Ce dimanche à 11 heures, la célébration est un peu spéciale à la Cathédrale Saint-Pierre de Rabat. L’usuel petit groupe de pratiquants endimanchés a laissé place à une sécurité renforcée et des centaines de soeurs vêtues de blanc, de frères et de pères en soutane noire. À l’intérieur, les fidèles attendent sans cacher leur impatience, filmant les entrées de chaque archevêque, prenant des selfies, envoyant des lives à leur famille.
“Le pape arrive, le pape arrive !”, s’extasie une élève de l’institut oecuménique Al Mowafaqa à son smartphone. “Alleluia !”, répète un autre en se filmant.
Et puis, annonce divine : le pape arrive, en effet, et même un peu en avance. Il est là, en chair et en os, déambulant sur le tapis rouge qui le mène jusqu’à l’autel fleuri, prenant la main des fidèles. Certaines soeurs osent même poser un baiser sur son anneau pontifical, alors que le pape retire, depuis quelques semaines, systématiquement et brusquement sa main “par mesure d’hygiène”.
“Nous sommes le Corps du Christ”, résonne dans la cathédrale de Saint-Pierre, aux murs blanc fraichement repeins, aux vitraux sans fioritures, aux bancs en bois austères. “Chacun de nous est un membre de ce Corps.”
Pas de prosélytisme, juste un peu de levain
Célébrer les minorités. Le discours du pape se veut rassurant et encourageant : “Les chrétiens sont en petit nombre dans ce pays, commence-t-il, ce qui peut être difficile à vivre pour certain. (…) Le problème n’est pas d’être peu nombreux, mais d’être insignifiants.”
S’appuyant sur la Bible, il compare alors les chrétiens du Maroc à “un peu de levain” qui, mélangé à de la farine, fait lever la pâte. “Les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme, qui conduit toujours à une impasse”, insiste le pape. “S’il vous plait, pas de prosélytisme !”, répète-t-il à deux reprises, les mains levées.
Parmi les fidèles, l’émotion est palpable. Les sourires béats. “Je n’ai dormi qu’une heure la nuit dernière”, confie Henri, catholique. “C’est un grand moment pour nous, c’est incroyable, je n’en reviens pas.”
“Viva papa ! ”, clame l’un des fidèles, suivi par tous les autres, près de 400 personnes au total. On applaudit, on rit, on fait son signe de croix à la va-vite, avant de déclarer d’une seule et même voix, “Amen”, d’un ton grave.
Il est midi passé, sonne l’angelus. Le pape doit rejoindre sa papamobile, direction la nonciature pour un déjeuner privé. Les journalistes et photographes poussent des coudes à la sortie de la cathédrale pour tenter de capturer un regard, un geste de la main, un sourire peut-être.
Les fidèles, eux, sont encore sous le coup de l’euphorie “High on Holly spirit !”, plaisante l’une des soeurs ; d’autres ne trouvent plus les mots, encore en transe.
Une messe XXL aux sonorités africaines
Loin du centre-ville, à la sortie de Rabat, on commence à prendre place. Quelques 10.000 personnes sont attendus dans la salle omnisports du complexe Moulay Abdallah. On est loin des 80.000 fidèles musulmans réunis, en 1985 lors de la venue de Jean-Paul II au Maroc, mais l’assemblée plus variée.
Dans un même élan, une vague de t-shirt blancs donne de l’allant. Il ne reste qu’une poignée de minutes avant la venue du pape et les quelques 500 choristes donnent de la voix. Eux viennent de toutes les chorales paroissiennes du Maroc. Les sonorités sont africaines, mais la salle, déjà comble, résonne à l’international.
Sans ordre précis, tous mélangés, des drapeaux polonais s’agitent à côté de ceux du Brésil, de l’Italie, du Liban. Un groupe d’espagnols, vêtus tout de jaune, échange avec un groupe d’étudiants sub-sahariens. De partout et ensemble, on est venu voir le pape François pour cette messe dominicale, dernier acte de la visite de François au Maroc. Ici, c’est la pratique africaine du culte qui y est consacré, loin de l’aspect solennel vécu ce matin à la Cathédrale Saint-Pierre.
On l’accueille avec des “Viva”, les petits drapeaux distribués aux couleurs du Maroc et du Vatican s’agitent. Et puis le silence, net. Le pape François s’apprête à rentrer, la cérémonie peut commencer. Le moment, lui, demeure fort en symbolique.
Y assistent quelques membres du gouvernement marocain, notamment les ministres de l’Intérieur Abdelouafi Laftif, des Affaires étrangères Nasser Bourita, des Affaires islamiques Ahmed Toufiq, mais aussi le secrétaire général du Conseil de la communauté israélite du Maroc Serge Berdugo.
En ce quatrième dimanche de carême, on célèbre la miséricorde divine, un thème cher au pape. Ce dernier, vêtu de rose, fait son entrée au milieu de la procession, embrasse l’autel et prend place au devant d’un mur-décor qui situe indéniablement la scène au Maroc. En son sommet, une reproduction de la croix du monastère de Tibhérine. Le père Jean-Pierre Schumacher, 95 ans et dernier survivant du massacre de Tibhérine perpétré contre sept moines trappistes en 1996 pendant la guerre civile en Algérie, a rencontré le pape un plus tôt et assiste à la messe.
L’Evangile du jour est la parabole dite du “fils prodigue”. Elle est lue, puis fait l’objet de l’homélie du souverain pontife devant les évêques, cardinaux et communautés de fidèles établis en Afrique du nord.
“Je veux vous remercier de la manière dont vous rendez témoignage de la miséricorde, explique-t-il. Faîtes grandir la culture de la miséricorde, une culture dans laquelle personne ne l’autre avec indifférence et continuez à être des signes de l’accolade du père miséricordieux”.
“Merci pape François”
Avant l’eucharistie, plusieurs personnes défilent réciter la prière universelle en plusieurs langues. À Rabat, plus que jamais, l’Église veut célébrer la diversité de son culte. L’ambassadeur de l’ordre de Malte au Maroc, Jean-Vincent Brunie invite notamment l’assistance à prier pour la famille royale.
“Vous avez vu une communauté chrétienne qui, malgré l’insignifiante petitesse, veut être comme vous, un bon samaritain”, explique Mgr Cristobal Lopez Romero, l’archevêque de Rabat.
Il met en avant l’engagement du pape envers les migrants et sa volonté à sortir l’Église vers ses périphéries. Avant d’ajouter : “Notre Église et chacun de nous voulons être un pont entre musulmans et chrétiens, nord et sud, Europe et Afrique. Nous voulons être comme vous : des pontifs, des constructeur du pont et non pas de mur, de barrière et de frontière.”
La foule, en choeur, remercie le pape qui, dans le même temps reçoit ses cadeaux : un arganier en guise de paix et une sculpture de l’artiste tunisien Sabi Chtioui, représentant Jésus portant sa croix.
Dans un dernier message, François remercie les siens d’avoir d’avoir “oeuvré au partage dans la foi, l’espérance et la charité”. “Je voudrais vous encourager à persévérer sur le chemin du dialogue avec nos frères et soeurs musulmans et contribué à rendre visible cette fraternité universelle”, a-t-il déclaré sous les applaudissements de la salle. Et d’adresser une dernière requête à l’audience avant de prendre un avion de la Royal Air Maroc pour Rome : “N’oubliez pas de prier pour moi.”