132 millions d’habitants. C’est la population totale que devraient atteindre les cinq pays de la région du Maghreb à l’horizon 2050. Soit un peu plus de 32 millions d’habitants par rapport aux 99,8 millions recensés en 2018, apprend-on dans une étude publiée dans le 52e numéro des “Cahiers du plan”, publiée par le HCP le 22 mai. La poussée démographique annoncée serait liée à “la natalité élevée dans le passé” des pays maghrébins, mais aussi à “une fécondité présente et pour quelques années encore au-dessus du seuil de remplacement des générations”.
Au-delà, l’étude revient sur les différents mouvements démographiques vécus dans la région sur les cinquante dernières années, et fournit des projections sur les changements socioéconomiques attendus. L’évolution annoncée pourrait entraîner de forts impacts, notamment sur des questions sanitaires, mais aussi celles liées à l’emploi, l’urbanisme et l’environnement.
Un Maghreb plus peuplé, aux besoins grandissants
Avec près de 100 millions d’habitants recensés en 2018, le Maghreb représente environ 1,3% de la population mondiale et 7,8% de la population à l’échelle du continent africain. En 1980, l’effectif n’était que de 49,8 millions sur les cinq pays étudiés (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Mauritanie).
Les taux moyens d’accroissement de la population au Maroc et en Tunisie sont estimés respectivement à 1,06% et 1,10% pour l’année 2018 alors que la Mauritanie affiche un taux de 2,8%, en raison d’une fécondité encore assez élevée et de l’inertie démographique inscrite dans sa pyramide des âges. “Ces rythmes de l’évolution démographique, qui expriment une maîtrise relative de la croissance des populations dans les trois pays du Maghreb central, n’excluent pas la persistance d’une pression démographique”, relate l’étude.
Il est ainsi mentionné qu’avec un taux d’accroissement annuel “moins fort de 1,06%”, le Maroc pourrait connaître, chaque année, “la naissance d’une ville moyenne de plus de 300.000 habitants”. L’enjeu est donc l’anticipation des besoins supplémentaires qu’implique la croissance démographique qui se profile, en termes d’éducation, de santé, d’emploi, de logement, d’énergie, d’eau, ou encore d’infrastructures physiques et sociales.
La fécondité et l’âge de mariage en recul
“Pendant longtemps le Maghreb a véhiculé l’image d’une région surpeuplée, dotée d’ une forte croissance de sa population et d’un très fort taux de fécondité”, rappelle l’enquête du HCP. Affichant un haut niveau dans les années 1960, avec plus de sept enfants par femme, la fécondité s’inscrit désormais à la baisse. En 2018, d’après les statistiques recueillies, elle affiche 2,6 enfants par femme.
L’étude souligne qu’il a fallu près de deux siècles en France pour qu’une femme passe de six à deux enfants, là où il a fallu un quart de siècle pour le Maghreb. En cause : “le changement dans le calendrier de la nuptialité et, dans une grande mesure, le recours de plus en plus massif à la contraception”.
Le calendrier de la nuptialité (l’âge du premier mariage) s’inscrit en recul sur l’ensemble de la région. Il y a une trentaine d’années, “l’âge moyen au premier mariage des femmes se situait entre 18 et 21 ans, et, très souvent, la moitié des femmes étaient déjà mariées à 17 ou 18 ans”. Depuis les années 2000, il est passé, pour les femmes, “à plus de 25 ans, voire 30 ans dans certains pays du Maghreb”, bien qu’il tende à se stabiliser. Le Maroc reste l’un des pays où les femmes se marient plus jeunes, à 25,5 ans de moyenne.
La jeunesse, potentiel sous-exploité
D’après les estimations du rapport, la population maghrébine en âge de travailler (15- 59 ans) continuera de croître jusqu’en 2050. Son effectif devrait passer de 62,1 millions à 76,8 millions, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 0,7 %, inférieur à celui de la population totale (1,2 %). Néanmoins, cette population devrait moins peser dans le futur passant de 61,6 % en 2018 à 57,3% en 2050.
La situation interpelle dans une région où, malgré la croissance de la population en âge de travailler, le chômage reste élevé chez les jeunes. Selon des projections réalisées par le Bureau international du travail, la population active maghrébine enregistrerait annuellement de 354.000 nouveaux demandeurs d’emploi entre 2018 et 2030. D’après les projections du HCP, il faudra répondre à une demande additionnelle d’environ 4 millions d’emplois.
L’étude relève que le taux de chômage au Maroc évolue “en dent de scie ces dernières années”. Son niveau élevé (10,2% en 2017) se caractérise par un très faible taux d’insertion des femmes. Ainsi, seule une femme sur quatre, en âge de travailler, a un emploi.
Quelles conséquences du vieillissement prévu au Maghreb ?
D’après le rapport, la baisse de fécondité constatée et l’allongement de l’espérance de vie (un Maghrébin vit, en moyenne, un peu plus de 75 ans) entraînent un vieillissement rapide de la population . “Le nombre des personnes âgées de 60 ans et plus passerait de 10,2 millions en 2018 à près de 30,5 millions en 2050. Cette population devrait donc plus que doubler et passer de 10,2 % de la population totale en 2018 à 22,8 % en 2050, soit un taux d’accroissement annuel soutenu de 3,5 %”.
Parmi les conséquences de ce vieillissement, le HCP relève l’augmentation des dépenses de santé “résultant d’une consommation de services de soins et de médicaments des personnes âgées supérieure à celle du reste de la population”. Celle-ci serait liée à une hausse des principales pathologies et pourrait s’avérer lourde en répercussions sur les finances publiques. “Cette hausse prévisible du coût de la santé interviendrait alors que la lutte contre les maladies infectieuses dans les pays du Maghreb n’a pas encore atteint ses buts”.
Quelles politiques à venir au Maghreb ?
À l’image du “miracle économique” en Asie orientale entre 1965 et 1990, le Maghreb devra impulser une politique générale adéquate pour tirer profit de la transition démographique. Un cas qui n’est pas encore d’actualité, tant “les pays du Maghreb sont encore dans les premières phases de ce processus”. Pour le HCP, “il est nécessaire d’investir massivement et longuement dans l’éducation, la formation, l’emploi, la protection sociale et la santé des jeunes puisqu’il s’avère que les efforts consentis dans ces domaines ont donné des résultats en deçà des attentes de cette frange de la population. En somme, la question des jeunes devrait figurer dans les premières priorités de l’Etat”.
Pour les chercheurs ayant mené l’étude, la phase attendue constitue une “aubaine”, pour le pays du Maghreb. “Ils ne seront jamais en meilleure position pour mettre leur économie en mouvement, expliquent-ils, avant d’ajouter : Rater cette occasion, c’est rater son rendez-vous avec l’histoire, et le prix en serait alors particulièrement lourd (risques d’instabilité, tensions, revendications, voire radicalisation de groupes de population vulnérables, etc.)”.
Les auteurs du rapport exposent sept axes vers lesquels doivent tendre les gouvernements des différents pays de la région. Ils recommandent notamment l’investissement dans “une éducation de qualité”, une meilleure adéquation formation-emploi, des politiques publiques visant à éliminer la pauvreté et réduire l’inégalité ou encore répondre aux besoins de la jeunesse en matière de santé.