El Othmani l'optimiste ou le Haut-Commissariat à la sinistrose : qui croire ?

Chômage, confiance des ménages, croissance... Les indicateurs socio-économiques sont en berne, malgré l'optimisme décomplexé affiché par le gouvernement.

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Ahmed Lahlimi Alami, Haut-commissaire au plan (HCP), et Saad Eddine El Othmani, Chef du gouvernement. Crédit: Photos et Montage : TelQuel

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.” El Othmani aurait pu être disciple de Leibniz, digne représentant de la philosophie optimiste. “Nous comptons désormais parmi les soixante premiers pays les plus attrayants pour les investisseurs étrangers et nous comptons bientôt être parmi les cinquante premiers”, a déclaré le chef du gouvernement dans une interview accordée à France 24 diffusée le 9 juillet, brandissant le dernier classement mondial Doing Business. Au cours des sept dernières années, le Maroc a amélioré son classement de 37 places, passant du 97e rang en 2012 au 60e actuellement.

Eternel optimiste, le chef de gouvernement déclarait encore à Jeune Afrique en juin dernier que “le roi Mohammed VI est satisfait” du travail de l’Exécutif. Mais au lieu de viser le sacrosaint top 50 du Doing Business — qu’El Othmani espère atteindre avant 2021 —, pourquoi le gouvernement ne viserait-il pas plutôt une forte croissance ? Prenez donc le Kenya. Le pays se situe à la 61e position du classement, juste en dessous du Maroc, mais sa croissance atteint les 5,7 %, soit 3 points de plus que le royaume, qui devrait afficher 2,7% de croissance en 2019. On le voit bien, pour fixer les objectifs économiques d’un pays, un classement reposant sur la flexibilité du marché et la privatisation ne suffit pas. Quid du chômage ? De la qualité du stock humain ? Et de la confiance des ménages ?

 

Rien ne va plus

De ce côté-là, c’est la sinistrose nietzschéenne, en témoigne l’indice de confiance des ménages publié le 15 juillet par le Haut-Commissaire au Plan (HCP) : 74,9 points, au lieu des 79,1 points enregistrés au trimestre précédent, et 87,3 points l’année dernière. Au deuxième trimestre de 2019, 46,2% des ménages déclarent une dégradation du niveau de vie au cours des douze derniers mois et 27,3 % des ménages s’attendent à une dégradation du niveau de vie au cours des douze prochains mois. “Le recul du niveau de confiance des ménages au cours de ce trimestre procède de la détérioration de tous les indicateurs qui le composent”, expliquent les experts du HCP.

Au deuxième trimestre de 2019, 83% contre 6,1% des ménages s’attendent à une hausse du chômage au cours des 12 prochains mois. Si le chômage s’est stabilisé à 10% au premier trimestre 2019 après avoir atteint 10,5% début 2018, il reste bien supérieur à la moyenne mondiale (5%) et un peu au-dessus de la moyenne de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (9,8%).

Au deuxième trimestre de 2019, 62,4 % des ménages estiment que leurs revenus couvrent leurs dépenses, 34,2 % déclarent s’endetter ou puiser dans leur épargne et seulement 3,4 % affirment épargner une partie de leurs revenus. L’État aussi est en déficit budgétaire. D’après des chiffres du Haut-commissariat au plan (HCP) annoncés le 9 juillet lors d’une conférence de presse, le déficit budgétaire pour l’année 2019 atteindrait 4,5% du PIB, contre 3,7% du PIB en 2018.

 

Et c’est sans compter les recettes de la privatisation de Maroc Télécom qui devrait faire baisser ce déficit à 3,6% et renflouer les caisses de l’État de quelque 9,5 milliards de dirhams presque immédiatement. Une privatisation présentée comme ultime solution à la lutte contre l’accroissement de la dette publique — aujourd’hui 68% du PIB national — sans réelle stratégie de développement sur le long terme : le bénéfice de cette vente sera nul pour l’Etat d’ici vingt ans.

L’incorrigible corruption

Quant au déficit commercial, ce n’est guère plus glorieux: 15,78 milliards de dirhams en 2019, soit une hausse de 8,6% par rapport à janvier 2018. Si les importations et les exportations ne se portent pas trop mal, les investissements directs étrangers (IDE)  ont chuté de 30,4% par rapport à 2018, passant de 2,25 milliards à 1,57 milliard.

Seul indice à la hausse : la corruption. Selon un rapport de l’Institut africain Afrobaromètre, publié mi-juillet, 53% des Marocains pensent que la corruption a augmenté au cours des 12 derniers mois (contre 26% en 2015), 39% pensent que la plupart ou la majorité de la présidence du gouvernement serait corrompue, 41% l’affirment s’agissant des membres du Parlement alors que 37% pensent que la plupart ou la majorité des officiels du gouvernement soient corrompus. Crise de confiance et moral en berne : le ressenti des Marocains en dit peut-être plus que le classement du Doing Business.