Il n’y a que le sujet de la fiscalité qui puisse réunir tout ce beau monde”, a déclaré le président du Conseil économique social et environnemental (CESE), Ahmed Reda Chami, le 3 mai à Skhirat, dans son mot d’ouverture pour les 3e Assises nationales de la fiscalité. Du beau monde, il y en avait : des ministres, des officiels marocains et étrangers, des directeurs d’organismes publics (Nezha Hayat de l’AMMC, Amina Benkhadra de l’ONHYM…), le wali de Bank Al-Maghrib Abdellatif Jouahri …
Le premier à s’exprimer a été le chef du gouvernement. Après le ministère de l’Industrie, Saad Eddine El Othmani a tenu à son tour avertir les médias contre la sinistrose qu’ils pourraient diffuser dans l’opinion publique. La raison ? L’information selon laquelle Bombardier se “retire” du Maroc. “Il s’agit d’un redéploiement de Bombardier à travers le monde, et non d’un retrait. Les journalistes doivent vérifier leurs informations afin de ne pas propager le doute dans l’opinion publique”, a-t-il déclaré.
Jeudi, lors de la présentation de ses résultats trimestriels le constructeur aéronautique canadien Bombardier a annoncé la cession de ses activités d’aérostructures au Maroc. Selon une source proche du dossier consultée par TelQuel, l’usine de Nouaceur sera reprise par un sous-traitant qui garantira les emplois des quelque 400 personnes travaillant sur le site.
Le ministre des Finances Mohamed Benchaaboun a voulu quant à lui donner une empreinte sociale à la grande réforme du système fiscal à laquelle doivent aboutir ces Assises. “Je m’engage à ce que chaque dirham qui proviendra de l’élargissement de l’assiette aille à la baisse des taux et aux dépenses sociales. L’objectif étant de soutenir nos concitoyens à bas revenu et la classe moyenne tout en préservant les grands équilibres macroéconomiques”, a-t-il annoncé dans son discours inaugural.
Il a aussi rappelé les chiffres de la fiscalité au Maroc, qui font dire au ministre que les tares du système font l’objet d’un “consensus national” : 1% des entreprises paient 80 % de l’impôt sur la société (IS), une trop grande concentration fiscale “qui ne peut s’expliquer par la seule concentration économique”, a-t-il soutenu. 84 entreprises paient 50% de l’IS, et ces mêmes entreprises ne représentent que 28% du chiffre d’affaires global et 40% de la valeur ajoutée. Une situation qui ne peut s’expliquer que par la non-conformité fiscale d’une partie des entreprises soumises à l’IS, selon Benchaaboun.
Alors deux tiers de ces entreprises sont des déficitaires chroniques, le ministre s’interroge sur la pertinence de la suppression de la cotisation minimale, proposition soumise par bon nombre de participants qui perçoivent cette cotisation comme une mesure injuste et inefficace.
Le ministre des Finances est aussi revenu sur les incitations fiscales qui perdurent dans le Code général des impôts, “sans aucune évaluation de leur efficacité”. “Le coût de ces incitations est de 30 milliards de dirhams, soit 1,5% du PIB. Cette aide à certaines entreprises ou certains secteurs devrait passer par une dotation budgétaire plutôt que par une incitation fiscale,” a-t-il déclaré.
Liste grise, une épée de Damoclès
Pour Ahmed Reda Chami, le maître mot ce sont les “ruptures pour libérer le potentiel de croissance de notre pays”. “Rupture avec la capacité formidable que nous avons de décourager toutes les initiatives. Rupture avec la méfiance légendaire vis-à-vis des investisseurs, des contribuables et des citoyens en général. Rupture avec l’économie de rente. Rupture avec les passe-droits. Rupture avec les modes de réévaluation de l’impôt dû, avec tout cela induit comme marge d’interprétation et de négociation. Mais aussi, chers contribuables, rupture avec la sous-déclaration, le noir et toute forme d’évasion fiscale”, a martelé le président du CESE.
La présence du commissaire européen aux Affaires économiques Pierre Moscovici était enfin un signal que l’un des objectifs de la réforme de la fiscalité est de sortir de la liste grise des paradis fiscaux de l’Union européenne. “Nous avons travaillé intensément avec le ministre des Finances marocain pour que le Maroc ne figure pas dans la liste noire des paradis fiscaux, ça n’était pas sa place. Et il est important que le Maroc adopte les standards de bonne gouvernance fiscale,” a déclaré l’ancien ministre français des Finances. Pierre Moscovici a déclaré que le listing de l’UE est un grand succès : “Plus de cent régimes fiscaux dommageables ont été éliminés, et de nombreux pays ont aligné leur régime fiscal sur les normes internationales”. Tout en insistant sur le fait qu’il n’était pas là pour donner des leçons, le commissaire européen a rappelé les chantiers que le Royaume doit encore réaliser. Il s’agit notamment de “la ratification avant fin 2019 de l’assistance mutuelle administrative fiscale et la correction de trois régimes fiscaux préférentiels : les zones franches d’exportation, les entreprises exportatrices et Casablanca Finance City.”