L’originelle “Journée internationale de lutte pour les droits des femmes” a été élaguée à grands coups d’ignorance et de paresse intellectuelle pour devenir la “Journée de la femme”, version édulcorée, apolitisée et marquetée.
Ainsi, les salles de fitness offrent un “show féérique de danseuses orientales”. Les restaurants ont cru opportun de lancer un “menu journée de la femme” d’une “affinité et d’une légèreté incomparables” (entre 750 et 1.000 dirhams, tout de même). Les salons de beauté “souhaitent chouchouter toutes les femmes”. Les studios de yoga vantent leur programme pour “explorer son féminin sacré”, son “espace de vulnérabilité”… Même le TGV Al Boraq s’y met, et concède 888 billets à 80 dirhams : “un geste par lequel l’ONCF rend hommage aux femmes et démontre sa volonté de les accompagner et de les soutenir dans leur mobilité.”
Toutes ces publicités aux couleurs poudrées mettent en avant des femmes “inspirantes”, “fortes”, “qui ont réussi”. Bref, qui sont passées à la moulinette de l’empowerment, ce concept d’outre-Atlantique qu’on pourrait maladroitement traduire par “autonomisation”. Cette vision stéréotypée et individualiste de la réussite propage un modèle binaire, qui perpétue justement les inégalités (de genres, sociales, professionnelles…) et omet totalement les enjeux importants, tels que les violences économiques et conjugales, le droit à la propriété, l’accès à la contraception…
Car cette journée, instaurée en 1977 par l’ONU, est avant tout l’heure du bilan. Or, dans son rapport annuel de l’exercice 2017, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) fait ressortir des chiffres qui ne sont pas à la “fête”.
Éducation
Malgré les avancées en matière d’éducation de la femme, la parité sur les bancs de l’école n’est toujours pas atteinte. Ainsi, selon le département de l’Education nationale, l’indice de parité entre les sexes (IPS) dans l’enseignement primaire est encore de 0,94 en 2016/2017 et de 0,88 dans le secondaire collégial, avec des disparités entre le milieu urbain et rural, soit respectivement 0,95 et 0,74.
Seul le secondaire qualifiant connait une parité entre les sexes. Au niveau de la formation professionnelle, 30% seulement des effectifs inscrits lors de l’année scolaire 2016/2017 sont des femmes. Le taux d’analphabétisme demeure élevé chez les femmes, atteignant 41,9% contre 22,1% parmi les hommes. De même, le taux de jeunes femmes âgées de 15 ans à 24 ans qui ne travaillent pas, ne sont pas à l’école et ne suivent aucune formation (NEET) s’élève à 45,1% en 2015, contre 11,4% pour les hommes.
Propriété
L’accès des femmes à la propriété du logement enregistre une légère amélioration, grâce au programme “Villes sans bidonvilles”. Selon une enquête d’ONU Femmes, ce taux est ainsi passé de 15,3% à 18,7% en 2014, alors que cette proportion atteint 80,9% pour les hommes.
Entrepreneuriat
L’implication des jeunes femmes dans l’entrepreneuriat reste elle aussi limitée. Selon une étude du Bureau international du travail (BIT) intitulée “Évaluation du développement de l’entrepreneuriat féminin au Maroc”, et publiée en mars 2017, les femmes représentent environ 10% à 12% du total des entrepreneurs au niveau national. 3% sont âgées de 15 à 24 ans, alors que 55% ont entre 25 et 39 ans. De plus, la majorité des femmes entrepreneures dirigent de Très Petites Entreprises (TPE) et seulement 3,5% d’entre elles accèdent aux marchés internationaux.
Santé
Pour ce qui est de l’accès aux soins de santé, le taux de mortalité maternelle se situe à 72,6 pour 100 000 naissances vivantes selon les données de l’enquête nationale sur la santé et la population familiale publiée en 2017. L’écart entre le milieu rural et urbain est important : 111,1 pour 100.000 naissances vivantes en milieu rural, contre 44,6 en milieu urbain.
L’écart de fécondité entre le rural et l’urbain enregistre un net rapprochement et le taux de fécondité continue sa baisse avec un rétrécissement du gap entre le milieu urbain et rural (2,5 enfants pour la femme rurale contre 2,01 enfants pour l’urbaine en 2014).
Violences
Les femmes sont plus exposées aux violences, les chiffres rendus publics par le HCP en 2011 faisaient état d’un taux de 62,8% de femmes âgées de 18 à 64 ans qui avaient été victimes de violence. Plus de la moitié de ces actes (55%) avaient été perpétrés par l’époux de la victime. Ce constat se retrouve corroboré par les données plus récentes de la présidence du ministère public qui indique que le nombre de femmes ayant subi des violences est passé de 15.297 en 2012 à 16.690 en 2017.
En se référant aux chiffres détaillés publiés par le ministère de la Justice, près de 56% des agressions à l’encontre des femmes en 2015, ont été commises par le mari. Viennent ensuite les agressions dont l’auteur est une personne étrangère à la victime (36,6%). Il est toutefois important de rappeler que ces statistiques ne reflètent pas l’ampleur du phénomène dans la société, étant donné l’importance de la non-déclaration de ces violences, largement répandue dans ce type de situations. En discussion depuis 2013, un texte de loi, n°103-13 relatif à la lutte contre la violence à l’égard des femmes a été adopté par le Parlement en 2018.