Rachid Nekkaz, “clown” ou symbole de la fin du système ?

Le très sulfureux Rachid Nekkaz est réapparu sur le devant de la scène depuis le début des manifestations de protestation contre le 5e mandat de Bouteflika dans toute l’Algérie. De ses coups médiatiques en France jusqu'à son arrestation à Genève, retour sur les errances et percées de ce personnage ubuesque, soutenu par des milliers de jeunes algériens.

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Rachid Nekkaz filme toutes ses interventions sur les réseaux sociaux. Crédits : DR

On le voit dans les rues de Paris, dimanche 10 mars, un drapeau algérien autour du cou, le smartphone glué à la main, se prêtant avec entrain au jeu des selfies avec de jeunes enthousiastes. Rachid Nekkaz est de retour « après 30 heures de prison abusive à Genève », affirme-t-il sur son mur Facebook, où il compte plus d’un million et demi d’abonnés.

L’ovni politique originaire du Val-de-Marne qui a fait fortune dans les start-ups et l’immobilier avait été arrêté vendredi 8 mars par la police genevoise pour « violation de domicile », après avoir fait irruption dans l’hôpital où était soigné le président Abdelaziz Bouteflika. D’après la Tribune de Genève, Rachid Nekkaz s’était présenté devant l’hôpital avec une centaine de soutiens Algériens.

« Je croyais que la Suisse était un pays démocratique, un pays de libertés. J’ai vu que c’est un pays de mafia qui protège la mafia algérienne au pouvoir. La Suisse est le pays qui abrite une grande partie de l’argent détourné du pays. Si j’arrive à la présidence, je demanderai le rapatriement de tout cet argent volé à l’Algérie et placé en Suisse », a-t-il déclaré dans une vidéo qu’il a tourné à sa sortie de garde-à-vue.

« On n’a jamais vu un mort être candidat à une élection présidentielle »

Depuis le 22 février, celui qu’El Watan qualifie de « pathétique vaudeville politique » refait surface. De Tizi Ouzou à Paris, des dizaines de milliers de jeunes algériens scandent son nom dans les rues, le portent sur leurs épaulent, prêts à l’aider à obtenir les 60.000 parrainages d’électeurs nécessaires à sa candidature. « Ils sont les premières victimes de son coup de bluff », écrit El Watan.

Mais ses nombreux coups de théâtre commencent à virer à la parodie. Si l’(auto)biographie publiée sur le site de son parti Mouvement pour la Jeunesse et le Changement (MJT) stipule qu’il est « aujourd’hui uniquement algérien » et qu’il aurait « rendu son passeport aux autorités françaises » le 23 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a refusé son dossier de candidature aux élections présidentielles du 18 avril. La loi dispose en effet, depuis 2016, que les candidats ne doivent jamais « avoir possédé une autre nationalité » qu’algérienne et qu’ils doivent « prouver d’une résidence permanente exclusive en Algérie durant un minimum de dix ans ».

Le subterfuge est tout trouvé : il présentera à sa place son cousin mécanicien, qui vit en Algérie et possède les mêmes nom et prénom. Dans un post Facebook daté du 4 mars, Rachid Nekkaz expliquait son « plan B »« afin de rester dans le jeu et de maintenir la pression ».

« Si le Conseil constitutionnel valide cette candidature le 13 mars, je deviendrai le directeur de campagne. Si mon cousin est élu, on créera immédiatement le poste de vice-président par voie parlementaire, fonction que j’occuperai. Et le président élu (mon cousin) démissionnera aussitôt. Je prendrai alors automatiquement le poste de président Inch’Allah. » Et de justifier cette stratégie surréaliste par la symbolique de son geste, « comme la présence symbolique de la candidature de Bouteflika. » 

« Tout le monde sait qu’au minimum, (Bouteflika) est malade, et qu’au maximum il est mort, il est évident que c’est impossible de continuer de cautionner l’élection avec un candidat qui est mort », poursuit-il. « On a déjà vu des morts voter au Parlement. On n’a jamais vu un mort être candidat à une élection présidentielle. »

Rachid Nekkaz est né de parents algériens originaires de Chlef. Crédits : DR

Le sulfureux Rachid Nekkaz n’en est pas à son coup d’essai. En 2014 déjà, il avait tenté de se présenter aux élections présidentielles. Arrivé tardivement devant le Conseil constitutionnel, il avait affirmé que le véhicule qui transportait ses formulaires de parrainage s’était perdu. Le Conseil constitutionnel lui avait accordé une heure supplémentaire. En vain. 

Le clown de la tragédie algérienne

Si son nom résonne aujourd’hui dans les rues d’Algérie, Rachid Nekkaz doit surtout sa popularité à ses années de militantisme ponctué de coups médiatiques de l’autre côté de la Méditerranée. Après avoir tenté sa chance aux élections présidentielles françaises de 2007 — il n’atteindra pas les 500 signatures requises — et aux municipales, Rachid Nekkaz annonce en 2010 la création d’un « fond de solidarité » qui servirait à payer les amendes des femmes portant le niqab ou la burqa dans les rues françaises, au lendemain de l’adoption de la loi sur le voile intégral par l’Assemblée nationale.

En dix ans, il assure avoir déboursé 315.000 euros dans 1.552 dossiers en France et à l’étranger. « Je suis contre le port du voile intégral car je considère que ce n’est pas la meilleure manière de s’intégrer dans la société européenne. Mais ce n’est pas incompatible. J’ai une démarche philosophique, je suis dans une position voltairienne. Je me bats pour la liberté », racontait-il dans les colonnes du média russe Sputnik, en 2018.

Moqué en France, le Franco-Algérien a depuis 2013 les yeux rivés sur l’échiquier politique algérien. Mais son succès auprès des jeunes algériens reste encore flou. « Le peuple algérien, longtemps brimé et opprimé, a trouvé en Nekkaz un moyen de s’exprimer, et de s’amuser — oui, s’amuser — pour narguer le clan de Bouteflika. Il faut savoir que Nekkaz, un homme de buzz, a acquis sa véritable notoriété le jour où il a été agressé à Tlemcen, la région de Bouteflika, en février dernier, par les voyous du FLN, le parti au pouvoir. En adoptant Nekkaz, le peuple algérien s’adressait en vérité au président de la république, comme pour lui dire ‘Ta région a agressé Nekkaz, nous, nous sommes avec lui’ », explique le journaliste Chahreddine Berriah, d’El Watan. Finalement, la montée fulgurante de ce clown de la tragédie algérienne serait peut-être le symptôme de l’écœurement de la jeunesse algérienne envers le système en place.