Mous Lamrabat, ce photographe marocain qui reconfigure les clichés

Mous Lamrabat, photographe marocain de 36 ans, décrypte avec nous les symboles cachés derrière ses photos atypiques.

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Instagram / @mouslamrabat

Le 22 juin, l’exposition “Dounia”, signée par le duo Artismous débutait à la Voice Gallery de Marrakech. En novembre 2018, le créateur de mode Artsi Ifrach et le photographe Mous Lamrabat, deux artistes insolites aux styles complémentaires, ont décidé de joindre leurs efforts et leurs talents pour donner naissance à un duo artistique 100% marocain. En parallèle, chacun d’entre eux poursuit sa carrière ainsi que ses projets personnels.

Des débuts sous le signe de l’anticonformisme

All the way from Mousganistan” – c’est ce qu’indique la biographie Instagram du photographe Mous Lamrabat. Il naît en 1983 à Temsamane, une petite commune rurale du Rif. Avant même de savoir faire ses premiers pas, il s’envole avec sa famille pour la Belgique, où il grandira.

Mous Lamrabat débute sa carrière artistique en 2010 en tant qu’assistant, après avoir fini ses études d’architecture d’intérieur. “J’ai obtenu mon diplôme à 27 ans et j’ai même reçu une belle offre d’emploi, mais j’ai laissé tomber. Je me suis tout simplement rendu compte que ce n’était pas un domaine où je pouvais exprimer ma créativité comme je le souhaitais. Alors j’ai commencé la photographie, bien que je ne savais pas réellement comment ça marche. Mes parents pensaient que j’étais devenu fou”, nous confie Mous Lamrabat.

Cependant, même après s’être fait une place dans le domaine en tant que photographe de mode, le problème restait le même : “Il fallait se conformer à certaines normes, faire ce qui est était attendu. Et ça non plus, ce n’est pas réellement ce que je voulais faire. Alors j’ai laissé tomber l’agence avec laquelle je travaillais. Financièrement ça a été une période très dure, mais ça m’a permis de me concentrer sur moi et sur mon travail personnel. A ce moment-là de ma vie, j’ai compris qu’un investissement, ce n’est pas toujours de l’argent”.

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Mélanges de genres et mariage de cultures

Des photos authentiquement marocaines, inspirées des traditions de son pays ainsi que du patrimoine culturel qui les accompagne, c’est ce que Mous Lamrabat met principalement en avant. La singularité de son travail, c’est aussi ce contraste entre le traditionnel et le moderne, la juxtaposition de deux mondes qui semblent à première vue complètement opposés, mais qui une fois combinés, créent une mystérieuse harmonie. Burqa à McDo, gandoura à Gucci, kaftan à Disney…

Il explique : “Ce mélange, c’est celui dans lequel j’ai grandi. Même si j’ai été élevé à l’étranger, je viens d’une famille traditionnelle, qui a toujours voulu s’assurer que je ne délaisse pas les valeurs et l’héritage culturel qui m’ont été transmis. De mon côté, quand j’étais au primaire, je ne voulais pas être étiqueté comme étant le petit Marocain. Je voulais un t-shirt Bob l’éponge comme les autres ! Plus tard, je me suis rendu compte que l’on n’avait pas besoin de choisir, que le traditionnel peut être moderne et fashion. Les gens pensent qu’en suivant la mode occidentale, ils auront l’air plus class et plus stylés. C’est faux, parce qu’on ne devrait pas toujours avoir à choisir entre une chose et une autre. Nous aussi, on peut faire de la mode à partir de nos propres traditions. Quand je vois des gens mettre un saroual avec la dernière paire de chaussures à la mode, je me dis que ça c’est le Maroc. C’est notre mode, et j’adore ça”.

