Lundi, le gouvernement a relancé sa campagne nationale annuelle sur le thème “l’inscription à l’état civil est un droit constitutionnel : je m’inscris donc je suis”. L’opération a été initiée le 15 janvier 2018. Elle concerne tous les enfants absents des registres de l’état civil en raison de conditions familiales ayant entravé leurs inscriptions dans les délais réglementaires. Parmi ces raisons, on note la précarité, l’éloignement des centres d’inscription, ou encore l’absence d’un des parents. Abdelkarim Boujradi, secrétaire général de la Délégation interministérielle aux droits de l’Homme, nous en explique les enjeux.
Telquel.ma : D’où part la nécessité de lancer cette campagne ?
Abdelkarim Boujradi : Une première campagne, chapeautée par le ministère de l’Intérieur, avait été lancée en 2008. Elle avait donné de bons résultats, mais elle n’a pas été relancée depuis. Selon les statistiques issues de la dernière enquête de l’UNICEF Maroc, autour de 6% des naissances n’ont pas été enregistrées entre 2006 et 2011.
Il a alors fallu relancer cette campagne qui s’inscrit dans le cadre du PANDDH (le Plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme). Parmi les différentes mesures prévues par ce programme, la 248e prévoit la mise en oeuvre périodique et régulière de la circulaire du chef du gouvernement, relative à la campagne nationale d’inscription des enfants dans les registres de l’état civil.
Publiée en septembre 2017, la circulaire instaurait une campagne nationale d’inscription des enfants à l’état civil. Cette campagne, dont la première phase a été lancée en janvier 2018, doit être relancée chaque année jusqu’à ce que tout le monde soit inscrit à l’état civil.
Quel risque y a-t-il à ne pas être inscrit à l’état civil ?
La première campagne lancée en janvier 2018 avait pour slogan “Je m’inscris donc je suis”. Ce slogan est significatif. Il y a certes une existence physique, et même si les enfants qui ne sont pas inscrits à l’état civil peuvent faire des études et être enregistrés à l’école primaire, ça s’arrête là. Ils ne peuvent pas accéder à l’enseignement secondaire ou à l’université. Alors quel avenir ont-ils ? Quand ils seront en âge de travailler , comment pourront-ils réclamer leurs droits devant l’employeur ?
Certaines personnes trouvent choquant de dire qu’ils ne possèdent pas d’identité. Bien sûr, ils existent, on ne dit pas le contraire. Mais est-ce qu’ils peuvent avoir vraiment une vie ? Ils sont limités sur tous les plans : les études, la santé, le travail, même le mariage. Il faut donc une mobilisation de toutes les parties pour éradiquer la problématique et inciter les familles à inscrire leurs enfants.
Quels acteurs se sont engagés dans la campagne ?
La circulaire a instauré plusieurs mécanismes, dont une commission ministérielle qui regroupe les principaux départements concernés par la question. Ses travaux sont coordonnés par le Ministère d’Etat chargé des droits de l’Homme.
La commission comprend des représentants des ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Jeunesse, de la Santé, de l’Education, des Affaires étrangères, de la Famille, de la Communication, et des Affaires islamiques, ainsi que du Parquet. La participation de ces départements est importante, car ils connaissent la réalité du terrain. Ils connaissent par exemple les zones où il y a le plus d’enfants dans cette situation, comme celle de Rabat-Salé ou de Marrakech-Safi, entre autres.
Des commissions régionales ont aussi été mises en place. Elles sont présidées par les walis de chaque région qui chapeautent les opérations sur le terrain. Les associations de la société civile sont aussi impliquées dans ce processus, car il faut qu’il y ait une conjonction d’efforts pour qu’il n’y ait plus aucun enfant qui n’est pas inscrit à l’état civil dans le Maroc du 21e siècle.
Comment la campagne est-elle mise en oeuvre sur le terrain?
Lorsqu’un enfant n’est pas enregistré à la naissance, la réglementation donne aux parents un délai d’un mois pour se conformer. Une fois passé ce délai, il faut un jugement du tribunal pour que l’enfant soit enregistré et ce jugement requiert normalement plusieurs mois.
Notre campagne facilite énormément cette tâche. Les commissions régionales étudient les dossiers de chaque famille pour s’assurer qu’ils comportent tous les documents nécessaires. Ensuite, le parquet présent, représenté au sein de chaque commission régionale, émet un jugement pour que l’enfant puisse être inscrit dans les bureaux de l’état civil.
