Après un déluge de recours du parti islamo-conservateur AKP de M. Erdogan dénonçant des “irrégularités massives”, le Haut-comité électoral (YSK) a provoqué un séisme le 6 mai en annonçant l’annulation des résultats du scrutin municipal du 31 mars à Istanbul.
“Cette décision était la meilleure pour renforcer notre détermination à résoudre nos problèmes dans le cadre de la démocratie et du droit et laisser la volonté populaire arbitrer”, s’est félicité M. Erdogan lors d’un discours devant ses députés à Ankara. Mais le principal parti d’opposition CHP (social-démocrate) a vivement condamné cette décision qui invalide le mandat de son candidat élu, Ekrem Imamoglu, dénonçant un “putsch contre les urnes” et une mesure qui enfonce la Turquie dans “la dictature”.
M. Imamoglu, 48 ans, devait rencontrer le 7 mai le chef du CHP Kemal Kiliçdaroglu et la dirigeante du parti Iyi (droite), Meral Aksener, qui a soutenu sa candidature lors du scrutin du 31 mars, pour discuter de leur stratégie. La défaite en mars de l’AKP dans cette mégalopole qu’elle contrôlait depuis 25 ans a infligé un camouflet sans précédent à M. Erdogan, qui a plusieurs fois déclaré dans le passé que “celui qui remporte Istanbul, remporte la Turquie”.
Pour faire annuler le scrutin à Istanbul, la capitale économique et démographique du pays, l’AKP a fait pleuvoir un déluge de recours sur les autorités électorales, tandis que M. Erdogan multipliait les appels à renouveler les élections. “Nous croyons sincèrement que les élections ont été marquées par des abus commis de manière organisée”, a déclaré mardi M. Erdogan, évoquant “une usurpation de la volonté populaire”.
L’AKP a également perdu la capitale Ankara, un revers qui s’explique notamment par la tempête économique qui secoue le pays, avec la première récession en 10 ans, une inflation à 20% et une monnaie qui s’érode. L’YSK a annoncé lundi que le nouveau scrutin pour Istanbul se tiendrait le 23 juin. Il opposera à nouveau M. Imamoglu à l’ex-Premier ministre Binali Yildirim, le candidat de l’AKP qu’il avait battu le 31 mars avec moins de 13.000 voix.
Pour M. Imamoglu, qui l’a emporté le 31 mars en dépit de conditions de campagne largement déséquilibrées en faveur de son opposant, l’annulation du scrutin sonne comme un coup de massue.
Malgré tout, il s’est voulu rassurant et combatif lundi soir, appelant ses partisans rassemblés à Istanbul à “ne pas désespérer”. “Nous n’abandonnerons jamais”, a-t-il affirmé. Plusieurs milliers de ses partisans ont manifesté dans la nuit de lundi à mardi à Kadiköy, un district de la rive asiatique d’Istanbul, contre la décision de l’YSK de renouveler l’élection.
“C’est l’effondrement de la démocratie déjà en déclin en Turquie. Le processus à venir est condamné à être encore pire”, déplore Ali Yamaç, un partisan de M. Imamoglu.
Cette mesure risque de renforcer les accusations de dérive autoritaire contre M. Erdogan, alors que les organisations de défense des droits humains dressent un portrait de plus en plus sombre de la Turquie depuis le putsch manqué de 2016, suivi de purges massives.
Pour le cabinet d’analyse Soufan Center, “la récente ingérence dans les élections est un signal clair (…) qu’Erdogan est déterminé à atteindre un pouvoir absolu quel que soit le prix”.
Après la décision de l’YSK, l’Union européenne a exhorté lundi les autorités turques à permettre à des observateurs internationaux de surveiller le nouveau scrutin en juin.
L’Allemagne, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Heiko Maas, a jugé “incompréhensible” mardi la décision d’annuler le scrutin.
La décision de renouveler l’élection à Istanbul suscite par ailleurs l’inquiétude des marchés qui pressent le gouvernement turc de consacrer toutes ses forces à relancer l’économie. La livre turque, qui a crevé lundi soir le plafond symbolique de 6 contre un dollar, perdait environ 1,6% de sa valeur contre le billet vert dans la matinée.