Le 18 mars, les parlementaires jordaniens ont recommandé à leur gouvernement le rappel de l’ambassadeur hachémite Ghassan Majali à Tel-Aviv, ainsi que l’expulsion de l’ambassadeur israélien à Amman Amir Weissbrod, rapporte l’agence de presse jordanienne Petra. Bien que récurrentes, les tensions entre l’État hébreu et le royaume sur l’autre rive du Jourdain sont montées d’un cran ces derniers mois, exacerbées par la question et les heurts autour de l’accès à l’esplanade des Mosquées à Jérusalem.
Troisième lieu saint de l’islam, l’esplanade des Mosquées, ou Mont du Temple pour les juifs, est située à Jérusalem Est occupée et abrite le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Lieu hautement sensible, il était fin juillet le théâtres de violences entre fidèles palestiniens et forces de l’ordre israéliennes à la fin de la prière. En réaction, Israël fermait les accès à l’esplanade. Un scénario semblable s’est reproduit à nouveau mardi dernier avec la fermeture de l’accès à la Mosquée al-Aqsa, la plus grande de Jérusalem, et encore dimanche avec celui de Bab al-Rahmeh, la Porte Dorée, restée fermée depuis la deuxième Intifada (2002-2005) et qui venait d’être rouverte en février par le Waqf jordanien.
Statu Quo remis en cause
Pour des raisons historiques, depuis la fin de la première guerre israélo-palestinienne et les accords d’armistice en 1949, la gestion et le contrôle des lieux sacrés à Jérusalem sont confiés à la Jordanie qui exerce cette prérogative à travers le Waqf de Jérusalem. Elle nomme le Grand Mufti de Jérusalem et paye les fonctionnaires du Waqf. Tout cela « dans une optique internationale », souligne Giuseppe Dentice, expert d’Israël au sein de l’ISPI (Institut pour les études de politique internationale) et chercheur à l’Université Cattolica del Sacro Cuore de Milan.
En effet, cet état des choses fait partie du « Statu Quo » de Jérusalem, un ensemble de normes internationalement reconnues qui règlent l’accès et la prière dans les sites religieux. Elles permettent entre autres aux musulmans d’accéder à l’esplanade des Mosquées à toute heure, alors que les juifs peuvent y accéder à certaines heures mais sans pouvoir y prier.
Depuis 1967, date de l’annexion illégale par Israël de Jérusalem Est, Tel-Aviv exerce tout de même un contrôle autour de l’esplanade et en a à plusieurs reprises fermé les accès. L’installation de détecteurs de métaux aux entrées de l’esplanade en juillet 2017 provoquait des affrontements sanglants et des morts parmi les Palestiniens et les Israéliens. Le Premier ministre Benjanmin Netanyahu avait du se résoudre à les substituer à d’autres « moyens technologiques avancés ». Quant à la fermeture des accès, « Israël a le droit d’exercer ce type de pouvoir dans des cas exceptionnels comme un conflit. Mais il s’agit justement de mesures extraordinaires et ce n’est pas le cas aujourd’hui, » commente l’expert de l’ISPI.
Face à face avec la Jordanie
« La question palestinienne est une question nationale jordanienne, » a affirmé le 18 mars le président du parlement jordanien Atef al-Tarawneh, cité par l’AFP. Il a par ailleurs annoncé le réexamen prochain de « l’accord gazier » avec Israël, un contrat estimé à 10 milliards de dollars. De son côté Aymane al-Safadi, ministre jordanien des Affaires étrangères, a souligné que « toute atteinte au Statu Quo historique est inacceptable », d’après l’agence française. Ainsi, la demande de rappel de l’ambassadeur de Tel Aviv « arrive après des mois de tensions pendant lesquels la Jordanie a demandé à plusieurs reprises des explications à Israël sur ce qui était en train de se passer, » explique M. Dentice.
Cependant, un officiel jordanien contacté par TelQuel précise : « Je ne pense pas que l’ambassadeur va être rappelé. Nous tenons beaucoup au traité de paix avec Israël et l’ambassadeur est le seul canal de dialogue avec le gouvernement israélien lorsqu’il y a des tensions. Si on devait arriver à ce point, comment pourrait-on calmer le jeu sans la possibilité de dialogues discrets et confidentiels ».
Cependant, si ce type de tensions sont récurrentes, « elles se sont pourtant multipliées dans les dix dernières années du gouvernement Netanyahu et encore plus ces dernières semaines à cause de l’arrivée des élections. C’est la saison des surenchères et le gouvernement essaye de s’accaparer les voix des juifs de l’extrême droite, » décrypte notre interlocuteur. Une escalade de tensions qui ne passe pas inaperçue dans la région, étant donné que la Jordanie est le seul pays au Moyen Orient, après l’Egypte, a avoir signé un traité de paix, notamment les accords de Wadi Araba en 1994, avec Israël. Depuis cette date, les deux pays se reconnaissent réciproquement.
Eviter l’hégémonie saoudienne
Par ailleurs, la définition d’un nouveau Statu Quo de Jérusalem est susceptible de créer des problématiques majeures à la Jordanie qui « se verrait concurrencée par l’Arabie Saoudite. Cette dernière montre un intérêt conséquent dans la gestion des lieux saints aux trois religions monothéistes. Si elle devenait le tuteur de ces lieux, cela ferait de l’Arabie Saoudite le principal leader mondial du monde arabo-islamique, » souligne M. Dentice. En effet, « les actes israéliens mettent en danger la custodie de la Jordanie sur les lieux saints. Ces actes ne sont par ailleurs pas compatibles avec les actes d’un gouvernement qui a un traité de paix avec son voisin et ils mettent dans l’embarras le gouvernement jordanien, » révèle notre source jordanienne.
C’est aussi dans ce sens qu’Amman décidait en février d’élargir le conseil du Waqf musulman de 11 à 18 membres, rapporte le quotidien israélien Haaretz. « C’était un message pour montrer que le Waqf reste toujours sous la responsabilité jordanienne et qu’on ne va jamais céder malgré toutes les provocations d’Israël, » poursuit-elle. Cependant, d’après le chercheur de l’ISPI, « si la Jordanie cherchait par cette décision à faire respecter ses propres fonctions et prérogatives, ce n’est pas demain la veille que ça se réalisera ».