Les baisses successives des prix des médicaments font sortir les pharmaciens de leurs gonds. Lors de la 20e édition du Forum pharmaceutique international (5 et 6 juillet à Marrakech) qui s’est déroulée en présence de 3.000 universitaires, pharmaciens, responsables de laboratoire et représentants d’administrations publiques, les pharmaciens marocains ont manifesté leur insatisfaction à l’égard de la décision du ministère de la Santé de revoir à la baisse les prix de plusieurs médicaments.
Contacté par TelQuel suite à cette sortie,
président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP), affirme que les baisses décidées par le département d’Anas Doukkali ont “fortement impacté la situation financière des pharmaciens”. Tout le contraire de l’objectif de ces baisses de prix qui, selon le chef du gouvernement et le ministre de la Santé, devaient permettre de relancer le marché grâce à une augmentation des ventes en termes de volume de médicaments. “Le marché est désormais en crise. Le chiffre d’affaires du marché du médicament au Maroc ne dépasse pas 12 milliards de dirhams, dont 3 milliards d’achats du secteur public et 9 milliards de dirhams pour le marché privé”, s’inquiète .Le décret de la “faillite”
À l’origine des tensions entre les pharmaciens et leur ministère de tutelle, le décret 2-13-852 relatif aux conditions et aux modalités de fixation du prix public de vente de médicaments fabriqués localement ou importés. Entré en vigueur en 2014, le texte a permis à l’Exécutif de réduire le prix de plus de 2.600 médicaments sur les 6.500 vendus sur le territoire national selon les chiffres du ministère de la Santé.
“La baisse de prix des médicaments est devenue la seule réalisation gouvernementale dans le secteur de la santé”, estime Hamza Guedira. Pour le président du CNOP, le texte a été adopté “sans établir une étude d’impact sur le secteur et sans impliquer les parties prenantes”.
Un impact que les pharmaciens ont quantifié. Selon Hamza Guedira, “l’activité pharmaceutique , que ce soit au niveau de la production, de l’ importation, de la distribution et de la vente, a enregistré un recul allant de 30 à 50%”. Un recul qui a impacté les officines du Royaume. “Le chiffre d’affaires moyen par officine est de 750.000 dirhams par an, avec une rentabilité qui ne dépasse pas les 5.000 dirhams par mois”, affirme le président du CNOP.
“3.500 pharmacies sur les 12.000 en activité au Maroc sont en situation de faillite. Deux à trois pharmacies ferment chaque semaine. Le rythme reste faible pour l’instant, grâce aux grossistes qui supportent encore les pharmaciens à travers les facilités de paiement”, soutient notre interlocuteur.
Un décret contre “l’injustice”
Du côté du ministre de la Santé, on explique les révisions successives des prix des médicaments par le coût élevé auquel ils étaient initialement vendus. “Ce décret a un effet important, celui de ramener la moyenne des prix de vente des médicaments à ce qui se fait à l’international. Du coup, l’administration l’applique scrupuleusement”, nous déclare un responsable du département d’Anas Doukkali.
“Ce décret ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt”, martèle notre interlocuteur qui établit un diagnostic différent sur la situation des pharmaciens. Pour ce responsable, la crise traversée par le secteur s’explique par “le nombre élevé d’officines qui est deux fois supérieur à la norme préconisée par l’OMS. Le pays dispose de 12.000 pharmacies alors qu’il doit en compter entre 5.000 et 6.000”.
Autre explication apportée par cette source : “la consommation de médicaments au Maroc ne dépasse pas 400 dirhams par habitant par an. Cela correspond au 1/20 de la somme dépensée par le citoyen d’un pays développé”.
“Absence de vision”
Du côté des pharmaciens, on insiste sur le fait que l’Exécutif a décidé de réduire les prix des médicaments “sans disposer d’une vision stratégique à moyen et à long terme”. Pour Hamza Guedira, “le gouvernement a tablé sur la réussite des différents programmes relatifs à la généralisation de la couverture médicale. Or, l’élargissement de l’assurance maladie obligatoire connaît beaucoup de problèmes. Le RAMED et la convention nationale du tiers payant sont deux véritables échecs, tandis que les caisses de remboursements sont au bord de la faillite”.
Notre source au ministère de la Santé n’est pas du même avis : “Le Maroc a fait des efforts considérables pour généraliser la couverture sociale. Il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne risquent rien. Maintenant, c’est la mise en place de ces différents programmes qui peut avoir une petite défaillance. Et nous sommes en train de corriger et d’amender ces programmes pour qu’ils remplissent pleinement leur rôle”.
Vers une suspension du décret ?
Face à cette situation de crise, les pharmaciens réclament l’abrogation du décret n°2-13-852. “Il faut arrêter de travailler avec ce décret. Il a engendré plusieurs ruptures de stock, ainsi que la disparition du marché de certains médicaments à petit prix qui sont très importants”, insiste Hamza Guedira.
Ce dernier reste tout de même optimiste quant au dénouement de cette crise. “Le ministère de la Santé a commandité une étude sur le prix des médicaments à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Elle devrait présenter ses recommandations prochainement. Ce dossier est également soumis à l’appréciation du Conseil de la concurrence. Ce dernier a écouté les différentes parties prenantes. Son avis sera bientôt rendu public”, explique le président du CNOP.
“Au lieu d’agir de manière irrationnelle, le ministre de la Santé a commandité cette étude d’impact de l’application dudit décret sur l’ensemble des acteurs du secteur. Pour que cette étude soit crédible, elle a été confiée à des experts de l’OMS”, complète le responsable au ministère de la Santé. Les résultats de l’étude confiée à l’organisme onusien seront connus en septembre. Une seule question subsiste désormais. Permettra-t-elle au ministère de la Santé et aux pharmaciens de trouver un accord qui n’affectera pas le porte-monnaie du citoyen ?