Il bruine sur Rabat, ce samedi 30 mars. Dans les rues, des dizaines de bus stationnés en file indienne, des fourgonnettes pleines à craquer de policiers en uniforme, des journalistes — ils sont près de 400 — qui s’engouffrent dans la douillette salle de presse aménagée dans le Tour Hassan Palace, à quelques pas de la cathédrale Saint-Pierre.
14 heures, à l’aéroport Rabat-Salé. Le Pape François pose un pied sur le sol marocain. Il est accueilli par Mohammed VI, à la descente de l’avion, accompagné de Moulay El Hassan et de Moulay Rachid.
The Holy Father @Pontifex has arrived in Morocco 🇲🇦!
Welcomed by His Majesty King Mohammed VI, he is now heading to the Hassan Tower esplanade with His Papamobile, where the Moroccan people and His faithful are awaiting Him.#PopeFrancisInMorocco pic.twitter.com/6i5ObBWkFo— MAECI Maroc 🇲🇦 (@MarocDiplomatie) March 30, 2019
La pluie n’a pas cessé depuis ce matin, les parapluies aux couleurs du Maroc sont de sortie, le tapis rouge est imbibé d’eau. Tous deux marchent d’un pas prudent, en discutant — en quelle langue ? — à travers la haie d’honneur, jusqu’à l’aéroport, où le roi offre lait et dattes au Pape François, scruté par les journalistes officiels du Vatican qui le suivent comme son ombre.
Pope arrives in Morocco for two-day trip https://t.co/0ESiIl8KQm pic.twitter.com/IABbnAuYBv
— Reuters Top News (@Reuters) March 30, 2019
Au même moment, dans la salle de presse de la Tour Hassan Palace, le silence est religieux. “Il est là, il est là !”, chuchotent quelques journalistes, casque vissé sur le crâne, micro à la main, le regard rivé sur l’écran géant qui rediffuse en direct les moindres faits et gestes des deux chefs d’Etat.
Coexistence pacifique à l’esplanade
À quelques encablures du palace, le contraste est saisissant. Entre le minaret ocre inachevé de la Tour Hassan et le mausolée immaculé Mohammed V, fidèles en djellabas écrus, hommes en costumes de cérémonie et civil habillés de couleurs chamarrées se tiennent prêt sur l’esplanade. Preuve d’un jour attendu.
Assis sur leurs chaises, stoïques pour certains, un grand nombre d’entre-eux ont déjà trouvé l’astucieux moyen de s’abriter du crachin avec le coussin de leur siège. Les plus motivés sont debout.
Un petit groupe d’abord, tous aux origines subsahariennes et casquettes blanches sur les têtes, chantonnent du gospel. Eux, sont étudiants boursiers de l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI), viennent de la cité universitaire de Rabat mais aussi d’autres villes du pays. D’après l’un de leur responsable, ils seraient près de 450 à être venus sur l’esplanade.
Ici, c’est le christianisme africain qui est célébré. Ces étudiants boursiers, comme les migrants venus au Maroc ces dernières années contribuent à donner au christianisme une vitalité nouvelle.
On entend du gospel, assiste à des danses entraînantes, et aux cadences rythmés viennent s’ajouter des youyous de groupes de femmes venus se mêler aux festivités. Malgré la pluie qui se fait plus forte, le ciel n’est pas tombé sur la tête des fidèles.
Finalement, le Pape François et Mohammed VI rejoignent la tour Hassan ; l’un en papamobile Mercedes, protégé de la pluie ; l’autre en limousine décapotable noire, sous la capuche de sa jellaba jaune clair.
De l’esplanade de la Tour Hassan, on suit l’arrivée sur les deux écrans géants. On applaudit les visages des deux chefs d’État, avant un premier frisson général. Un adolescent de 17 ans se précipite en direction de la voiture du roi, avant d’être vite interpellé par les services de sécurité. Le remous est vite oublié.
