Rugir avec les Lions ou mûrir en Oranje, le dilemme cornélien d'Oussama Idrissi

Nouveau dans les rangs de la sélection nationale, le footballeur maroco-néerlandais Oussama Idrissi a décidé d'évoluer sous le maillot des Lions de l'Atlas au terme de plusieurs mois de tergiversations. Un dilemme récurrent chez les joueurs binationaux, d'autant plus chez les fils d'immigrés marocains nés aux Pays-Bas.

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Oussama Idrissi vit une saison remarquée dans son club de l'AZ Alkmaar avec 7 buts et 6 passes décisives en 23 matches. Crédit: Facebook Oussama Idrissi

Qu’il soit « de coeur » ou par défaut, précoce ou tardif, derrière chaque choix de sélection pour les footballeurs binationaux, il y a d’abord un feuilleton. Plus ou moins long, plus ou moins commenté. Dernier cas en date, celui d’Oussama Idrissi. Ce jeune joueur de 22 ans a annoncé le 20 février qu’il choisissait d’endosser la tunique des Lions de l’Atlas pour le reste de sa carrière internationale, au détriment des Pays-Bas, son pays de naissance.

Un choix « rationnel », a expliqué le sociétaire de l’AZ Alkmaar lors d’une interview à VolkskrantLe jeune attaquant a tenu à préciser qu’il n’avait « rien contre les Pays-Bas ». « Je suis né ici ( à Berg-op-Zoom, NDLR), j’ai grandi ici, mais j’avais un choix à faire. J’ai parlé à mes parents et finalement j’ai décidé de jouer pour les Lions de l’Atlas », argumente l’ailier.

Comme lui, plusieurs fils d’immigrés marocains aux Pays-Bas ont rallié la tanière des Lions depuis l’arrivée d’Hervé Renard, en février 2016. Sauf qu’ils font grincer des dents du côté de la Fédération néerlandaise et des supporters bataves. D’aucuns pensent en effet que cette fuite des talents n’est pas profitable au pays dont les clubs investissent du temps et de l’argent dans la formation sans pour autant en récolter les fruits.

Chez d’autres, on pointe la préférence de ces binationaux pour leur pays d’origine, arguant des problèmes d’intégration et alimentant les discussions sur l’identité. Des choix de carrière qui mettent en lumière la complexité d’un problème et la multiplicité des facteurs, parfois politiques, souvent socioculturels, au moment de décisions avant tout individuelles.

Le choix de la raison ?

« Ce n’est pas un choix entre le cœur et l’esprit, c’est un mélange des deux », témoigne Oussama Idrissi. Citoyen néerlandais, il est également marocain de par ses parents. Une filiation qui a pesé dans son choix :« J’ai grandi aux Pays-Bas avec les normes et les valeurs de ce beau pays, détaille le joueur à Volkskrant, avant d’ajouter : Mais en tant que musulman, vous suivez essentiellement la culture de votre père. Et mon père est Marocain ». Le jeune homme se montre particulièrement élogieux envers son père dont « la sagesse » l’imprègne. « Quand je relis mes interviews, j’ai l’impression d’entendre mon père parler », déclare-t-il encore, précisant que son père lui dit « toujours la vérité ».

La vérité, elle, est aussi à chercher du côté du terrain. Si le cas d’Oussama Idrissi fait parler, c’est avant tout parce que le jeune joueur est l’auteur d’une saison remarquable et remarqué en Eredivisie, le championnat néerlandais. Transféré à l’AZ Alkmaar en janvier 2018 pour deux millions d’euros, il a su rapidement se mettre au diapason en inscrivant trois buts et six passes décisives en treize rencontres. Sur la même lancée cette saison, il compte sept buts et six passes décisives après 23 journées. Il a ainsi contribué à la quatrième place occupée par les siens en championnat, à trois longueurs du podium.

