internés dans l’aile 9, doivent être transportés d’urgence à l’hôpital. Il ne faut pas être médecin pour s’en rendre compte. Et puis, nous sommes là à les regarder périr en l’absence de responsables et de l’équipe médicale”, décrit-il.

L’INDH pointe du doigt la négligence de l’équipe administrative et médicale chaque fois qu’un nouveau cas de décès est enregistré dans le centre. “L’état de santé de la plupart des bénéficiaires du centre est dégradé, mais en les négligeant, les responsables du centre accélèrent le processus de leur mort”, s’indigne Hasnaa Hajib El Idrissi.  

Pas de responsables…

La situation du Centre “dégradée, et qui se dégrade davantage jour après jour” ne semble pas suffire pour faire réagir les responsables. Selon Younes Eddaria, “aucun responsable ne se rend au Centre social. Il y en a qui préfèrent le diriger par téléphone sans prendre la peine de se déplacer, les autres ont tous pris congé en même temps laissant les bénéficiaires livrer à eux-mêmes”. Et de poursuivre : “dernièrement on a nommé un agent de sécurité au poste de surveillant général en charge de la gestion administrative du centre. C’est une première. En plus, ce sont les bénéficiaires eux-mêmes qui se sont organisés pour gérer les différents services”.

Contactés par TelQuel le directeur administratif du centre et le juge-commissaire n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Au moment où les responsables s’enferment dans le mutisme, des internautes ont lancé une campagne sur Twitter avec le hashtag #Mouroir_Tit_Mellil. Son objectif est d’informer la twittoma sur les conditions de vie des 860 bénéficiaires du Centre, mais également sur les cas de décès qui deviennent de plus en plus fréquents.

Ce centre a fait également l’objet d’une enquête de TelQuel, publiée le 14 juin dernier. Notre reportage décrivait les conditions de vie déplorables dans ce mouroir aux portes de Casablanca.