Ce jeudi 30 mai à la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Rabat toutes les personnes présentes s’attendaient à une nouvelle journée de procédures “normales”. Mais une fois quelques aspects procéduriers expédiés, le juge Abdellatif Al Amrani appelle Abdessamad El Joud à la barre. La surprise dans la salle est palpable lorsque le chef présumé de la cellule terroriste d’Imlil s’avance vers le juge vêtu de sa gandoura blanche. Derrière sa longue barbe, celui qui se fait appeler Abou Mossab semble détendu face au juge. “Il n’y aura pas de mensonge, inchallah”, se plaît-il à répéter.
Entre jus et hijra
Il dit avoir déjà croisé quelques-uns des 23 autres accusés lors d’un précédent séjour à la prison de Salé, située à quelques pas de la salle d’audience. En 2014, Abdessamad El Joud avait en effet fréquenté l’établissement pénitencier après avoir été condamné à trois ans de prison ferme en première instance pour avoir tenté de rallier la Syrie pour combattre aux côtés de Daech. Après avoir vu sa peine réduite à 13 mois en appel, il quitte la prison “Zaki” en 2015.
Qu’a-t-il fait depuis ? “En sortant de prison, j’ai décidé de vendre des jus devant la mosquée à Harbil (son village natal, une commune rurale située à proximité de Safi, NDLR). Le Makhzen m’en a empêché arguant que c’était interdit”, répond El Joud, qui dirigera dès lors les prières en commun d’une mosquée de la région.
Quid de ses relations avec ses ex-compagnons de cellule ? “Nous nous rencontrions et échangerions sur plusieurs sujets, notamment le jihad et la hijra (exil en terre d’islam, NDLR) ”, se souvient-il. Entre-temps, il n’a jamais abandonné l’idée de rallier la Syrie. En 2016, il est condamné à trois mois de prison avec sursis. Motif ? “Fausses déclarations”, répond le principal accusé dans le procès d’Imlil. “J’étais encore hanté par l’idée de rejoindre l’État islamique. Sans passeport, j’ai dû prétendre que l’ancien a été brûlé pour qu’ils m’en délivrent un nouveau”, raconte-t-il.
Froideur et confusion
Dès lors, l’idée de perpétrer des actes terroristes au Maroc germe en lui. A l’en croire, ces actes ne ciblaient pas les symboles du régime qu’il qualifie de “tyrannique » dans une vidéo diffusée sur Twitter et dans laquelle les bourreaux présumés des deux touristes scandinaves prêtaient allégeance à Daech. “Nous ciblions les touristes, ces croisés qui massacrent les musulmans partout dans le monde, qui détruisent les mosquées, et bombardent les regroupements des musulmans”, affirme celui qui cite le coran comme principal texte de référence.
Qu’en est-il alors de son allégeance à Daech ? “Il n’est pas nécessaire de prêter allégeance pour aimer l’État islamique. Nous l’aimions et nous priions Dieu pour lui”, déclare El Joud d’un air laconique. Une fois le parcours de l’accusé examiné, vient ensuite le moment fatidique. Abdessamad El Joud a-t-il tué Louisa Vesterager Jespersen et Maren Ueland ? “J’en ai décapité une”, répond l’accusé avec froideur. Le récit de l’accusé est confus. Il ne se souvient pas précisément de sa victime et est incapable de restituer les instants suivant le meurtre. Un silence s’empare de la salle. Le juge reprend l’interrogatoire. Regrette-t-il son acte ? “Oui, je le regrette”, répète mécaniquement l’accusé.
Les avocats défilent devant El Joud et peinent à lui soutirer quelques mots. Vient ensuite l’avocat de la partie de civile, Khalid El Fatoui. Celui-ci demande au mis en cause s’il soutient encore l’État islamique. Abdessamad El Joud est hésitant. Il veut s’exprimer, mais ravale ses mots avant de finalement concéder : “Je ne sais plus quoi penser… Je suis enfermé ici, je ne sais pas ce qui se passe dehors. Qu’Allah nous montre la vérité, la raison”. L’avocat insiste et veut une réponse simple à sa question. “Je ne sais plus quoi penser” répond, confus, l’accusé.
Un autre accusé en la personne de Younes Ouziad est appelé à la barre. À l’issue de l’audience, le juge Abdellatif Al Amrani annonce que la prochaine audience du procès aura lieu le 13 juin. Une audience, qui comme celle-ci, sera marquée par la participation de l’avocat Abdellatif Ouahbi, également député du PAM, qui a été désigné pour représenter l’État dans le cadre de cette affaire où sa responsabilité a été mise en cause par la partie civile.