Virevoltant ailier de 1m83, le joueur se distingue par une conduite de balle explosive sur son flanc gauche avant de rentrer sur son bon pied, le droit, pour marquer ou faire marquer. Peu avare en efforts cette saison, il a été très peu remplacé par son entraîneur. Il a ainsi terminé 19 matches sur les 23 déjà disputés.

Formé au NAC Breda puis passé par le Feyenoord Rotterdam, il effectue ses débuts professionnels sous les couleurs du FC Groningen. Entre inconstance et problèmes de comportement, la progression du jeune joueur est perturbée. Il sera même rétrogradé en équipe réserve. « Oussama mettait parfois son énergie dans les mauvaises choses, alors qu’il a tant de talent, expliquait Ernest Faber, ancien international néerlandais et son entraîneur au FC Groningen. Il était impatient et désireux de faire ses preuves. Oussama s’est énormément développé par la suite ». Sa saison actuelle est pleine de promesses, en témoigne son but aussi malicieux qu’audacieux inscrit fin janvier, lors du succès des siens sur Heerenveen (0-2) .

Volte-face

Ses performances ont valu à Oussama Idriss d’être suivi de près par l’encadrement technique de la Fédération royale marocaine de football (FRMF). Le sélectionneur des Lions de l’Atlas s’est d’ailleurs félicité, sur les réseaux sociaux, du choix de son nouveau protégé.

La FRMF a obtenu les faveurs du joueur à l’issue de plusieurs mois d’une cour assidue. En novembre dernier, Oussama Idrissi avait été du rassemblement des Lions pour les rencontres face au Cameroun et la Tunisie. « Je vais là-bas, je vais avoir une conversation et voir comment ça se passe. Bien sûr, je suis fier et honoré de recevoir une invitation, et plus tard, je pourrais choisir… Je n’ai pas fait de choix pour l’instant », avait-il déclaré, laissant alors la porte ouverte. Et ça n’a pas manqué. Le 23 novembre, Al Ahdath Al Maghribia rapportait que le joueur avait reçu un appel venant d’un haut responsable néerlandais lui demandant de ne pas jouer avec le Maroc, mais de rester chez les Oranje. Le joueur aurait alors retardé la signature des documents relatifs à son changement de nationalité sportive auprès de la FIFA.

Depuis juin 2009, le règlement de la Fédération internationale de football (FIFA) autorise un joueur à changer une fois d’équipe nationale, sans limite d’âge, à condition de n’avoir pas disputé de compétition officielle en équipe première avec sa précédente sélection. C’est pourquoi il est possible de jouer avec l’équipe Espoirs des Pays-Bas par exemple, et d’être sélectionné en équipe nationale marocaine l’année suivante. Idrissi est de ceux-là. Le joueur a fait ses classes avec les équipes néerlandaises U17, U20 et U21.

Il est notamment passé tout près d’une qualification pour l’Euro espoir avec les jeunes Oranje. Un épisode qui a pesé dans sa décision de rejoindre les Lions. « Malheureusement nous ne nous sommes pas qualifiés pour le Championnat d’Europe. Ensuite, la fédération marocaine est venue me sonder et on m’a demandé si je me voyais jouer sous le maillot marocain un jour. Dès lors, je n’ai plus entendu parler de la fédération néerlandaise », explique le joueur à Volkskrant.

« Choix stupides » et « trahison »

« La fédération (néerlandaise, NDLR) savait qu’Oussama était confronté à un choix, mais les Pays-Bas ne l’ont pas pris en compte », juge son entraîneur à Alkmaar, John van den Brom. « Cela a permis à Oussama de choisir plus facilement le Maroc. Il ne m’a pas demandé conseil, je ne peux pas l’aider non plus. Ce n’est pas à moi de déterminer s’il serait assez bon pour évoluer avec les Oranje. Le fait est qu’Oussama, avec ses buts et son apport, est décisif pour l’AZ ». 