De son côté, le ministère de la Santé aide énormément pour la délivrance des certificats de naissance lorsque la famille n’en possède pas. La circulaire a également instauré des unités mobiles qui vont jusqu’aux endroits les plus reculés où les gens ont plus de difficulté à se déplacer. En effet, les bureaux de l’état civil se trouvent normalement dans les villes, mais on ne va pas les trouver dans un douar ou un jbel. Ce sont donc ces unités mobiles qui se rendent dans ces zones pour regrouper l’ensemble des dossiers et les transmettre à la commission régionale.
Le plus intéressant, c’est qu’il n’y a pas de frais à débourser pour cette procédure. Le parquet a en effet émis une circulaire selon laquelle tous les frais d’enregistrement sont gratuits. Le but est d’encourager les familles et tous ces dispositifs sont toujours en place.
A quels cas peut-on être confronté dans ce genre d’opération?
On a des enfants qui ne sont pas inscrits, car leurs parents n’ont pas acté leur mariage. La commission va alors se mobiliser pour régulariser le mariage et pour prouver que telle et telle personne sont bien les parents de l’enfant. Il y a également des cas des mères célibataires. Dans ce cas l’enfant est enregistré au seul nom de la dame. Parfois il peut y avoir aussi des enfants en difficulté. Nous avons eu le cas d’un enfant de rue qui est révélateur.
Il a vu qu’il y avait une campagne, il a contacté la délégation régionale du Ministère de la Jeunesse, et il a demandé : “est-ce que vous pouvez m’aider à m’inscrire à l’état civil ? Je connais mes parents, mais mon père ne veut pas m’inscrire”. Il y a aussi quelques cas d’enfants qui n’arrivent pas à avoir d’acte de naissance. Ils sont peut-être nés dans un petit hôpital et ils ont déjà sept ou huit ans. Même si on connait les parents, il faut un certificat de naissance pour pouvoir les inscrire.
Il faut également prendre en compte d’autres pratiques. Certaines personnes déclarent être les parents d’un enfant pour pouvoir l’exploiter. Alors on ne va pas les croire sur parole. Il y a par ailleurs des enfants marocains résidant à l’étranger qui sont peut-être inscrits dans le pays de résidence de leurs parents, mais pas au Maroc. Leurs parents voudraient les inscrire, mais parfois cela peut être compliqué, car l’enfant est souvent très âgé. Nous leur facilitons la procédure.
Quels résultats avez-vous obtenus à ce jour ?
Lors de la première phase, ce travail a permis d’enregistrer à peu près 23.151 enfants de janvier jusqu’à mai 2018. Mais ce chiffre va surement grimper. En mai 2018, 23.151 enfants étaient inscrits, 39.000 dossiers étaient déjà en instance de liquidation au niveau du tribunal. Nous n’avons pas actuellement de nouveaux chiffres officiels, mais c’est sûr que lorsqu’on les aura dans un ou deux mois ce chiffre aura dépassé les 40.000 ou 50000 enfants inscrits à l’état civil.
Depuis mai 2018, nous avons surtout fait un travail de promotion et de sensibilisation. Nous avons travaillé sur un spot publicitaire qui incite à inscrire les enfants. Pour ce spot nous avons fait appel à deux figures : le footballeur Mehdi Benatia et l’actrice Hanane El Fadili. Un autre spot a également été réalisé pour cette nouvelle phase qui vient de démarrer.
À l’aube de cette nouvelle phase, quelles ambitions nourrissez-vous ?
On est aussi en train de lancer une campagne sur les réseaux sociaux pour toucher le maximum de personnes. Il y a également un travail de sensibilisation qu’on est en train de faire dans les mosquées, grâce aux imams qui, lors du prêche du vendredi, incitent à inscrire les enfants. Vendredi dernier par exemple toutes les mosquées du Royaume ont passé ce message et cette initiative aura encore lieu dans quelques semaines.
Par ailleurs, nous avons entamé des discussions avec le ministère de l’Éducation pour que les enfants du primaire et du collège puissent également être porteurs de ce message. Cela sera fait dans le cadre du cours de citoyenneté qui sensibilisera l’enfant et lui permettra de devenir un relais de la campagne dans son quartier. Un enfant pourrait en effet connaitre un autre enfant qui ne va pas à l’école et l’informer sur cette campagne. C’est ainsi que le message aura un effet boule de neige.