Au Maroc, les fermiers peuvent faire pousser du cannabis, mais n’ont pas le droit de l’exporter. Aux Pays-Bas, les coffee-shops peuvent vendre du haschich mais n’ont pas le droit de l’importer. »
Pour la chaîne de télévision britannique BBC Arabic, un journaliste a mené l’enquête pour retracer le voyage du haschich : du Maroc, où la résine est produite dans le nord du pays, jusqu’aux Pays-Bas, où elle est vendue et consommée dans les coffee-shops.
Alors qu’il est illégal dans le royaume, comment les trafiquants parviennent-ils encore à exporter des tonnes de haschich vers l’Europe? Comment font-ils pour passer les barrières policières qui interceptent chaque année des dizaines de tonnes de résine ? Voilà les questions auxquelles tente de répondre l’enquête de la BBC.
Des plantes européennes dans les champs de Ketama
Depuis le début du 20ème siècle, la plante traditionnellement cultivée par de petits agriculteurs dans les montagnes pousse comme les blés. Mais depuis une quinzaine d’années environ, la culture du cannabis a pris une tournure industrielle. Premier producteur mondial, les champs de cannabis marocains s’étendraient sur plus de 40.000 hectares et feraient vivre un million de personnes.
Cette révolution industrielle serait intervenue récemment suite à l’utilisation de graines génétiquement modifiées. Très résistantes, parfaitement adaptées au milieu et plus concentrées, ces graines, ces espèces, d’origine étrangère comme l’Amnesia, étaient inexistantes dans le pays il y a peu d’années encore.
Selon un journaliste tangérois interrogé par la BBC, ces graines sont arrivées au Maroc par des investisseurs français, espagnols et hollandais. Disposant de gros moyens financiers, ils ont changé les petites plantations montagnardes en véritables cultures d’échelles s’étendant sur des dizaines hectares, à Ketama notamment, grâce à l’utilisation intensive d’engrais chimique.
Toujours d’après le journaliste, le haschich issu de ces fermes géantes est exclusivement destiné à être écoulé sur le marché mondial. On estime aujourd’hui que le Maroc produit un million de kilos de haschich chaque année. La majorité de cette production est destinée au Pays-Bas où, où sans être légales, la vente et la consommation de cannabis sont tolérées.
Et en effet, à Amsterdam, le journaliste de la BBC retrouve dans un célèbre coffee-shop de la ville le haschich produit à Ketama. Interrogé, le gérant du lieu refuse de révéler ses réseaux d’approvisionnement mais assure que de nombreux coffee-shops entretiennent des liens avec des cultivateurs marocains. Comment le haschich marocain s’est-il retrouvé dans les bocaux de cet établissement amstellodamois ?
Premier élément de réponse à Melilla. Mohamed est réfugié politique dans l’enclave espagnole. Pendant six ans, il a joué le rôle d’informateur pour la police marocaine. Selon lui, des fonctionnaires marocains entretiendraient des relations avec des trafiquants de grande envergure. Contre rémunération, ils les aideraient à faire passer sans encombre leur marchandises au-delà des zones surveillées, comme les ports marchands.
Des hommes politiques impliqués?
Bien plus, Mohamed affirme que ces dealers bénéficieraient du soutien de certains hommes politiques locaux qui protègent et défendent leurs intérêts. Des officiels marocains sont-ils réellement impliqués dans le trafic international de haschich ? À Amsterdam, le journaliste de la BBC met la main sur un document qui semblerait corroborer les accusations de Mohamed.
Le document, issu de l’administration juridique hollandaise, fait état de la condamnation d’un certain Khalid Bachrioui dans l’affaire « Sprinkhaan », qui a abouti au démantèlement d’un réseau de trafic après la saisie de 60 tonnes de hachich. Lors du jugement, Khalid Bachrioui a été convaincu de blanchiment d’argent pour le compte de l’organisation, à hauteur de 9 millions d’euros.
En l’absence de loi d’extradition entre le Maroc et les Pays-Bas, Khalid Bachrioui vit actuellement à Al Hoceima, où il occupe le poste de président du conseil du tourisme de la province. Un journaliste hollandais, spécialiste des affaires de drogue, affirme pour sa part à la BBC que les cas de connivences entre des officiels marocains et ces organisations criminelles sont légion.
Jan Hein Kuiper, avocat de l’un des inculpés de l’affaire « Sprinkhaan », affirme pour sa part que ce fait est si bien connu de la justice batave que ces pots-de-vin sont pris en compte lors du recouvrement des fonds frauduleux. En bref, le parquet autorise le condamné à déduire le montant des pots-de-vins distribués aux intermédiaires politiques à l’argent sale qu’il doit remettre aux autorités.
Un trafic bien huilé
Par ailleurs, l’avocat affirme que, depuis quelques années, le gouvernement ne donne plus les moyens suffisants à la police hollandaise pour lutter efficacement contre le trafic de cannabis, alors qu’il dispose de beaucoup d’argent pour pourchasser les trafiquants de cocaïne ou d’héroïne. Les autorités hollandaises ferment-elles les yeux sur les importations de haschich marocains ? Le chiffres d’affaires du commerce du cannabis aux Pays-Bas avoisinerait 1 milliard d’euros par an.
Dans le port d’Anvers, le journaliste de la BBC rencontre un dealer repenti. Paul Meyer a été à la tête du gang hollandais « 700 millions ». Il a fait venir en Hollande du cannabis marocain à un rythme régulier. Pendant dix ans, il a réceptionné, dans le port d’Anvers (Belgique), des cargaisons de 18 à 20 tonnes de haschich. Toute la marchandise venait du Maroc.
Paul Meyer raconte le voyage du cannabis du Maroc aux Pays-Bas. Il explique que la résine, produite dans le Rif, est transportée jusqu’au port de Casablanca. De là, elle est stockée dans des conteneurs et chargée sur un bateau qui transite au Portugal avant d’arriver à sa destination finale, le port d’Anvers. En tout et pour tout, le voyage durait 5 jours.
Pendant tout le temps qu’il a exercé, Paul Meyer affirme qu’il n’a jamais rencontré le moindre problème avec ses associés marocains. Selon lui, cela s’explique par le fait que ces deniers étaient très bien organisés et dotés de soutiens politiques puissants dans le royaume. Sans ces relations qui assuraient que l’opération se déroulerait dans les meilleurs conditions, explique Paul, aucun trafic n’aurait été possible. Lui-même assure qu’il rémunérait très largement des personnalités politiques marocaines très haut placées, ce qui lui permettait d’importer d’énormes quantités de haschich en toute légalité.
De retour au Maroc, le reporter de la BBC va rapporter ce témoignage à Abdelhak Khiame, le patron du Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ), à la tête de la lutte anti-drogues. Admettant que certains contrebandiers arrivaient à tromper de temps à autre la vigilance des services de sécurité, Khiame explique que les frontières marocaines sont placées sous très hautes surveillance et que la plupart des opérations de trafic sont mises en échec par la police marocaine.
Et quand le journaliste le questionne sur l’implication supposée d’officiels marocains dans l’organisation du trafic de cannabis, le chef de la BCIJ dit qu’il faut chercher les coupables de l’autre côté de la Méditerranée: « Les réseaux qui font du trafic international de drogue sont parfaitement organisés. Ils sont basés à l’étranger et en aucun cas à l’intérieur du Royaume. »