Les deux chefs des croyants se tiennent désormais devant le pas de l’esplanade. La pluie s’intensifie et les coups de canon protocolaires éclatent. Sous la clameur général, chrétiens et musulmans se lèvent comme un au moment de l’entrée de François et Mohammed VI. “Des viva papa” et “Aacha Sidna” (Vive le roi) se font échos. Le premier temps fort de la visite peut commencer.
Alors que Mohammed VI préconise la religion “à la course en armement et autres folies” ; le Pape François appelle les “croyants à vivre en frères” et défend fermement “la liberté de conscience”.
T-shirt photoshopés et orchestre philharmonique
Il est 16 heures passées, le Saint-Père part au palais royal, où il rencontre la famille royale, procède à un échange de dons et signe avec le roi l’Appel d’Al Qods visant à conserver et à promouvoir le caractère spécifique multi-religieux, la dimension spirituelle et l’identité particulière de la ville sainte.
Puis le pape François et Mohammed VI s’entretiennent en tête à tête pendant une trentaine de minutes. De cet échange, on ne saura rien.
Pendant ce temps, dans les rues humides de Rabat, le calme militaire des policiers tranche avec l’excitation palpable des badauds et des étudiants regroupés autour de l’Institut Mohammed VI de formation des imams Morchidines et des Morchidates. Tous tentent de trouver un abri, sous un arbre, contre un mur, sous un abris bus. N’importe où. La pluie illumine les visages impatients de ces milliers de personnes venues tout spécialement pour voir le Pape. Et le roi. Certains portent un tee-shirt sur lequel sont imprimés les visages de François et de Mohammed VI.
Dans son discours peu après l’arrivée du pape, Mohammed VI a réaffirmé l’importance de l’institut Mohammed VI, la religion étant selon lui “synonyme de paix” entre les peuples. Dans l’entrée majestueuse de l’institut, les élèves s’affairent. “Numéro 57. Où est le numéro 57 ?” Chacun entre au compte goutte dans l’auditorium. Les Tchadiens d’un côté, vêtus de blanc, “notre couleur symbolique”, nous explique-t-on ; les Ivoiriens, Gabonais, Nigérians, Sénégalais et Français de l’autre.
Au total, plus d’un milliers d’étudiants. “On a préparé un poème en arabe pour le Pape”, nous confie l’un d’eux. Mais il n’est pas sûr qu’ils pourront le lui délivrer. Le protocole, c’est le protocole.
Dans l’auditorium, on attend. Les fauteuils sont remplis, une poignée de journalistes triés sur le volet, des centaines d’étudiants et d’étudiantes, des archevêques sont là. Le Pape et le roi arrivent dans une heure, accompagnés du directeur de l’institut, du ministre des Habbous et des affaires islamiques et du secrétaire du conseil des oulémas.
À chaque personne qui entre dans l’immense salle, toutes les têtes se tournent. Mais il faut être patient, entreprise d’autant plus complexe sans portable — il a fallu les déposer à l’entrée — ou connexion Internet. On teste les micros. “A, B, C.” Les caméras sont prêtent à tourner, les journalistes prennent déjà des notes, frénétiquement. Le silence s’installe.
Ça y est. Ils arrivent. Applaudissements, la salle se lève comme un seul homme. Mohammed VI s’installe d’un côté, Pape François, de l’autre, dos au public, face à l’écran géant qui diffuse un court documentaire sur la vie de l’institut Mohammed VI de formation des imams Morchidines et des Morchiadates, en espagnol.
Après des discours du ministre en arabe, d’une étudiante nigériane en anglais, et d’un étudiant français — tous rappelant que l’éducation est la meilleure arme contre l’extrémisme religieux — le rideau noir se lève, dans l’ébahissement général, laissant jouer l’Orchestre philharmonique du Maroc. Un opéra aux voix arabes et latines, aux musicalités puisées dans le répertoire des trois religions monothéistes, symbole de la visite papale au Maroc.
En fin de journée, le Pape François rencontre des migrants dans un local de l’organisation catholique humanitaire Caritas, que seuls quelques proches du Vatican ont été autorisés à visiter. Dans les rues de Rabat, le calme est revenu. Et le soleil aussi.