Du côté de la fédération (KNVB), le président n’a montré aucun regret. Ou presque. « Nous respectons cette décision. L’entraîneur de l’équipe nationale Ronald Koeman a annoncé qu’Idrissi ne fait pas encore partie de ses plans pour l’équipe des Pays-Bas », juge Nico-Jan Hoogma. Et de conclure, amer : Apparemment, il voit plus d’avenir au Maroc ».

Photo officielle de la sélection marocaine pour la Coupe du Monde de football 2018. Cinq joueurs sont nés aux Pays-Bas.Crédit: Hervé Renard / Twitter

Comme lui, d’autres talents formés aux Pays-Bas sont venus grossir les rangs de la sélection marocaine ces dernières années. Et pas des moindres : Hakim Ziyech, Noussair Mazraoui, Sofyan Amrabat, Yassin Ayoub, Oussama Tannane… Une nouvelle tendance, alors qu’il y a plus de dix ans, des joueurs comme Ibrahim Affelay ou Khalid Boulahrouz optaient sans broncher pour la sélection batave, plus compétitive du point de vue sportif. Depuis, le football néerlandais a perdu de sa superbe, et le choix des binationaux talentueux est devenu moins évident.

Dès 2014, la FRMF avait fait campagne pour « ramener des talents appartenant au sol », politique en vigueur depuis le nouveau millénaire, mais qui concernait davantage les joueurs francophones que néerlandophones ou hispanophones. Dorénavant, les émissaires de la fédération suivent avec attention les talents issus de la diaspora et formés en Europe. Avec une certaine réussite. Ces joueurs issus de la diaspora ont notamment contribué aux retrouvailles entre le Maroc et le Mondial après deux décennies d’absence.

Selon l’Observatoire du football CIES, spécialiste des statistiques et informations sur le football mondial, plus de 60% des joueurs évoluant dans l’équipe du Maroc sont nés à l’étranger, le plus haut pourcentage des équipes présentes dans la compétition. 20 des 23 lions convoqués en Russie avaient une double nationalité. Dans la presse internationale avant la Coupe du monde russe, les références à la Tour de Babel ont été nombreuses pour décrire la particularité de cette équipe où se côtoyaient des joueurs parlant différentes langues, du français au flamand, en passant par l’anglais, l’espagnol, l’arabe voire l’amazigh.

La reconquête de ces binationaux agace aux Pays-Bas. Le pays de Johan Cruyff est l’un des poids lourds du football mondial, mais souffre d’une démographie limitée. Il est donc difficile pour les Pays-Bas de voir des jeunes formés dans ses clubs choisir de représenter une autre patrie. Certains membres de l’encadrement technique batave ont d’ailleurs ouvertement exprimé leur colère face à cet exode. Triple Ballon d’or et ancien sélectionneur adjoint des Oranje, Marco Van Basten avait vertement critiqué le choix de Ziyech et Tannane d’opter pour le Maroc : « Ce sont des choix stupides, ce sont des garçons stupides qui auraient dû avoir un peu de patience, avait lâché l’ancien attaquant en mars 2016. Ziyech est un grand joueur et Tannane un très bon, mais comment pouvez-vous être suffisamment stupide pour opter pour le Maroc alors que vous êtes sélectionnables avec les Pays-Bas ? »

Même son de cloche pour le consultant néerlandais, Johan Derksen qui évoquait même « une forme de trahison envers la patrie ». La question s’est même invitée sur le terrain politique. Certains observateurs estiment en effet que ces fils d’immigrés rifains arrivés dans les années soixante et soixante-dix font un choix en réaction au discours de Geert Wilders, le leader de l’extrême droite des Pays-Bas. Pour ce dernier, ces jeunes issus de l’immigration ne sont tout simplement pas néerlandais. En septembre, la presse néerlandaise relatait l’intention des autorités de faire voter une loi obligeant les binationaux à faire le choix de leur nationalité sportive dès leurs 13 ans. Mais à cet âge, pas moins qu’à 22 ans, le coeur a ses raisons…