L’association est dissoute, mais on ne va pas baisser les bras”. C’était le maître mot de la conférence de presse tenue par les membres de l’association Racines le 22 avril après que la dissolution de la structure a été confirmée en appel. Comme annoncé par TelQuel, Racines va se pourvoir en cassation. Une assemblée générale sera néanmoins tenue le 27 avril pour “acter la dissolution”, mais aussi pour “décider à quelles associations seront légués les actifs de l’association”, explique Aadel Essaadani, coordinateur général de l’association. La pérennité de plusieurs projets menés par Racines, comme son programme d’incubateur Racines Carrées qui profite à une dizaine d’acteurs culturels et qui est financé par la fondation suisse Drosos, est aujourd’hui menacée par la décision de dissolution.
“Nous sommes en train de préparer l’après-dissolution, mais pour le moment nous ne souhaitons pas leur donner des idées sur ce qu’on projette de faire”, explique Aadel Essadini. Il ajoute l’air ironique, sans jamais désigner ce “ils” : “On les invite à investiguer à notre sujet”.
Au cours de la conférence de presse, l’avocat de l’association Me Abdeslam Bahi est revenu sur les incohérences du dossier. En référence à l’émission 1 dîner 2 cons diffusée en août 2018 sur YouTube, le parquet reprochait ainsi à Racines d’avoir “organisé une activité comprenant des dialogues qui portent de graves atteintes envers les institutions étatiques et la religion islamique et portant outrage à des corps constitués et fonctionnaires administratifs dans le sens où ces derniers sont accusés d’actes de corruption dans le cadre de leurs missions pour l’Initiative nationale du développement humain”. La justice estime aussi que “plusieurs opinions politiques ont été exprimées, et qui s’égarent des objectifs pour lesquels l’association a été constituée”.
Le ministère public reprochait à l’association la consommation de boissons alcoolisées durant l’émission et insiste sur “l’organisation d’autres activités contenant des mots indécents au vu de l’outrage public à la pudeur (…) qui ne font pas partie de ses statuts”.
“Ils peuvent dissoudre une association, mais pas des idées”
Selon Me Abderrahim Bahi, que ce soit en première instance ou en appel, l’unique point qui a fait l’objet de débat était “l’organisation” de l’émission. Une accusation qui a été réfutée par la défense. “Racine n’a pas organisé l’émission, n’a pas participé à sa préparation ou à son contenu éditorial et ne l’a pas non plus diffusée”, insiste l’avocat. “Le parquet a souligné que la présence d’Aadel Essadani durant l’émission est une preuve. Or, le coordinateur général de l’association a participé à l’émission à titre personnel”, argue l’avocat.
Il précise qu’une expertise, réalisée par un expert en informatique, et attestant que 1 dîner 2 cons n’a pas été organisé par l’association, a été ajoutée au dossier. “Au final, cette expertise n’a pas été prise en compte”, regrette l’avocat. Ce dernier a aussi fait valoir que les opinions exprimées lors de l’émission “n’étaient pas un problème. La liberté d’expression est consacrée par la Constitution. Il est tout à fait normal qu’il y ait une diversité dans l’expression des opinions”.
Dans sa plaidoirie, Me Bahi a aussi fait savoir que onze personnes allaient se retrouver au chômage si l’association venait à être dissoute. Ce à quoi le juge aurait répondu “ce n’est pas beaucoup”, rapporte l’avocat qui estime en somme que le jugement “est basé sur des interprétations”. “C’est une injustice totale, flagrante et arbitraire”, résume de son côté Rahamim Benhaim, président de l’association.
Si Racines préfère ne pas abattre ses cartes quant à l’avenir de ses projets, l’idée de la création d’une nouvelle association est écartée “pour le moment”. Ce qui est sûr, c’est qu’“ils peuvent dissoudre une association, mais pas des idées”, lance Aadel Essaadani.
Création d’un observatoire des libertés
D’ailleurs, aux côtés de huit associations et organisations académiques méditerranéennes, Racines a lancé le 9 avril à Paris un Observatoire de la liberté d’association et d’expression artistique et culturelle. “L’association a certes été dissoute, mais nous allons activement travailler au sein de l’Observatoire en tant que personnes”, nous explique Aadel Essaadini. Cette nouvelle structure peut compter sur la contribution de trois organisations académiques : l’Institut de criminologie (Slovénie), l’Université de Palerme (Italie) et l’Université de Valence (Espagne).
“En ce début 2019, l’évolution des garanties des libertés publiques est inquiétante. Les entraves à la liberté d’association et d’expression se font plus fréquentes. Frontalement ou plus indirectement, des autorités publiques apparaissent vouloir limiter les prises de position de la société civile culturelle et artistique dans l’espace public”, explique l’Observatoire dans un document de présentation dont TelQuel détient copie.
L’Observatoire aura ainsi pour mission de répertorier les atteintes portées aux libertés des associations ou groupements artistiques ou culturels dans la zone euro-Méditerranéenne et africaine, de publier des rapports à ce sujet et d’en alerter l’opinion publique internationale. “La protection des libertés d’association et d’expression ne peut être garantie que par une opinion publique internationale documentée et mobilisée”, note l’Observatoire.
Un cycle de rencontres autour des questions d’atteintes aux libertés d’association et d’expression est d’ores et déjà programmé. Le cycle débutera à Ljubljana le 29 août 2019, se poursuivra à Istanbul en automne 2019, à Palerme au printemps 2020. Et en septembre 2020, l’Observatoire de la liberté d’association et d’expression artistique et culturelle présentera son rapport de synthèse pour la période 2018/2020.