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Prince bob

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Des voiles et des tissus, tout un symbole

Une autre constante dans le travail de Mous Lamrabat : des portraits aux visages cachés. Sa spécialité. Masques, bandeaux sur les yeux, longs voiles et tissus de couleurs, unis ou alors signés Gucci et Louis Vuitton, les traits d’un visage apparaissent rarement, et l’attention est rarement focalisée sur le corps du mannequin. “Je trouve qu’un visage attire beaucoup trop l’attention, et qu’il a tendance à détourner nos regards du reste de la photo. C’est toujours la première chose que l’on voit et sur laquelle on se focalise le plus. Moi, je veux être en mesure d’orienter et de diriger le regard de mon spectateur comme je le souhaite, lui faire voir un tout, et pas seulement un visage”, nous explique le photographe.

Ensuite, il y a aussi le mystère qui réside dans ce qui est caché. J’ai remarqué que pendant les expositions, les gens passent beaucoup plus de temps devant les photos avec des visages cachés. A partir du moment où l’on sait qu’il y a un visage, mais qu’on ne peut pas le voir, notre créativité est tout de suite stimulée. On peut s’imaginer tout et n’importe quoi. En fait, j’ai compris que lorsque je cache un visage ou une personne, ça devient la personne qui regarde la photo”, poursuit l’artiste.

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Moroccan dinner 🍖

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Pour des raisons aussi bien symboliques qu’esthétiques, le voile est donc rapidement devenu un élément récurrent de ses photographies. Sur la même lancée, on y retrouve également beaucoup de niqab et de burqas, ces longs tissus noirs recouvrant l’intégralité du corps de la femme.

Ces vêtements alimentent des débats passionés depuis plusieurs années, mais Mous Lamrabat tient à signaler un point important : pas de dimension religieuse ou politique dans son travail. “Il y a quelques dizaines d’années, le voile était un accessoire de mode – ça ne dérangeait personne. Pour moi, c’en est encore un, et c’est pour ça que j’aime m’en servir”.

Un style tout droit sorti du “Mousganistan”

Mousganistan”, c’est le nom que le photographe a donné à son univers, celui dans lequel il puise son inspiration. Un univers décalé et original. Pour l’artiste, le beau et l’esthétique restent essentiels et représentent une grande partie de son travail. “J’ai commencé en tant que photographe de mode, donc oui, la dimension esthétique a toujours fait partie de mon travail. Je pense que c’est important de pouvoir représenter certaines choses qui valent par leur beauté, et qui sont belles en elles-mêmes”, nous confie-t-il.

Mais il n’y a pas que ça. Au-delà de la dimension esthétique, je pense que la vraie beauté de mon travail apparaît lorsque je regarde les commentaires des gens sur mes photos : ils y voient tous quelque chose de différent. J’ai beaucoup appris sur mon travail à travers la perception que les gens avaient dessus”, s’enthousiasme encore Mous Lamrabat.

En arrière-plan, ses prises présentent souvent un fond blanc ou noir, sobre et uni. Il n’est pas rare de retrouver aussi un papier peint Gucci customisé aux couleurs du drapeau du Maroc. Il lui arrive également d’opter pour un ciel bleu, un désert ou de vastes étendues pour restituer l’impression d’infini, et très rarement pour des photos prises en intérieur.

Pour Mous Lamrabat, la notion de pureté est cruciale parce que comme il nous l’a si bien dit, ce sont les choses pures qui perdurent au fil du temps : “Je veux faire des photos intemporelles. Mousganistan, c’est un monde idéal où chacun peut revenir à la plus pure version de soi”.

Sa prochaine exposition au Maroc est prévue pour 2020. Après “Mousganistan“ le 31 janvier à Sint-Niklaas en Belgique, ce sera sa première exposition personnelle dans son pays natal. Son ambition pour ce projet : transmettre un art que l’on ne retrouve pas seulement dans les galeries ou les salons. “Je veux que cette exposition soit accessible à tout le monde – surtout à la jeunesse et aux artistes qui se sentent un peu perdus, et qui ne savent pas vraiment par où commencer. Je veux que les gens qui viendront voir cette exposition soient ceux qui en ont le plus besoin”.