Sur les réseaux sociaux, son tweet publié le 23 juillet a fait l’effet d’une bombe. Adja, Sénégalaise de 22 ans au Maroc depuis 2 ans, a fait part sur le réseau social du racisme ordinaire des agents immobiliers dont elle a été victime lors de sa recherche d’un appartement à Casablanca. Résultat: une vague d’indignation et de témoignages sur les discriminations subies par de nombreux ressortissants subsahariens, engendrant près de 4.000 retweets.
Update : JSUIS ALLÉE VISITER UN STUDIO TOUT DE SUITE. JETAIS OK POUR LE PRENDRE ET AU MOMENT DE RENTRER ON A CROISÉ DES RÉSIDENTS DE L'IMMEUBLE QUI ONT COMMENCÉ A CRIER SUR L'AGENT. ILS ONT REFUSÉ QUE J'HABITE LABAS CAR JE SUIS NOIRE SVPPPP. ILS LUI DISAIENT NON PAS DE SENEGALAIS https://t.co/Ww2XyPoizv
— J'aime Alfred Ndiaye ❤️🇸🇳 (@Windy92i) July 23, 2019
Xénophobie décomplexée
C’est du racisme pur et simple que nous raconte la jeune femme, contactée par TelQuel : “La visite s’est faite avec un agent immobilier près de Casanearshore en face des villas. Une fois sur place, la visite du studio s’est très bien passée. Mais une fois sur le départ, nous avons croisé un couple marocain qui montait les escaliers. Ils ont commencé à parler en arabe avec l’agent immobilier. Le ton est monté. Je suis descendue pour attendre devant l’immeuble. Au bout de 10 minutes, un Marocain d’une trentaine d’années est sorti pour venir me voir. Il m’a dit : ‘si tu veux un conseil, ne viens pas vivre dans cet immeuble, les gens qui habitent ici ne veulent pas de Noirs. Ils sont en train d’en parler à l’agent immobilier‘. J’ai été étonnée, mais l’agent me l’a bien confirmé une fois revenu. Sous la pression des autres copropriétaires, le propriétaire du studio a finalement refusé mon dossier”.
Une pratique honteuse, pourtant assez banalisée à en croire les sites de recherches d’appartement comme Avito où l’on peut trouver ce genre d’annonces discriminantes publiées par les propriétaires :
A la suite de sa première série de tweets, Adja a publié un nouvel élément à charge. Il s’agit de l’enregistrement d’un appel téléphonique avec l’annonceur d’un appartement mis en location sur Avito. Celui-ci lui explique qu’il “ne cherche que des Marocains. Les gens qui habitent dans l’immeuble insistent sur le fait qu’ils ne veulent pas habiter avec des Africains”.
Voilà la preuve. On a appelé un annonceur et il nous a carrément fait savoir qu'il ne prenait que des marocains pour son appartement car les voisins ne veulent pas de NOIRS dans l'immeuble. Ceux qui me traitaient de menteuse, alors c'est comment ? https://t.co/t5FKC6BP2G pic.twitter.com/G4UvimTTK6
— J'aime Alfred Ndiaye ❤️🇸🇳 (@Windy92i) July 24, 2019
Ce genre de pratiques illégales, beaucoup d’anciens étudiants ou salariés d’origine subsaharienne, les ont subies. “Depuis 10 ans que je vis à Casablanca, j’ai des histoires à raconter”, plaisante un Sénégalais, proche de la trentaine, préférant rester anonyme. “Quand je faisais mes études, près de Casanearshore, j’étais en colocation avec mon frère. Les propriétaires étaient très réticents et l’excuse récurrente c’était qu’ils ne voulaient pas de célibataires dans l’immeuble. On leur disait que nous n’étions pas fêtards, que nous ne ramenions pas de filles à l’appartement, qu’on se pliait aux règles en vigueur dans le pays, tout simplement. Paradoxalement, dans d’autres endroits à Casablanca où j’ai vécu, il y avait des voisins marocains absolument charmants. Ils nous invitaient pendant le ramadan à rompre le jeûne avec eux, etc. C’est comme pour tout, il ne faut pas faire d’amalgame”, philosophe notre interlocuteur.
La difficulté des recours
Pour certains résidents subsahariens au Maroc, le calvaire va même plus loin, mêlant violence verbale affichée et impossibilité d’avoir recours aux forces de police. Contacté par téléphone, un gestionnaire d’entreprise d’origine subsaharienne, installé lui aussi à Casablanca, témoigne de la xénophobie dont il est lui aussi victime: “Nous avons emménagé dans nos locaux professionnels il y a quelques mois et nous avons beaucoup de soucis avec certaines personnes de l’immeuble. Un des voisins nous appelle ‘Ebola’. Il s’est même battu avec trois de mes employés. J’ai voulu porter plainte à la police, mais l’affaire traîne depuis des semaines. Je me fais balader de service en service pour que rien n’aboutisse. Il manque constamment un papier à déposer, ou alors on me somme de revenir plus tard”.
C’est parce qu’il ne connait que trop bien ces témoignages que le GADEM (Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants) a mis en place une aide et un accompagnement juridique. Le président du GADEM, Abderrahman Tlemçani explique : “nous avons une équipe dédiée au sujet qui travaille sur l’ensemble des questions d’accès au logement. Il est bien évident qu’une annonce quelle qu’elle soit, qui est basée sur un facteur impliquant la couleur de peau est de facto totalement discriminatoire, c’est évident”.
A l’heure où nous mettons en ligne, Adja cherche toujours un appartement. Elle assure néanmoins que la publicité de son témoignage a permis de décrocher plusieurs visites d’appartement.