Maryam Touzani nous parle de son premier long-métrage, Adam

Maryam Touzani présente à Cannes son premier long métrage, Adam. A quelques jours de la première projection, la réalisatrice nous parle de son film, de représentativité à l'écran et de sororité à la marocaine.

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On la présente souvent comme “la femme de” Nabil Ayouch, le réalisateur de Much Loved, un film sur la vie de prostituées à Marrakech, interdit de diffusion au Maroc. Mais Maryam Touzani est plus qu’une muse. Documentariste, elle coiffe aussi les casquettes de scénariste et réalisatrice. Son premier long métrage, Adam, raconte l’histoire de deux femmes prisonnières, chacune à sa manière, qui cherchent à trouver refuge dans la fuite.

TelQuel: Dans la section Un certain regard, vous apparaissez aux côtés de réalisatrices telles que Mounia Meddour, Pippa Bianco, Danielle Lessovitz, Monia Chokri, Zabou Breitman, Éléa Gobbé-Mévellec… C’est la première fois qu’il y a autant de femmes en compétition. Les 50/50 en 2020, vous y croyez ?

Je crois en la valorisation du talent, qu’il soit masculin ou féminin. Mais je crois aussi qu’il faut donner aux femmes les moyens de pouvoir faire des films,  car le 50/50 se joue bien avant la sélection des films par les festivals. Cela commence dans beaucoup de pays, comme le Maroc, par l’accès à l’éducation, qui est parfois un vrai challenge pour les petites filles surtout en milieu rural. Par l’égalité des chances quant aux études supérieures, au partage des responsabilités liées à la maternité.

Cela passe par les institutions, mais aussi par une remise en question véritable du statut de la femme et un changement dans les mentalités… Le jour où les femmes auront les mêmes chances que les hommes de pouvoir faire un film, on n’aura plus besoin de parler de 50/50. Ça sera un acquis. Mais on en est encore loin.

Ce féminisme s’ouvre aussi à d’autres combats, qu’ils concernent les questions LGBTQI+ ou les représentations des minorités ethniques. Est-ce que la représentativité dans vos films est quelque chose que vous conscientisez ?

Pour moi, le féminisme découle avant tout de l’humanisme. Je suis profondément humaniste, et par ce biais forcément féministe. Les questions LGBTQI+ ou les représentations des minorités ethniques me touchent, c’est évident. Ceci dit, je n’ai pas nécessairement cherché ce genre de ‘représentativité’ dans mes films ni aucune autre, d’ailleurs. J’ai cherché à raconter des histoires, à donner une voix à des personnages qui me touchent et m’inspirent – pour certains un peu à la marge – , sans avoir ce genre de réflexion en amont, car je ne réfléchis jamais quand j’écris. Je laisse simplement mon désir profond s’exprimer, c’est tout.

Adam, c’est l’origine, la genèse. Comment est né Adam ?  

Ce premier long métrage est le fruit d’une vraie rencontre, qui m’avait bouleversée, avec une jeune mère célibataire que mes parents avaient accueillie chez nous à Tanger, à mon retour de l’université. J’ai porté son histoire en moi pendant des années, jusqu’au jour où j’ai ressenti le besoin de la laisser sortir. Et cela est venu avec l’avènement de ma grossesse, car ça a réveillé des choses en moi que je n’avais que soupçonnées.

Je ne savais pas ce que cette histoire allait devenir, j’ai juste commencé à écrire de manière instinctive, sans me poser de questions. Je pensais en faire un court métrage, car je ne m’imaginais pas faire un long. Je sentais qu’il me manquait l’expérience. Mais Nabil m’a donné confiance en moi, m’a poussée dans mes retranchements, m’a mise face à moi-même. Et Adam a commencé à prendre forme.

Le film a lieu dans la médina de Casablanca.

D’ailleurs, pourquoi ce titre ? 

Adam, comme le premier homme. Comme l’homme qui doit renaître aussi, se remettre en question… Et oui, qu’on le veuille ou pas, tout homme est enfanté par une femme. Je pense que si on prend conscience de cela, mais réellement conscience,  il y a beaucoup de choses qui pourraient se réparer de manière naturelle dans les rapports homme-femme. Et puis Adam, comme « beni Adam », ou « fils d’Adam », c’est-à-dire, dans notre langage de darija courant, « être humain ». Car cet enfant qui naît sans père, n’est-il pas un être humain comme les autres ? N’a-t-il pas le même droit à la vie ?

Quelle est la relation entre les deux personnages principaux, Abla et Samia ? Qu’est-ce que ce lien entre ces deux femmes dit de la sororité marocaine ? 

Abla et Samia sont deux femmes en fuite, qui font un chemin intérieur grâce à leur rencontre. Abla est une femme dont la vie s’est arrêtée avec le décès de son mari, et qui n’a jamais voulu faire son deuil. Samia veut prétendre que ça va être simple de se séparer de l’enfant qu’elle porte. Ensemble, elles vont apprendre ou réapprendre des choses essentielles, en s’obligeant l’une l’autre à faire face à leur réalité. Je pense que dans notre société les femmes peuvent parfois être très dures les unes envers les autres et aller dans le sens du jugement moral. Mais justement face à l’injustice qu’elles peuvent subir, les femmes se lient parfois d’une manière admirable. Et c’est très beau à voir, car c’est la preuve qu’ensemble les femmes peuvent changer le cours de leur destin, que leur force réside aussi dans cette solidarité féminine, cette sororité.

On le voit à la Quinzaine des réalisateurs, à Un certain regard et à la Semaine de la critique : une nouvelle génération de jeunes cinéastes maghrébins débarque. Y a-t-il un renouveau du cinéma maghrébin et nord-africain ?

Il y a certainement une énergie nouvelle qui bouillonne au Maghreb et qui a envie de s’exprimer, des cinéastes qui ont envie de raconter leurs propres histoires et qui se donnent les moyens de le faire. Des cinéastes qui de plus en plus sentent qu’ils ont leur mot à dire dans le paysage cinématographique mondial. Et ça c’est un beau constat.