“Ce n’est qu’une question de temps, mais les autorités irlandaises nous l’ont notifié. Nous y travaillons et cette nouvelle ambassade n’ouvrira pas plus tard que 2020”, nous confirme Lahcen Mahraoui, ambassadeur du Maroc à Dublin.
L’ouverture de cette nouvelle représentation diplomatique irlandaise s’inscrit dans le cadre d’une stratégie d’expansion diplomatique de Dublin, provoquée par le Brexit. À terme, le pays prévoit de disposer d’une centaine de représentations diplomatiques à travers le monde, contre 56 actuellement, selon le ministre irlandais des Affaires étrangères Simon Coveney. Mais il ne s’agit que d’une des nombreuses raisons poussant l’Irlande à vouloir développer sa relation avec le Royaume.
Education et business, les intérêts communs
“De très nombreux partenariats ont été signés avec les meilleures universités irlandaises et nous prévoyons même des jumelages de villes”, s’enthousiasme Lahcen Mahraoui. Le 17 juillet, l’Université Cadi Ayyad de Marrakech et la Dublin City University, qui figure dans le top 500 du classement Times Higher Education, scellaient un partenariat qui ne devrait pas faire office d’unique lien entre les systèmes éducatifs des deux pays.
En effet, des discussions sont actuellement menées pour un éventuel partenariat entre le Trinity College, la plus ancienne et célèbre université irlandaise, et l’université Al Akhawayn d’Ifrane ainsi que l’université Mohammed V de Rabat.
En parallèle, l’Irlande cherche également à développer des liens commerciaux avec le Maroc. En effet, si les investissements irlandais vers le Royaume ont été multipliés par 30 en 2018 par rapport à l’année 2017 atteignant 9,6 milliards de dirhams, il s’agit là d’un chiffre en trompe-l’œil. Ce chiffre est en effet dopé par la vente cette année-là des assurances marocaines Saham au groupe sud-africain Sanlam, dont l’entité dédiée à la gestion d’actifs est basée en Irlande, pour son taux avantageux d’imposition des sociétés.
Aussi, à l’heure de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, l’Irlande cherche à tisser des liens avec d’autres partenaires commerciaux. “Le Maroc peut s’inscrire dans la stratégie d’ouverture de l’Irlande vers l’étranger, car il peut faire office de porte d’entrée vers l’Afrique”, affirme l’ambassadeur marocain à Dublin. En juin dernier, le ministre irlandais du Commerce, Pat Breen, confirmait l’existence “d’un excellent potentiel d’échanges commerciaux entre le Maroc et l’Irlande”.
En novembre 2016, une délégation menée par le ministre irlandais de l’Agriculture, Michael Creed, avait séjourné au Maroc pour explorer les potentialités d’un partenariat dans le secteur agricole. “Un marché avec les produits irlandais existe déjà au Maroc, mais nous savons qu’il peut se développer de manière significative. Cette mission est un exemple de nos efforts sur la diversification des marchés agricoles du pays, particulièrement en réponse au Brexit”, déclarait alors Creed.
Quelques mois plus tard, c’est une équipe marocaine menée par le secrétaire d’État à l’Agriculture, Hamou Ouheli, qui était invitée à Dublin pour des discussions avec, entre autres, Bord Bia, l’agence pour la promotion des ventes de nourriture irlandaise. Un élan de coopération qui peut également s’expliquer par un alignement des positions des deux pays sur le dossier du Sahara.
Moments de crise
C’est en 1992, au lendemain de l’accord de cessez-le-feu pour le Sahara, que le Maroc a ouvert sa représentation à Dublin. 20 ans plus tard, des tensions apparaissent entre les deux pays lorsque des officiels Irlandais reçoivent une délégation du Polisario menée par alors par l’ancien chef du mouvement séparatiste, Mohamed Abdelaziz.
Une rencontre lors de laquelle le ministre des Affaires étrangères irlandais de l’époque, Eamon Gilmore, affirme alors “clairement” qu’il “soutient le droit des Sahraouis à l’autodétermination” selon le quotidien irlandais The Independent. Des déclarations qui ne passent pas du côté de Rabat, où est alors reçue une délégation parlementaire irlandaise qui qualifiera les propos de son ministre “d’embarrassants”. Rabat décide néanmoins de rappeler son ambassadeur, Anas Khales “pour consultations”.
Si Anas Khales finit par rejoindre son poste après un mois d’absence, la position de l’Irlande, elle, ne fléchira pas. Le porte-parole de la diplomatie irlandaise ira même jusqu’à affirmer que le “Maroc n’apprécie pas la position de l’Irlande sur le Sahara”, rapporte The Independent. Les gouvernements se succèdent, mais rien ne semble changer la position irlandaise. L’esquisse d’une nouvelle crise se dessine même en mars 2019 lorsque plusieurs médias font état d’une réception d’une délégation du Polisario par le président ainsi que le ministre des Affaires étrangères irlandais.
Le Maroc se met en action
Mais il ne s’agit que d’une simple annonce. “Deux individus sont venus dans la capitale en espérant rencontrer des membres du Parlement ou d’autres officiels, mais sans succès,” nous explique l’actuel représentant du Royaume en Irlande, Lahcen Mahraoui. La diplomatie irlandaise adresse même un courrier à l’ambassade du Maroc dans lequel elle assure “qu’aucune rencontre n’a été, ni ne sera prévue avec les ministres du gouvernement”. Un geste auquel le Maroc répondra quelques semaines plus tard, en juin, en envoyant une délégation marocaine composée d’élus des provinces du Sud. A Dublin, elle rencontre des “élus européens, le président du parlement, des chefs de partis et le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères”.
Quelques mois plus tôt, c’est le président du parlement irlandais, Sean O’Fearghail, qui était reçu au Maroc par le chef du gouvernement Saad Eddine El Othmani et le président de la Chambre des représentants.
Le but de ces visites en série ? “Expliquer le plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007”, répond Redouane Adghoughi, responsable de la direction Europe au ministère des Affaires étrangères. L’Irlande n’a visiblement pas été insensible à cette mobilisation diplomatique marocaine puisque son gouvernement estime désormais qu’il faut “appuyer le processus onusien sur la question du Sahara”, affirme Lahcen Mahraoui. Une position conforme à celle adoptée par l’Union européenne, mais aussi plus récemment, par l’Union africaine et qui consacre le processus mené sous l’égide de l’ONU.
Toutefois, en Irlande comme dans de nombreux pays à travers le monde des efforts sont encore à fournir. “L’Irlande est en très bonne voie pour comprendre le plan d’autonomie. Il y a une résistance, tout n’est pas blanc, mais la situation s’améliore”, synthétise Redouane Adghoughi. Alors que le Maroc a misé sur un ambassadeur originaire des provinces du Sud pour exprimer sa position sur le dossier, l’ouverture d’une représentation de Dublin à Rabat pourrait également jouer un rôle clé dans le rapprochement entre les deux pays.