Quatre ans après, à quoi a servi le numéro anticorruption ?

Le ministère public a révélé que sur les quelque 19.000 appels reçus par la ligne anticorruption, seulement 62 ont abouti à des arrestations. Pourquoi un rendement si maigre? Éclaircissements.

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Lors de son lancement en juin 2015, la ligne anticorruption avait suscité l’enthousiasme. Un numéro vert, contrôlé par le ministère de la Justice, au bout duquel un opérateur est chargé de prendre, anonymement, les dénonciations des citoyens victimes de corruption ou de chantage. Presque quatre ans plus tard, les résultats laissent, à première vue, plus perspicaces. Selon un rapport récent du ministère public, sur les 19.168 accusations enregistrées par le numéro en 2018, seulement 62 ont été suivis d’une arrestation.

Certaines personnes confondent corruption et abus de pouvoir, d’autres cherchent seulement une assistance, ou appellent parce qu’elles ont été maltraitées par un fonctionnaire”, explique M. Bernoussi, secrétaire général de l’ONG Transparency Maroc. Ce dernier estime qu’un “tamisage” pour faire le tri entre les appels relevant ou non d’un cas de corruption est nécessaire. “Nous avons calculé que seulement 10% des appels reçus sur le nouveau numéro concernait des affaires de corruption”, explique de son côté Abderrahman Ellamtouni, le magistrat chargé de la ligne.

Preuves et interrogatoires

Le numéro anticorruption est davantage perçu par les plaignants comme un moyen de réclamer ses droits en face d’une injustice vécue, que comme un protocole de dénonciation sérieux, susceptible de valoir aux fonctionnaires accusés des peine allant 2 à 5 ans de prison ferme. C’est pourquoi les rétractations sont nombreuses. “Beaucoup de plaignants refusent même de donner leurs noms; passé l’appel au numéro, il ne veulent plus avoir à s’occuper de rien, or il y a des preuves à remettre, des interrogatoires à subir….” indique le militant.

Car une simple dénonciation ne suffit pas à déclencher une procédure. Il faut que le citoyen fasse valoir une preuve de tentative d’extorsion d’argent ou, le cas échéant, le témoignage de quelqu’un qui a assisté à la scène. Les procédures, sérieuses et lourdes, en effraient un grand nombre qui, bien souvent, préfère ne pas donner pas suite à leur plainte.

De 2015 à 2017, à peine 36 plaintes téléphoniques avaient abouti à une condamnation. Devant ce maigre bilan, le ministère de la Justice avait fait son mea culpa en promettant le renforcement de son arsenal. Un nouveau numéro, facturé au prix d’un appel local, est mise en service. La nouvelle ligne, du ministère de la Justice, passe sous le contrôle du ministère public en mai 2018, pour garantir son indépendance de l’exécutif.

Douze fonctionnaires sont chargés de recevoir les réclamations dans un centre d’appel. Si une plainte est recevable, ils la transmettent à cinq magistrats travaillant à plein-temps pour la ligne. Le juge, lorsqu’il a identifié le suspect, est chargé d’organiser une fausse remise de pot-de-vin pour établir un flagrant délit. Les juges peuvent intervenir en moins de 30 minutes. Si l’opération réussit, le fonctionnaire est remis au main de la justice.

Seulement 50% des cas de corruption peut se régler par l’organisation d’un flagrant délit; dans l’autre moitié des cas, qui comprend notamment les attributions de marché frauduleuses, la procédure nécessite une enquête approfondie qui prend du temps”, confie le M. Ellamtouni, qui considère le bilan de 62 arrestations depuis mai comme “encourageant”.

Une arme de dissuasion

Ce numéro anticorruption est une mesure symbolique, elle ne réglera pas le problème de la corruption au Maroc, qui est à rechercher dans des sphères plus élevées de la société”, regrette Ahmed Bernoussi de Transparency Maroc. “Bien entendu, la ligne de dénonciation n’est pas le seul moyen de lutte contre ce fléau, mais elle est un outil important, au même titre que la sensibilisation ou l’éducation”, rétorque M. Ellamtouni.

Qu’un fonctionnaire aille en prison pour corruption ça n’est pas l’essentiel, argumente le magistrat, l’essentiel c’est l’exemple de sa condamnation qui est donné à voir à tous les autres fonctionnaires”, poursuit le magistrat. “Si elle mène à des arrestations, la ligne anticorruption peut effectivement s’avérer une arme de dissuasion efficace, car il n’y a pas de doute que le bouche à oreille entre fonctionnaires s’effectuera ensuite”, reconnaît M. Bernoussi de Transparency Maroc, qui en appelle à une plus grande diffusion du numéro dans la population.

Chaque semaine, deux fonctionnaires sont condamnés pour corruption suite à une dénonciation par téléphone. Le ministère public veut cependant accélérer le rythme. L’organisme étudie actuellement l’extension des horaires d’ouverture de la ligne téléphonique jusqu’à 20h, contre 16h30 aujourd’hui. Dans le futur, elle pourrait également fonctionner les week-ends et les jours fériés.