C’est ce jeudi 31 janvier que devait être renouvelé le mandat du TIHP, la Temporary International Presence in Hebron, un corps international qui depuis 1994 observe, documente et rapporte les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme dans cette ville de Cisjordanie, au sud de Jérusalem. Mais le 28 janvier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré qu’il ne permettra plus la présence d’une force internationale qui « opère contre nous ». Son mandat ne sera donc pas renouvelé cette fois.
Plus grande ville palestinienne de Cisjordanie, Hébron est pourtant occupée par cinq colonies israéliennes qui se sont établies, de manière illégale selon le droit international, entre 1979 et 2014. On compte entre 500 et 800 colons résidant actuellement dans la seule vieille ville d’Hébron. Une minorité par rapport à la population palestinienne, mais une minorité conséquente qui n’a pas profité à la tranquillité ni à la sécurité des palestiniens : le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon travaillant pour l’Armée de Défense d’Israël, entrait dans la Mosquée Ibrahimi, tuait 29 fidèles et en blessait 125.
Ce massacre avait fait naitre la nécessité d’un corps international de monitorage dans cette ville qui porte encore aujourd’hui, à travers les murs, les check-points et barbelés, les traces d’une colonisation synonyme d’insécurité et de violence pour les Palestiniens d’Hébron. Sous la pression du Conseil de Sécurité des Nations Unis, l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) et Israël signaient en 1994 un accord qui demandait au Danemark, à la Norvège et à l’Italie de fournir des observateurs temporaires dans la ville. Suite à un deuxième mandat temporaire en 1996, le Protocole d’Hébron était signé le 30 janvier 1997 dans le cadre des Accords d’Oslo pour garantir la continuité de la mission d’observation du TIHP financée par six pays : le Danemark (qui ne contribue plus aujourd’hui), la Norvège, l’Italie, la Suède, la Suisse et la Turquie. Depuis cette date, Hébron est officiellement déchirée en deux entre Israéliens et Palestiniens. Le TIHP est là pour maintenir la sécurité chez ces derniers, cibles récurrentes des violences perpétuées par les colons et les soldats israéliens qui les protègent.
« À Hébron une opération brutale d’épuration ethnique s’est mise en place : pour protéger les colons, les israéliens ont fermé des rues, des magasins, muré des portes, occupé des bâtiments. La Rue des Martyres, la plus grande route commerciale de toute la Cisjordanie, est inaccessible aux Palestiniens. Maisons détruites, attaques, assassinats… Il s’agit d’une colonie extrêmement agressive : le peuple palestinien est tous les jours en danger, mais Israël ne veut plus de témoins, » nous déclare Bertrand Heilbronn, président de l’AFPS (Association France Palestine Solidarité).
Si les observateurs du TIHP n’ont aucun pouvoir d’intervention, ils sont au moins témoins directs de ces violations et incidents qu’ils peuvent documenter, y compris les actions de l’Armée de Défense d’Israël, notamment par le biais de caméras. Leurs rapports ne sont ensuite partagés qu’avec les autorités palestiniennes et israéliennes, ainsi qu’avec les cinq pays contributeurs.
Le mandat du TIHP est censé être renouvelé tous les six mois, mais à partir d’aujourd’hui cela ne sera plus le cas. Pourquoi mettre fin à leur mission ? « Ne serait ce que les rapports détaillés par la mission, même cela agace les Israéliens. Netanyahu a toujours estimé qu’ils étaient biaisés en faveur des Palestiniens. En plus, récemment, deux membres du TIHP ont eu une altercation avec des colons et on leur a reproché d’être violents envers les colons, » nous dit Elisabeth Marteu, chercheuse associée à l’Institut International d’Etudes Stratégiques (IISS).
« Le choix de Netanyahu répond avant tout à une exigence électorale, étant donné qu’en avril 2019 auront lieu des élections très importantes et que le combat se joue entre le Likoud et les droites nationalistes et religieuses. Le choix vise donc à s’accaparer cette partie de l’électorat israélien qui fait partie de ces milieux, » décrypte pour TelQuel Giuseppe Dentice, spécialiste d’Israël au sein de l’ISPI (Institut pour les études de politique internationale) et chercheur à l’Université Cattolica del Sacro Cuore de Milan.
« Netanyahu s’est toujours présenté comme ‘Mr Sécurité’, le Premier ministre qui maintien la sécurité en Israël. Maintenant il fait face à une compétition avec un nouveau parti, « Résilience d’Israël » piloté par Benny Gantz, un homme avec des qualifications impressionnantes quand il s’agit de sécurité. Par conséquent, Netanyahu fera tout ce qu’il peut pour montrer qu’il est un chef fort, même lorsque ses décisions n’impactent pas vraiment la sécurité d’Israël» analyse pour TelQuel Greg Shapland, chercheur sur les relations entre Israël et Palestine au sein de la Chatham House.
« L’exigence électorale se marie avec une exigence politique : Israël est en train de tout miser sur la régularisation de ses colonies. En 2017, le Parlement israélien proposait la régularisation des colonies implantées en Cisjordanie, mais la proposition était refusée par la Cour Suprême pour violation du droit international. Cette volonté s’est pourtant concrétisée en aout dernier avec la loi, cette fois adoptée, de l’Etat-Nation qui incluait parmi les implantations israéliennes même celles de Cisjordanie, » poursuit M. Dentice.
Bien que cela soit un « choix unilatéral plutôt grave » de la part d’Israël, nous dit-il, « la présence du TIHP vient d’un Protocole signé dans le cadre des accords d’Oslo qui a été mis en place car les Palestiniens et les Israéliens étaient d’accord. Or, si l’une des deux parties se désiste, ça tombe à l’eau. A mon avis, cela va être compliqué de le maintenir » précise Elisabeth Marteu. Par ailleurs, « Netanyahu pourrait être en train de profiter du support sans précédents qui lui vient de l’administration Trump pour se débarrasser d’une organisation internationale qui documente les actions israéliennes à Hébron violant le droit international. Netanyahu sait qu’il ne recevra aucune critique de la part de l’administration de Trump pour sa décision. Il pourrait avoir quelques critiques de la part de certains pays européens, mais il peut les ignorer, comme il a déjà fait beaucoup de fois auparavant, » conclut M. Shapland.
Sans plus aucun témoin, à l’abri de toute critique, à Hébron « la possibilité que les violences augmentent suite au départ du TIHP n’est pas du tout abstraite » termine sans trace d’espoir l’expert de l’ISPI.