Première Marocaine à remporter la prestigieuse distinction face aux plus grands de la nouvelle génération de pianistes, la jeune Nour Ayadi est arrivée “comme Mbappé à la coupe du monde, personne ne l’attendait” glisse sa mère, sourire aux lèvres. C’est à Casablanca qu’elle a grandi, et à l’école Nicole Salmon qu’elle a débuté le piano à 6 ans. La pianiste est ensuite partie étudier la musique au Conservatoire national de musique de Paris (CNM) à 16 ans.
Âgée aujourd’hui de 20 ans, elle n’en a pas fini d’exceller : élève en troisième année au CNM, en deuxième année à Sciences Po Paris, elle est aussi diplômée de l’École normale de musique de Paris (ENM). Le 18 mai, elle a remporté le prix Cortot de cette école centenaire face à 17 autres pianistes, un concours qui fait partie de l’examen final de l’établissement. TelQuel a rencontré Nour Ayadi dans un café casablancais.
TelQuel : Vous avez remporté le prix Cortot le 18 mai dernier. Comment s’est passé l’examen ?
L’évaluation est une performance de 45 minutes. Ce qui est intéressant, c’est que les membres du jury sont extérieurs à l’école et nous jugent uniquement à ce moment-là. Ils assistent au récital, dispersés dans le public. On ne connait pas leur identité. Aux résultats, on découvre le jury, qui attribue le diplôme de concertiste (de l’École Normale de Musique de Paris, NDLR) et qui nomme le prix Cortot, ou pas : en 2018 et 2015, le prix n’a pas été attribué. Cette année, nous étions 17 à passer le concours sur deux jours. De plus en plus d’étudiants viennent de l’étranger, et certains d’entre eux ont déjà une carrière et des prix internationaux.
Quels morceaux avez-vous joués ?
Les Études symphoniques de Schumann, Trois mouvements de Petrouchka de Stravinsky, et deux préludes de Debussy. C’est un programme que j’ai construit et qui m’a pris du temps : il fallait que je trouve une cohérence entre les pièces, et que je me retrouve dans cette musique. Pour moi, la musique c’est comme des mots : il faut arriver à transmettre un message et raconter une histoire à travers elle.
Comment s’est passée la phase préparatoire ?
Je me suis préparée pendant à peu près un an. Je fais quotidiennement environ sept heures de piano par jour, et le mois précédent le concours tout mon esprit était mobilisé. Je me suis aussi entrainée à jouer devant un public : Schuman est assez dur à tenir et à enchaîner avec Petrouchka, même physiquement. Pendant mes pauses, je fais de la danse, je me balade, je vais à l’opéra ou à des concerts de jazz.
Ressentez-vous une certaine responsabilité en tant que première femme et première Marocaine à remporter le prix le plus prestigieux de l’école ?
C’est un honneur immense pour moi d’inaugurer ce symbole-là. Après, je fais de la musique et on m’a nommée comme étant celle qui représentait le mieux le prix Cortot cette année. Il s’avère que je suis la première femme marocaine… Il y a très peu de Marocains dans le monde de la musique classique, donc c’est sûr que mon parcours a toujours intrigué. Mais ce n’est pas vraiment une responsabilité : c’est plus une manière d’encourager les autres et de montrer que rien n’est impossible.
Tentez-vous de mettre en avant la musique marocaine à travers les morceaux que vous jouez ?
C’est dans mes projets de jouer de la musique marocaine. Je remarque que dans plus en plus de concours marocains, on essaie de mettre des compositeurs nationaux dans les œuvres imposées à jouer. C’est une manière de sensibiliser les plus jeunes à découvrir la musique de leur propre pays.
Vous êtes à la fois étudiante au Conservatoire de Paris et à Sciences Po Paris. Comment arrivez-vous à gérer ces deux écoles, qui demandent toutes deux un certain investissement ?
C’est d’abord la musique qui m’a amenée à déménager. Je suis arrivée en France à 16 ans pour entrer au Conservatoire et faire une Terminale scientifique. Quand j’ai commencé Sciences Po, j’ai vite compris que c’était aussi sérieux que la musique. J’ai dû mettre en place une organisation : quand je vais en cours, j’essaie d’être la plus efficace possible, et je travaille le piano entre six et huit heures par jour. Quand je n’ai pas le temps, c’est quatre ou cinq heures. Tant que je peux faire les deux écoles, je continuerais, même si de chaque côté on me conseille de me concentrer exclusivement sur l’une.
Vous arrive-t-il de composer ?
J’improvise de temps en temps, mais je ne compose pas pour l’instant. J’aimerais y penser plus sérieusement plus tard, mais j’aimerais que cela vienne naturellement et que l’inspiration vienne d’elle-même.
Comment avez-vous débuté le piano ?
J’écoutais ma sœur jouer dès l’âge de trois ans, et j’ai commencé à six ans à l’École de musique Salmon à Casablanca où j’ai étudié pendant dix ans. Mes parents, ma soeur et mon frère ont joué un rôle très important dans mon parcours.
Quels projets après la remise de ce prix ?
Je dois enregistrer un disque pour le prix Cortot, qui comprend aussi des engagements de concerts. Beaucoup de festivals m’ont aussi contactée à la suite du prix. Je suis très sollicitée. L’année prochaine, je serai en échange à Londres à la fois avec Sciences Po et le Conservatoire. J’essaie de continuer mon chemin sans trop me focaliser sur les médias : j’ai eu le prix, j’étais contente, mais après quelques jours je pensais déjà aux concerts qui suivaient. J’ai aussi mes examens de fin d’année au Conservatoire qui arrivent…