Sur les réseaux sociaux, on bouillonne sur ce phénomène que d’aucuns appellent désormais le “fléau des jets de pierres.” Les publications fleurissent, notamment sur Facebook, où l’espace dédié aux commentaires sert à témoigner de ses malheurs survenus sur les autoroutes marocaines. Avec parfois des photographies du véhicule endommagé à l’appui. En ligne de mire : les auteurs des actes de vandalisme, mais aussi ADM (Autoroutes du Maroc), gestionnaire du réseau national.
“Je ne roule plus que de jour, de peur de recevoir des pierres ou tout autre projectile”, témoigne Abdessamad. “Je me lève à 6h du matin s’il le faut pour éviter de conduire la nuit.” Cet habitant de Marrakech a reçu récemment un sac d’huile usagée sur son pare-brise, l’obligeant à rouler pendant cinq kilomètres quasiment à l’aveugle. “Je ne voulais pas m’arrêter, de peur de me faire attaquer sur le bas-côté”.
Car c’est là tout l’objectif de la manœuvre : lancer un projectile qui obligerait le conducteur à se ranger sur le côté, dans le but de piller le véhicule. Pour certains, c’est un jeu, comme pour tuer le temps aux abords des autoroutes. “Mes fils se sont fait attaquer plusieurs fois également”, témoigne Abdessamad. “Ils ont vu les auteurs, des gamins de 16 ou 17 ans, qui lancent des pierres du haut des ponts.” Ces deux fils privilégient aujourd’hui les routes nationales pour rejoindre certaines villes, de peur de subir une nouvelle fois un jet de pierre.
Des conséquences sur la conduite des usagers
“Nous payons pour un service lorsque nous prenons l’autoroute, notre sécurité doit donc être assurée.” Laurent dit avoir été victime de jets de pierre à trois reprises. Toujours sur le même axe : le tronçon entre Casablanca et Rabat. “La dernière fois, le galet a été jeté du bord de l’autoroute, et a heureusement fait un ricochet. J’ai vu la pierre arriver alors j’ai donné un grand coup de volant. Les conséquences auraient pu être terribles.” Des incidents sans gravité, mais qui ont eu des répercussions sur les habitudes du conducteur. “Cela m’amène à faire des fautes et à adopter une vitesse excessive, pour passer au plus vite les zones à risques.” Et comme Abdessamad, ces incidents sont sources de stress : “A chaque fois que je dois prendre l’autoroute j’appréhende, et me demande si je vais arriver à bon port.”
Car un jet de pierre peut s’avérer être mortel, comme en témoigne ce faits-divers d’avril 2018, où une conductrice d’une soixantaine d’années avait perdue la vie sur le tronçon entre Rabat et Oujda à la suite d’un lancer de projectile. Plus récemment en février, une jeune femme de 25 ans décède dans les mêmes circonstances entre Fès et Oujda.
A la suite de leurs mésaventures sans gravité, Laurent et Abdessamad n’ont pas porté plainte auprès des autorités compétentes. “Je pense que c’est inutile, et la procédure est compliquée, il faut le faire directement après l’attaque alors que j’étais en état de choc”, explique Abdessamad.
L’importance de la procédure
Un comportement que déplore ADM (Autoroutes du Maroc), en charge de la gestion du réseau. “Le respect de la procédure est important”, explique une des responsables d’ADM. “Si l’on ne déclare pas ces incidents, on n’est pas en droit de se plaindre. On ne peut pas générer un débat public avec juste des déclarations sur Facebook.”
Et de détailler : “Les jets de pierres se comptent uniquement par dizaines : 250 par an déclarés dont seulement 30 fondés et instruits, alors que nous traitons un volume de trafic journalier des plus importants (500.000 véhicules par jour, NDLR). Il ne s’agit absolument pas d’un phénomène, mais plutôt de faits amplifiés avec la montée en puissance des réseaux sociaux. Les personnes qui postent leurs commentaires n’ont même pas photos ou de réclamation de déposée auprès de la Gendarmerie Royale.”
Certains franchissent cependant le pas, comme Alma. “La procédure est difficile, car il faut aller déposer plainte dans le bureau de gendarmerie le plus proche du lieu de l’accident. Les officiers nous ont dit que ce n’était pas grave, que c’était tout simplement des enfants qui jetaient des pierres du haut des ponts.” Alma garde toujours cependant en elle le choc de l’incident, survenu en mars dernier. Une pierre vient briser le pare-brise de la voiture de sa cousine du côté passager, où Alma se trouvait. “Il y avait des morceaux de verre partout sur mes vêtements. Nous avons failli dériver dans une rivière dans la panique. J’ai eu la peur de ma vie.”
ADM se défend d’être responsable
Même si la plainte n’a à ce jour pas donné de suite, elle insiste elle aussi sur l’importance de la déclaration : “Il faut témoigner pour en faire une problématique d’ampleur nationale.”
ADM appelle au contraire à “relativiser” : “C’est un sujet surmédiatisé. Souvent les déclarations sont infondées, les vidéos anciennes. Il s’agit de cas isolés, comme il existe partout dans le monde.” Selon notre source, “durant le 1er trimestre 2019, près de 90% des déclarations se sont avérées infondées auprès du centre d’appel joignable au numéro dédié 5050.”
Afin de minimiser les risques de jets de projectile, ADM a développé un dispositif de sécurité sur certains ponts du réseau. Des barrières ont ainsi été installées l’année dernière sur un ouvrage de franchissement de l’autoroute entre Rabat et Casablanca, le tronçon le plus fréquenté du réseau. ADM a également doté l’infrastructure de caméras de vidéosurveillance et a annoncé une future généralisation de ce système de sécurité sur l’ensemble du réseau autoroutier. Mais même si certains saluent l’effort, des usagers comme Laurent doutent cependant de leur pleine efficacité : “Les trois incidents dont j’ai été victime ont été provoqués par des jets de pierre lancée des abords des voies, et non des ponts. Comment faire alors ?”.